Intervention de Laetitia Avia

Commission mixte paritaire — Réunion du 8 janvier 2020 à 17h00
Commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet

Laetitia Avia, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale :

Monsieur le président, madame la vice-présidente, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui, en commission mixte paritaire, pour étudier les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dont je suis rapporteure et auteure.

Ce texte est le fruit d'un long travail, commencé en 2018 par une mission réalisée aux côtés de MM. Karim Amellal et Gil Taïeb, poursuivi par le dépôt, en mars 2019, d'une proposition de loi soumise pour avis au Conseil d'État. Il repose sur trois piliers, qui conditionnent l'efficacité de la lutte contre la haine sur internet : une obligation pour les grands opérateurs de plateformes en ligne concourant à la viralité des contenus rendus publics de retirer ceux qui présentent un caractère manifestement haineux dans les vingt-quatre heures suivant leur notification ; la soumission de ces opérateurs au respect d'un certain nombre d'obligations de moyens sous la régulation administrative du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ; le renforcement des prérogatives des autorités publiques pour lutter contre la duplication des contenus déjà jugés haineux par l'autorité judiciaire.

En première lecture, l'Assemblée nationale avait approuvé à une très large majorité transpartisane les orientations de ce texte, après l'avoir enrichi par la création d'un délit de refus de retrait d'un contenu manifestement haineux, par diverses précisions apportées aux obligations de moyens mises à la charge des grandes plateformes et aux sanctions qu'elles encourent de la part du CSA, et par l'aménagement de la procédure de lutte contre la duplication des contenus haineux.

Le Sénat a poursuivi ce travail, et je m'en félicite. Il résulte de ses travaux une large convergence de vues entre les deux assemblées. Ainsi, le Sénat a approuvé et complété le volet relatif à la régulation administrative des plateformes par le CSA. Le Sénat a finalement également rétabli en séance, après l'avoir supprimé en commission, l'article 6 relatif à la lutte contre les sites miroirs, dans une version compatible avec celle qui avait été retenue par l'Assemblée nationale.

Restent des désaccords plus profonds, sur deux sujets.

Le premier concerne le champ des opérateurs visés par la proposition de loi : le Sénat a choisi d'exclure les moteurs de recherche du champ de ce texte, alors que l'Assemblée nationale les avait ajoutés, sur préconisation du Conseil d'État, afin de tenir compte du rôle décisif qu'ils jouent, au même titre que les réseaux sociaux, dans l'exposition des contenus publics en ligne, et aussi pour ne pas porter atteinte aux principes d'égalité et de non-discrimination. De manière quelque peu incohérente, le Sénat a décidé dans le même temps de permettre au CSA d'attraire dans le champ de sa régulation tout site internet qui acquiert en France un rôle significatif, dans une rédaction dont l'imprécision soulève de sérieuses difficultés juridiques.

Cette divergence est importante ; elle n'était toutefois pas insurmontable. Nous aurions sans doute pu parvenir à un accord sur cette question.

La seconde divergence est bien plus profonde : elle porte sur le coeur de la proposition de loi, à savoir l'obligation de retrait en vingt-quatre heures des contenus manifestement haineux. Le Sénat a remplacé cette obligation par le maintien du droit actuel, légèrement aménagé - ce droit a pourtant fait la démonstration de ses insuffisances et de son inefficacité. Je regrette ce choix, que je trouve insatisfaisant et, là encore, incohérent. Le Sénat le justifie par des risques de « surcensure » et de contournement du juge que présenterait l'instauration d'une telle obligation de retrait, dont le non-respect serait sanctionné pénalement.

S'il y a un texte, pourtant, d'où l'autorité judiciaire a presque disparu, c'est bien celui qui a été voté par le Sénat, puisque le délit autonome introduit par l'Assemblée nationale pour sanctionner le refus de retrait a précisément pour objet de placer ces retraits sous l'autorité du juge, seul compétent pour apprécier les atteintes susceptibles d'être portées à la liberté d'expression.

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