Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du 15 janvier 2020 à 15h00
Réforme du régime des catastrophes naturelles — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Agnès Pannier-Runacher :

Monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs, madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir cet après-midi pour examiner cette proposition de loi portant sur un sujet important pour le Gouvernement, car il concerne nombre de nos concitoyens.

Notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles a fait ses preuves, mais doit être adapté à l’évolution des risques.

Avec l’accélération du changement climatique, nous affrontons une recrudescence des risques majeurs, qui font peser une menace croissante sur nos concitoyens et sur nos entreprises.

Nous l’avons observé depuis le début du quinquennat : avec l’ouragan Irma, les inondations dans l’Aude, la canicule ayant sévi cet été ou, plus récemment encore, les inondations dans le Var, notre pays est confronté de plus en plus fréquemment à des épisodes naturels d’une intensité extrême, qui suscitent des dégâts très importants.

Dans ce contexte, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles apparaît comme un régime de solidarité unique au monde, mobilisant l’État, les collectivités et les assureurs au service des sinistrés. Nous pouvons en être fiers.

Depuis sa création en 1982, ce dispositif a prouvé maintes fois sa solidité et sa légitimité. Ce sont 36 milliards d’euros d’indemnités qui ont été versées, soit environ 1 milliard d’euros par an, dont 550 millions d’euros au titre des inondations et 400 millions d’euros au titre de la sécheresse. Ce sont environ 3 300 reconnaissances de l’état de catastrophe naturelle par an, au bénéfice de millions de sinistrés sur la quasi-totalité du territoire français.

Mais, les événements des derniers mois l’ont prouvé, nous devons faire mieux. Le changement climatique n’attend pas. La France doit être aux côtés de celles et ceux qui, en un battement de cils, ont parfois tout perdu : leur maison, leurs espoirs, leurs économies et, parfois, leurs proches.

C’est pourquoi une réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est aujourd’hui nécessaire. Il nous faut un régime moderne, adapté aux enjeux du changement climatique et à l’accroissement des catastrophes naturelles que ce dernier induit.

À l’horizon de 2050, le coût des catastrophes naturelles pourrait augmenter de 50 % du fait de l’augmentation de la fréquence et de la sévérité des événements, de l’élévation du niveau de la mer et de la concentration des populations dans les zones à risques.

Certains territoires, cela a été souligné, seront plus fortement exposés aux risques naturels en raison des dynamiques démographiques et des effets du changement climatique. C’est notamment le cas des territoires ultramarins, avec une forte augmentation de la fréquence des cyclones.

Le régime CatNat devra donc être capable de faire face à un accroissement des événements climatiques majeurs et des demandes d’indemnisation qui en découleront. Il faudra également, comme cela a été signalé, adapter la politique de prévention. Vous l’avez souligné, 1 euro investi dans la prévention pour 7 euros économisés : c’est une économie dont nous allons vite voir l’intérêt !

La procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et d’indemnisation doit donc évoluer pour être plus simple, plus transparente, plus réactive et plus efficace.

Il nous semble également important que ce régime incite davantage à la prévention et contribue à établir une véritable culture de gestion des risques. Vous vous souvenez que le Président de la République, à la suite du cyclone Irma, avait appelé de ses vœux une réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles.

Je me réjouis que ce souhait soit partagé par une coalition aussi large dans cet hémicycle.

Cette proposition de loi et l’excellent rapport rendu par Mme la sénatrice Nicole Bonnefoy constituent une première contribution importante à ces travaux. Je me félicite donc de ce texte, dont les principes directeurs sont, à bien des égards, proches des convictions animant le Gouvernement.

Je partage, avec son auteure principale, l’idée selon laquelle les démarches de prévention doivent jouer un rôle accru pour nous permettre de mieux gérer la montée des risques. Nous pensons effectivement qu’il faut mieux inciter à la prévention et améliorer les outils dédiés à cet objectif.

Il nous semble également important de renforcer les droits des assurés – particuliers, entreprises ou collectivités – et de garantir une indemnisation équitable, rapide et complète des sinistrés, comme l’a demandé le Président de la République.

Enfin, nous devons penser aux élus locaux et aux maires. Ils sont en première ligne lors d’une catastrophe naturelle. Ce sont eux, en liaison avec les préfets, qui décident des premières mesures d’accompagnement des sinistrés. Ce sont eux qui, une fois le sinistre passé, engagent la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Il faut leur donner les moyens d’agir sereinement et efficacement.

Toutefois, les mesures contenues dans cette proposition de loi soulèvent des interrogations techniques. Certaines vont dans la bonne direction, mais d’autres pourraient être retravaillées.

S’agissant de l’article 1er, nous partageons l’ambition d’une mobilisation dans les meilleures conditions du fonds Barnier pour financer des projets concourant à la prévention des sinistres et à la réduction des vulnérabilités. Il faut évidemment que les moyens engagés soient à la hauteur des besoins.

