Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que j’interviens cet après-midi à la tribune du Sénat pour défendre, avec mes collègues rapporteures et avec la présidente de la délégation aux droits des femmes, cette proposition de résolution.
Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail de plusieurs mois sur les violences faites aux femmes en situation de handicap. Le rapport d’information qui en est issu a été adopté par notre délégation à l’unanimité.
Comme l’a souligné notre présidente, le fait que cette proposition de résolution soit cosignée par un si grand nombre de sénateurs et de sénatrices, de tous les groupes politiques, traduit l’implication de l’ensemble de notre assemblée pour défendre les victimes de ces violences insupportables, parce qu’elles visent des personnes vulnérables qu’il est de notre devoir de défendre contre les prédateurs qui les prennent pour cibles. Car il s’agit bien de prédateurs !
Mon engagement contre les violences faites aux femmes est ancien : c’est le fil conducteur de mon parcours d’élu. J’y travaille depuis de longues années, à la fois comme législateur et sur le terrain.
Si, ces dernières années, quelques avancées ont pu être constatées, notamment en matière de lutte contre les violences conjugales, on ne peut en dire autant des violences auxquelles sont confrontées les femmes en situation de handicap.
Deux adjectifs ont émergé des témoignages que nous avons entendus au cours de notre travail : « oubliées » et « invisibles ». Il faut y ajouter « inaudibles », car à toutes les violences que subissent ces femmes, s’ajoute la violence qui résulte d’une parole presque toujours mise en doute, au nom de leur handicap, comme si leur identité pouvait être réduite à celui-ci.
Certes, la prise en compte des femmes handicapées dans les politiques publiques de lutte contre les violences est récente, puisqu’elle remonte, en réalité, aux deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes : le quatrième plan, qui couvre la période 2014-2016, et le cinquième plan, qui concerne les années 2017-2019.
On peut donc espérer que les dynamiques enclenchées depuis 2014 conduisent prochainement, si les moyens nécessaires sont mobilisés, à des résultats concrets.
Le quatrième plan a ainsi pris en compte les femmes handicapées dans les objectifs définis dans le domaine de la formation initiale et continue des agents du service public et des professionnels. C’était une orientation pertinente, car la formation des personnels est, on le sait, décisive dans ce domaine.
Dans le même temps, des clips de sensibilisation ont été adaptés à certaines formes de handicap, puisqu’ils ont été sous-titrés et traduits en langue des signes. Voilà une bonne pratique à rendre, si cela est possible, systématique !
Quant au cinquième plan, il prévoyait la formation des professionnels au contact des femmes handicapées, l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux et la signature d’une convention entre le 3919 et le 3977, numéro national pour lutter contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées, afin d’orienter les femmes en situation de handicap vers des structures spécialisées.
Nous avons par ailleurs noté que la feuille de route issue du comité interministériel du handicap, intitulée Gardons le cap, changeons le quotidien !, prenait aussi en compte la lutte contre les violences faites aux femmes, en contribuant notamment à renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel et les discriminations. Cette démarche devra donc être amplifiée à l’avenir.
Parmi les pistes à explorer, on pourrait promouvoir des campagnes de sensibilisation et de communication montrant des femmes en situation de handicap. Il faut que celles-ci cessent d’être invisibles pour sensibiliser l’opinion publique à la réalité des violences qu’elles subissent.
Il est certain que l’effort de formation des professionnels doit se poursuivre de manière plus ambitieuse, afin d’encourager et de crédibiliser la parole des victimes de violences et de leur garantir une prise en charge adaptée. C’est un impératif bien connu de la délégation aux droits des femmes. Il est encore plus prégnant dans le cas des femmes en situation de handicap.
Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, une formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Plus particulièrement, la méconnaissance des symptômes du psychotrauma par de nombreux praticiens conduit des professionnels à passer à côté d’une situation de violence.
Tous les professionnels et bénévoles en contact avec des personnes en situation de handicap, ou susceptibles de l’être, devraient être formés au repérage des violences. Ce point concerne aussi bien les soignants, les bénévoles des centres d’accueil, les écoutants des plateformes téléphoniques que les personnels de l’ASE ou des cellules de recueil des informations préoccupantes. Il vise aussi, bien évidemment, les professionnels de la chaîne judiciaire.
Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur le Gouvernement pour que le sixième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui devrait commencer en 2020, poursuive et amplifie les quelques efforts déjà observés ces dernières années.
Par ailleurs, il nous a paru regrettable que la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement ne prévoie pas de mention explicite de la prévention et de la lutte contre ces violences, même si certaines mesures peuvent contribuer à une prévention indirecte des violences sexuelles à l’égard des femmes autistes. Il y a probablement là une piste d’évolution à envisager.
Quant au Grenelle contre les violences conjugales, je ne suis pas convaincu que les actions spécifiques annoncées le 25 novembre dernier à destination des femmes en situation de handicap soient à la hauteur des enjeux. La « formation en ligne certifiante s’adressant aux professionnels des établissements et services médico-sociaux » manque d’ambition. Je ne vois pas comment une formation en ligne pourrait se substituer à un réel apprentissage, compte tenu de la complexité et de la sensibilité de la question.
Permettez-moi aussi d’exprimer quelques doutes sur les « centres ressources prévus dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et sexuelle et leur parentalité ».
Notre rapport souligne la nécessité d’une éducation à la sexualité pour toutes les jeunes femmes en situation de handicap, dans une perspective de prévention des violences et d’accompagnement à la maternité. Or ces centres ressources ne sont à la hauteur de cet enjeu ni par leur nombre, trop faible, ni par leurs objectifs, formulés en des termes aussi abstraits que flous.
Il nous a donc semblé que deux évolutions étaient nécessaires pour mieux accueillir les femmes handicapées victimes de violences. D’une part, il s’agit de faire en sorte que les politiques publiques du handicap intègrent la dimension de l’égalité femmes-hommes dès le plus jeune âge. D’autre part, les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes doivent systématiquement prendre en compte la dimension du handicap.
Seule cette approche transversale des questions relatives au handicap et des politiques publiques de lutte contre les violences, croisant le genre et le handicap, pourrait permettre aux femmes en situation de handicap d’avoir toute leur place dans les plans de lutte contre les violences.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe socialiste votera bien sûr sans réserve ce texte.