Comme le soulignait le Conseil d'État, qui recommandait sa création, ce délit ne ferait que « donner une portée effective aux dispositions actuelles de la directive e-commerce et de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. (...) Il ne soulèverait pas de difficulté au regard du droit constitutionnel et des obligations conventionnelles de la France. »
La position du Sénat est d'autant moins compréhensible qu'il a introduit, dans les obligations de moyens à la charge des opérateurs de plateformes, une disposition autrement plus attentatoire à la liberté d'expression, en exigeant non pas seulement le retrait ponctuel de tel ou tel contenu manifestement illicite, mais bien la suppression pure et simple de comptes entiers d'utilisateurs publiant des contenus haineux, sur le seul fondement du nombre de notifications dont ils seraient l'objet.
Le Sénat fait valoir également une contrariété probable du dispositif envisagé au droit européen, en se fondant sur les observations émises par la Commission européenne. Or ces observations portent, pour l'essentiel, sur le volet relatif à la régulation administrative des plateformes, et non sur l'obligation d'agir dans un délai fixé. Les remarques formulées par la Commission sur cette obligation de retrait pouvaient être prises en compte en précisant les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale des opérateurs et en explicitant la place de l'autorité judiciaire.
En définitive, si nous en restions au texte adopté par le Sénat, les opérateurs de plateformes seraient les grands gagnants : ils pourraient continuer de s'autodéterminer librement en la matière et ne seraient soumis qu'à des obligations de moyens, sans exigence de résultat. Les victimes de contenus haineux, elles, peuvent attendre !
Les discussions constructives que j'ai engagées avec notre collègue Christophe-André Frassa, dont je salue le travail et l'esprit d'ouverture, n'ont pas permis d'aboutir à une rédaction commune sur l'article 1er. Et vous comprendrez que nos dernières discussions m'aient laissée sans voix. Je le regrette, car j'avais formulé une proposition de réécriture de l'article 1er, tenant compte des critiques émises par le Sénat, dont j'avais pleinement suivi les débats, et permettant de répondre aux questions de flexibilité, d'appréciation et de contextualisation. Je le regrette, aussi, car il aurait été symboliquement et politiquement important pour nos deux assemblées qu'elles parviennent à un accord sur un texte dont l'objectif est partagé sur tous les bancs. Je le regrette, enfin, car cet échec retardera encore un peu plus l'entrée en vigueur de dispositions qui sont tant attendues par de nombreuses personnes. La France, comme d'autres pays, est confrontée à la prolifération des discours de haine sur internet ; elle doit démontrer sa détermination à avancer rapidement sur ce sujet au niveau national, en attendant l'indispensable révision, au niveau européen, de la directive e-commerce.
La majorité, à l'Assemblée nationale, prendra ses responsabilités pour que ce texte soit définitivement adopté dans les meilleurs délais, rendant effective la protection que nous devons à nos concitoyens.