Lancé, le 3 septembre 2019, par le Premier ministre, le Grenelle contre les violences faites aux femmes a été une occasion sans précédent de dresser ce bilan accablant. J’y ai justement conduit un atelier sur les violences faites aux femmes handicapées.
La société ne doit plus détourner le regard de ces violences. Croyez-moi, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons relever ce défi, en prenant en compte les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap, dans tous les domaines de l’action publique. La mobilisation a permis d’accélérer et de renforcer la prise en considération du handicap dans la lutte contre les violences.
Conformément aux engagements pris par le comité interministériel du handicap, le 25 octobre 2018, et confirmés le 3 décembre 2019, nous avons lancé différentes actions.
La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, le Conseil national consultatif des personnes handicapées et les associations mobilisées se sont engagés dans la rédaction de fiches réflexes, qui visent à apprendre à tous les professionnels intervenant auprès des femmes en situation de handicap à repérer des violences qu’elles subissent ou ont subies, à mieux accompagner les intéressées et à mieux les orienter. Ces fiches sont finalisées ; il s’agit maintenant de travailler sur leur déclinaison opérationnelle, ce qui sera fait prochainement.
Pour ce qui concerne les urgences, le numéro 114 a été mis en accessibilité totale, afin que les femmes malentendantes ou sourdes puissent obtenir une réponse rapide.
Le Grenelle nous permet de poursuivre notre action et de l’amplifier. Ainsi, au titre de cette mobilisation interministérielle, nous allons agir plus fortement en matière de prévention. Lutter contre les violences faites aux femmes nécessite en effet de s’attaquer au problème à la racine ; l’éducation à la non-violence des enfants constitue donc un maillon indispensable de l’arsenal de mesures visant à combattre ces drames, afin d’éviter d’autres témoignages tels que celui-ci : « Au collège : harcèlement scolaire lié à mon handicap et au fait d’être une jeune fille. Le “légume” – c’est moi qui suis désignée comme tel par mes camarades – n’a pas la possibilité d’avoir un petit copain. On essaie de me rouler des pelles sans mon autorisation. » Ce témoignage, d’une femme de 32 ans atteinte d’un handicap physique de naissance, est très fréquent dans les collèges et les lycées.
Parmi les actions que nous allons engager à ce titre, une attention toute particulière sera accordée aux enfants et aux jeunes en situation de handicap. Nous devons être attentifs à ce que toutes nos actions puissent être adaptées, en tant que de besoin, aux femmes en situation de handicap.
À cet égard, je tiens à souligner une avancée importante : la mise en accessibilité prochaine du numéro 3919 pour les femmes sourdes ou malentendantes. Sur le fondement de la même exigence sera aussi créé un document accessible aux femmes en situation de handicap ; cela leur permettra d’être informées de la procédure, des recours et des possibilités d’accompagnement en cas de violence. Ce document sera adapté aux dispositifs locaux, en métropole comme en outre-mer, dans les lieux d’accueil, en coordonnant, par exemple, des actions locales.
Par ailleurs, nous nous sommes également engagés à mettre en œuvre des actions très spécifiques, afin de répondre aux attentes des victimes en situation de handicap. Un centre de ressources sera déployé dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap, dans leur vie intime et sexuelle et dans leur parentalité. Ce centre mettra sur pied un réseau d’acteurs de proximité, afin que chaque femme en situation de handicap puisse trouver des réponses, qu’il s’agisse de sa vie intime ou de violences subies.
De surcroît, ces centres constitueront un point d’entrée unique, avec un réel rôle de coordination des différents acteurs concernés et, surtout, une identification beaucoup plus simple des interlocuteurs nécessaires lorsque l’on est confronté au pire. Avec cette organisation, les femmes seront soutenues dans leur pouvoir d’agir, notamment au travers d’échanges avec leurs pairs.
Ces centres seront aussi au service des aidants familiaux et des professionnels ; ils permettront d’avoir plus rapidement des retours d’expérience, afin d’affiner toujours mieux l’action des services de l’État.
Ce dispositif existe déjà ; il s’inspire fortement du centre ressources de Nouvelle-Aquitaine, qui fonctionne bien, car il est adossé à l’ensemble de cet écosystème et qui, en parallèle, sensibilise les aidants familiaux et les professionnels médico-sociaux. Nous travaillons actuellement avec les acteurs concernés à la rédaction du cahier des charges de ces centres de ressources, afin que ceux-ci essaiment le plus vite possible.
