Monsieur le ministre d'État, merci d'avoir répondu à notre invitation. Notre commission, vous le voyez, compte certains de vos compagnons de route dans la politique de la ville.
Depuis la présentation de votre rapport « Vivre ensemble, vivre en grand la République : pour une réconciliation nationale », vous avez observé une forme de diète médiatique et politique. Je crois d'ailleurs que votre venue devant notre commission, pour parler de la politique de la ville, est la première devant la représentation nationale depuis cette date. Elle n'en a que plus de prix à nos yeux.
Vous êtes de ceux dont la parole compte car vous avez su allier, lorsque vous étiez aux responsabilités, la sincérité dans l'engagement à des réalisations effectives et marquantes. Les Français s'en souviennent, bien au-delà de la ville de Valenciennes. Pour beaucoup, le fait que le Président de la République ait finalement renoncé à suivre une grande partie de vos préconisations est apparu comme révélant un manque d'ambition, qui a laissé un vide et marqué une absence de projet pour les quartiers et bien au-delà.
En effet, quand on relit votre rapport, on s'aperçoit qu'il ne s'intéressait pas seulement aux 1 500 quartiers prioritaires de la politique de ville, mais aussi « aux territoires ruraux délaissés, aux villes et bassins en grave déprise ». Cette France-là ressemble beaucoup à la France des gilets jaunes, à celle que je connais dans les Yvelines, bref à cette France périphérique, qui se sent éloignée des moteurs de la réussite. Vous écriviez : « Il est clair que l'écart des chances d'avenir, selon les territoires, les origines sociales, la géographie urbaine, ne cesse de croître. Cette situation ne sera pas tenable si nous renonçons à intégrer dans le rêve français dix millions d'âmes invisibles, une jeunesse lumineuse, colorée et en quête de participation ».
Votre vision volontariste s'est heurtée, sur le plan financier, à l'hostilité de Bercy, et, sur le plan politique, à une théorie du laisser-faire, qui voudrait que l'amélioration de la situation des quartiers vienne de celle du climat économique en général. Or, sans nier l'aspect moteur de l'économie, nous savons qu'il faut faire davantage pour dénouer l'écheveau de la relégation dans laquelle restent emprisonnés un grand nombre de quartiers.
Avec votre expérience et votre recul, c'est le premier thème sur lequel je souhaiterais vous interroger. Vous pointiez soixante quartiers en risque de fracture, quinze en risque de rupture avec la République, animés, pour ainsi dire, par d'autres valeurs, une forme de contre-société où peut fleurir le radicalisme puis le terrorisme. Quelle dynamique observez-vous ? Avez-vous l'impression d'une amélioration ou d'une aggravation de la situation ?
On vous a parfois reproché de prétendre résoudre les problèmes des banlieues par les infrastructures et les démolitions, en dépensant beaucoup d'argent sans forcément traiter les autres sujets, bref de mettre l'urbanisme avant toutes les autres politiques publiques. Un rapport publié hier par le Conseil d'analyse économique, intitulé « Territoires, bien-être et politiques publiques » souligne l'influence de la perte d'équipements, et en particulier celle des services publics ou de santé et des commerces, dans le malaise des habitants. Dans une interview au journal Le Monde, vous regrettiez que les moyens publics soient remplacés par des annonces publiques. Avez-vous l'impression que l'on dépense assez pour les quartiers ? Estimez-vous que cet argent est bien investi ?
Dans votre rapport, vous déploriez une politique de rénovation urbaine à l'arrêt. Mmes Valérie Létard et Annie Guillemot avaient, elles aussi, dénoncé cette situation, alors que la multiplication des études crée incompréhension, déception et finalement découragement. L'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) semble être repartie, un grand nombre de projets a été validé en fin d'année dernière. Est-ce le bon rythme ? Faut-il accélérer ? Prendre le temps ?
Enfin, votre rapport proposait dix-neuf programmes dont une « académie des leaders, nouvelle grande école ». Peut-on espérer que la Commission Thiriez reprenne tout ou partie de vos propositions ?