Toutefois, un certain nombre de dispositions sur le fonds Barnier présentées ici, en particulier la question de son plafonnement, relèvent de la loi de finances.

Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une réflexion sur la mobilisation de ce fonds, qui occupera le Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs. Nous proposons d’avancer sur ce sujet, et d’arrêter différentes décisions en ayant pris le temps de la discussion et de la concertation.

S’agissant des modalités d’indemnisation assurantielle évoquées à l’article 2, le Gouvernement est prêt à travailler sur la question du relogement, sous réserve de consultations supplémentaires visant à en définir les conditions.

Nous sommes réservés sur l’allongement du délai biennal de prescription pour la garantie catastrophe naturelle, allongement susceptible de créer de la confusion chez les assurés sans répondre à leurs problèmes les plus urgents.

L’introduction d’un principe de « réparation pérenne et durable » ne nous semble pas conforme au principe d’une indemnité proportionnelle au dommage à la base de l’assurance.

La création d’un nouveau crédit d’impôt prévue à l’article 3 semble prématurée, alors que plusieurs dispositifs, tels que le fonds Barnier et certaines réductions d’impôt accordées par ailleurs, apportent déjà des réponses concrètes.

En matière de procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle évoquée à l’article 4, le Gouvernement partage les objectifs de transparence et d’efficacité évoqués dans le texte. Dans ce but, il a déjà mis en œuvre des améliorations très concrètes : par exemple, la création d’une procédure de reconnaissance accélérée ou la dématérialisation engagée de la procédure de reconnaissance, via l’application iCatNat, qui permet aujourd’hui à toutes les communes de France de déposer leur demande de reconnaissance par internet en quelques minutes. Nous sommes favorables à une amélioration de la transparence sur les motivations des décisions, tout en veillant toutefois à ne pas alourdir à l’excès les procédures administratives.

Enfin, à l’article 5, l’idée générale d’organisation de cellules de soutien aux maires confrontés aux effets d’une catastrophe, cellules composées d’élus locaux et de personnes qualifiées, est intéressante. Mais elle doit être approfondie, afin de bien coordonner l’action des différents intervenants sur cette matière.

Nous proposons donc de pousser plus loin le travail technique sur ces différents points pour parvenir à un dispositif techniquement abouti, et nous ne serons pas en mesure de donner un avis favorable, à ce stade, à la rédaction retenue pour ces mesures.

Le Gouvernement s’engage toutefois à approfondir rapidement les travaux et à enrichir le texte en cours de navette parlementaire. Nous lancerons à cet effet une concertation à brève échéance.

En effet, au-delà des interrogations techniques que j’ai mentionnées sur plusieurs dispositions figurant dans la proposition de loi, un certain nombre de points me semblent mériter de plus amples consultations avec l’ensemble des parties prenantes. Nous mènerons ce travail dans les prochaines semaines, en nous appuyant notamment sur le Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, dont un grand nombre d’élus font partie.

J’identifie quatre thématiques principales que nous souhaitons approfondir dans les prochaines semaines.

La première thématique est l’amélioration du système de franchises, afin de s’assurer d’un traitement équitable de tous les assurés et d’adapter la prise en charge à leur situation : entreprises, particuliers ou encore collectivités.

La deuxième thématique est l’amélioration de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, pour faire en sorte que ce régime soit mieux connu et mieux compris par les collectivités et par les assurés, en répondant aux exigences de transparence, de rapidité et d’efficacité.

La troisième thématique est le renforcement de nos outils de prévention, non seulement en modernisant le fonctionnement du fonds Barnier, mais également en incitant l’ensemble des acteurs, particuliers comme assureurs, à davantage investir dans les mesures de prévention.

La quatrième thématique est l’amélioration de la couverture outre-mer. En moyenne, seuls 50 % des biens ultramarins sont couverts par une assurance dommages contre 98 % en métropole. Le Gouvernement a donc lancé une réflexion relative à la résorption du phénomène de non-assurance ou de sous-assurance outre-mer.

Telles sont en quelques mots, mesdames, messieurs les sénateurs, les pistes de réflexion que je souhaite vous soumettre.

Votre mobilisation sur ce sujet qui touche la Nation tout entière est importante.

Même si nous ne sommes pas en mesure de nous rallier à l’ensemble des propositions discutées aujourd’hui, le Gouvernement entend jouer un rôle constructif dans cette démarche. Les travaux que j’ai évoqués, qui sont en cours, que nous allons accélérer, permettront avec votre concours de l’enrichir.

Je souhaite que nous puissions aboutir rapidement sur ce chantier législatif, afin de rendre possible une réforme ambitieuse et efficace de notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Il est dans l’intérêt de l’ensemble de nos concitoyens que nous parvenions rapidement à des améliorations concrètes et utiles. Il y va, aussi, de l’intérêt du modèle français de solidarité.

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