Il sera rappelé à l’ensemble des établissements et services médico-sociaux la nécessité absolue du respect de l’intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées. Aucune tolérance ne doit être acceptée à l’égard d’éventuels manquements en la matière ; c’est fondamental. La plus grande vigilance sera exigée des autorités de contrôle sur l’identification et le traitement sans délai des violences.
Nous nous appuierons notamment sur la Note d ’ orientation pour une action globale d ’ appui à la bientraitance dans l ’ aide à l ’ autonomie, remise par Denis Piveteau, président de la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance, commission conjointe du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge et du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Ce rapport a été remis, en janvier dernier, à Agnès Buzyn et à moi-même.
Il s’agit également de capitaliser sur les initiatives qui fonctionnent, comme le projet HandiGynéco, institué en Île-de-France en mai 2018, sur l’initiative de l’agence régionale de santé. Ce projet permet de faire intervenir des sages-femmes au sein des établissements médico-sociaux franciliens, pour leur proposer un suivi gynécologique qui représente parfois, pour certaines femmes, la première consultation gynécologique.
Nous voulons aussi travailler sur la notion de violences, d’atteintes corporelles, tant avec les personnes handicapées qu’avec le personnel. J’ai pu le vérifier par moi-même en me rendant dans un établissement : c’est assez remarquable comme la parole peut enfin se libérer, comme les femmes peuvent parler de leur propre corps, de leurs ressentis. C’est indispensable.
Les items de la mesure de satisfaction prévus par la Haute Autorité de santé pour les personnes accompagnées dans les établissements médico-sociaux devront également prendre en compte la dimension de la vie affective et sexuelle. Nous allons également améliorer l’accès aux soins des femmes en situation de handicap. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Malhuret, il faut absolument que l’on puisse tous travailler sur l’accès aux soins, notamment gynécologiques, en mettant en œuvre les préconisations de la mission de Philippe Denormandie, figurant dans le rapport rendu à la ministre de la santé et à moi-même le 2 décembre 2019.
Il s’agit ainsi d’assurer une fluidité et une accessibilité du parcours de santé, de renforcer la prévention – une tumeur détectée chez une femme vivant dans un établissement médico-social est en moyenne dix fois plus grosse que celle d’une femme suivie en ville, c’est quand même une inégalité anormale – et la coordination des soins et, bien sûr, de favoriser au maximum le droit commun et le libre choix.
Il nous faut également travailler sur les urgences, avec la mise en place et l’essaimage de la charte Jacob, un excellent outil de formation aux problèmes des personnes en situation de handicap.
Nous soutiendrons les professionnels. Une formation certifiante en ligne sera mise en place afin de faire monter massivement en compétence tous ceux qui interviennent dans l’accompagnement. Cette formation est complémentaire de celles qui existent déjà dans les établissements médico-sociaux, elle ne s’y substitue pas, monsieur le sénateur Courteau.
Cela complétera les travaux déjà engagés par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées.
Je tiens par ailleurs à rappeler la signature, en mai 2018, d’une convention avec l’Unapei et la gendarmerie, destinée à promouvoir cette accessibilité au contenu et les formations des agents à la réception des plaintes.
Enfin, il nous reviendra de mesurer l’efficacité de notre action, afin de nous assurer de la réduction effective des violences subies par les femmes en situation de handicap. Les enquêtes devront comprendre des indicateurs permettant d’établir la réalité des violences subies, qu’elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, pour en suivre l’évolution.
Nous n’oublions pas non plus – plusieurs d’entre vous l’ont souligné – les questions relatives à l’emprise, notamment économique. Nous savons que ce phénomène peut constituer, pour les femmes en situation de handicap qui subissent des violences conjugales, un frein à la décision de quitter le domicile.
Pour résoudre cette situation, nous travaillons actuellement aux moyens, pour les femmes, de recouvrer leurs droits, de bénéficier du montant global de l’allocation aux adultes handicapés beaucoup plus rapidement après une séparation ou un divorce. Il en va de même pour ce qui concerne les solutions de logement d’urgence ; celles-ci doivent être adaptées au handicap de la victime.
Cela a été dit sur l’ensemble de vos travées, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons rester insensibles aux violences faites aux femmes handicapées ; votre proposition de résolution tout comme le rapport d’information d’octobre dernier de la délégation aux droits des femmes le démontrent.
Sachez-le, le Gouvernement y consacre la même énergie. Chaque action en faveur du handicap fait l’objet d’une étude portant sur l’égalité femmes-hommes, et la réciproque est également vraie, monsieur le sénateur Courteau.
Vous pouvez donc compter sur le Gouvernement pour se tenir aux côtés de la chambre haute chaque fois que se présentera l’occasion de faire avancer la cause qui nous réunit aujourd’hui, celle des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière.