Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet des femmes en situation de handicap m’est apparu comme particulièrement grave et sous-estimé lors du travail que mes collègues corapporteurs et moi-même avons effectué au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Il est sous-estimé, déjà, parce qu’il n’est pas estimé du tout !
Comme pour d’autres sujets, par exemple la protection de l’enfance, nous sommes confrontés à une absence de données. S’il existe quelques enquêtes sectorielles qui tendent à montrer que ces femmes sont plus exposées aux violences que la population générale, ces données sont anciennes.
Le chiffre fréquemment cité selon lequel 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences provient d’un rapport du Parlement européen de 2007.
Il nous faut donc des chiffres, car comment construire une politique publique sur un sujet dont on ne maîtrise ni la fréquence, ni l’ampleur, ni les différentes dimensions, qu’elles soient psychologiques, sexuelles, conjugales ou économiques ? La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) prévoit de réaliser entre 2021 et 2023 une grande enquête sur les personnes handicapées. Tant mieux ! Mais pourquoi en prévoir une si tard ?
Graves et sous-estimées, aussi, sont les défaillances dans la prise en charge de jeunes filles en situation de handicap dans les établissements spécialisés.
Défaillances quant à la prescription de contraceptifs, par exemple, qui se ferait sans véritable consentement ni réel suivi médical. Cela paraît même être une condition pour être accueillie. Lors de nos auditions, certaines interlocutrices sont allées jusqu’à se demander si l’objectif de telles pratiques n’était pas de se prémunir contre les conséquences de viols…
On ne peut pas non plus passer sous silence les stérilisations qui ont été imposées par le passé à des femmes handicapées dans des institutions françaises. Le Sénat avait déjà dénoncé ces pratiques en 2003, dans le cadre d’une commission d’enquête. Il les jugeait alors sous-estimées. Aujourd’hui, les stérilisations sont heureusement encadrées par la loi et interdites sur les handicapés mentaux placés sous tutelle ou curatelle, sauf indication médicale.
Toutefois, je rappelle ici avec force qu’aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne devrait être « obligée » de prendre une contraception ni faire l’objet d’une stérilisation dans des conditions contraires à la loi. Ce sont les femmes que l’on doit protéger et non les violences sexuelles !
Grave et sous-estimée toujours est la « culture de la soumission », qui caractérise les relations entre les familles des personnes en situation de handicap et les établissements spécialisés qui les accueillent.
Les familles seraient implicitement dissuadées de révéler des violences, par peur que leur enfant ne soit exclu de l’institution ou qu’il soit l’objet d’un signalement auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Par ailleurs, en tant que corapporteure de la mission commune d’information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leurs fonctions, le cas spécifique de ces établissements d’accueil nous a été signalé, mais les associations les ayant en gestion n’ont pas cru bon de répondre à notre invitation pour être auditionnées, excepté APF France handicap.
Nous avions alors proposé que le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaivs) soit obligatoirement consulté pour l’embauche de tout professionnel ou bénévole ayant à travailler dans de telles institutions. C’est une demande renouvelée aujourd’hui dans cette proposition de résolution.
Grave et sous-estimé, enfin, le manque de signalement. Or, vous le savez, le secret professionnel ne s’applique pas en cas de violences commises sur des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou d’une incapacité physique ou psychique.
Il serait bon que le signalement ne soit plus considéré, notamment par les médecins, comme une délation ou une prise de risque de leur part, mais soit perçu comme un acte pouvant sauver une vie. Je souhaite donc que le débat sur la question de l’obligation de signaler, actuellement en cours au sein d’une mission d’information au Sénat, aboutisse à une solution permettant de protéger les personnes en situation de handicap, particulièrement les femmes.
Mes chers collègues, cette gravité et cette sous-estimation m’ont poussée à cosigner ce projet de résolution que je vous invite à voter.