Je suis très heureux d'être de retour dans cette grande maison. Je ne suis pas dans un agenda politique : c'est un simple citoyen qui vient parler à des citoyens en charge, loin des polémiques, uniquement pour donner un éclairage.
D'ailleurs, il est à propos que ce soit devant la commission des affaires économiques que je m'exprime. Notre pays est à maturité démographique et technologique. Où sont ses réserves de croissance ? À part le digital, le numérique, autour de quoi nous développons déjà une nouvelle économie, comme du reste nos voisins, il n'y en a pas beaucoup. Si ce n'est que la France est un moteur à quatre cylindres, qui fonctionne avec trois : une grande partie de la jeunesse n'est pas dans le train de développement économique et social de notre pays. Le taux de chômage général de la jeunesse est élevé, ce qui aboutit à un taux hallucinant de non-participation au développement économique car elle se trouve dans des zones délaissées, c'est-à-dire l'ensemble de nos quartiers en grande difficulté, certains bassins en déprise, les zones rurales dévitalisées et nos départements d'outre-mer - soit dix millions d'habitants, excusez du peu, qui ne contribuent pas, ou peu, à la croissance de notre pays.
Or le premier plan de cohésion sociale a été le principal moteur de croissance de l'époque : si la France, en 2008 et en 2009 - les effets sont différés en matière d'emploi - a vu son taux de chômage passer de 10,3 % à 7,2 %, et son déficit public tomber à 2,2 %, c'est parce que M. Breton, ministre des Finances, avait parfaitement conscience que le premier investissement de notre pays était dans ses ressources humaines. Tous les lundis matin, M. Thierry Breton et ses équipes traversaient la Seine pour aller chez les pauvres, c'est-à-dire les ministères sociaux, les dépensiers, comme on disait - et comme on dit encore - à Bercy, pour examiner avec eux, pendant quatre heures, l'ensemble des investissements que la nation devait faire en matière sociale.
Je suis convaincu que le redressement du pays ne peut pas se faire sans les 500 000 jeunes actuellement exclus. Nous avons une croissance de 1,2 %, alors que le prix du pétrole est maîtrisé, que les taux sont négatifs, qu'aucune guerre ou aucune grande crise financière ne sévit... Ce n'est pas imaginable ! Quid, alors, quand le baril atteindra 100 dollars, que les taux d'intérêt seront à 2,5 %, et qu'une bulle financière spéculative éclatera ? C'est de la rentabilité de notre nation que nous parlons, de son investissement. Que faisons-nous des départements d'outre-mer (DOM) ? Un problème ou un endroit formidable où l'on peut inventer de nouveaux écosystèmes, travailler sur la biodiversité, sur les économies d'énergie et sur le rapport à la mer et aux océans, qui sera le grand sujet du siècle ? La richesse de notre jeunesse, sa puissance, ses capacités, sont là. Nous avons trois fois plus de moins de 20 ans qu'ailleurs ! Il ne faut pas l'aborder de manière larmoyante. On dit toujours que la puissance d'une chaîne, c'est la puissance de son maillon le plus faible.
Tout cela est à la fois nécessaire et rentable, car cela contribuera au redressement des comptes publics. Il s'agit, de plus, d'un projet enthousiasmant pour la nation.
Les sondages sur la rénovation urbaine des quartiers montrent un taux de satisfaction sensiblement comparable - autour de 90 % - dans les quartiers eux-mêmes et dans les centres villes. Dans une commune donnée, dans un même bassin de vie urbain, il n'y a donc pas de différence d'appréciation sur ce qu'il faut faire entre la bourgeoisie du centre-ville, qui vit au pied de la cathédrale, et les quartiers.
J'avais commencé un petit plan d'action - qui n'est pas le mien, puisqu'il a été fait avec vous, avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) avec la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), avec les chambres de l'agriculture, les chambres des métiers, les chambres de commerce, les collectivités territoriales, les syndicats, bref, avec tous les acteurs de la nation. En fait, ce n'est pas très difficile. C'est une question de méthode. Notre pays, globalement, aspire au rêve républicain. Nous sommes une sorte de monarchie de droit divin, avec une volonté d'équité républicaine.
Mais, contrairement à une idée reçue, la France n'est pas un pays centralisé. La monarchie et sa cour le sont. Le pouvoir d'influence l'est. La presse de cour l'est. Les moyens d'influence financiers le sont. Mais pas l'action publique. Aucun pays d'Occident n'a autant de lieux de pouvoir à sa disposition ni des leviers financiers d'action pour l'intérêt général aussi dispersés ni aussi nombreux, avec 36 000 communes, des agglomérations, des pays, des métropoles, des départements, des régions, sans parler d'Action logement, de la CNAF, de la CNAM, des chambres de commerce, des chambres des métiers, et, un peu, de l'État - qui est le seul opérateur qui enregistre 30 % de pertes, puisque ses dépenses dépassent ses ressources. Avec une telle dispersion des moyens et des capacités de décision, il est très compliqué d'avoir une action opérationnelle. En fait, aucune action publique n'est menée à moins de sept acteurs - qu'il s'agisse des crèches, de la petite enfance ou de la rénovation urbaine.
Or, dans ce système, nul n'a rédigé la commande, et la stratégie n'est pas écrite. Du coup, les sept acteurs ne savent pas ce qu'ils ont à faire. Pour ma part, je ne connais qu'une règle dans les affaires difficiles : une mission, un chef, et des moyens ! Avec une organisation aussi dispersée, il faut d'abord se demander quels sont les dix ou vingt sujets, quel est l'objet, quel est l'état de la situation, pourquoi on en est là... Bien sûr, on n'en est pas là parce qu'il y a des gens pas gentils, on n'en est pas là parce qu'il n'y a que des crétins. On en est là parce qu'on avait mis en place un dispositif qui était intelligent et qui, avec le temps, est devenu idiot parce que les choses ont changé, ont évolué. Bref, il n'y a pas de drame à réaliser une analyse froide d'une situation. Par exemple, on ne dit jamais qu'au pays de Voltaire nous avons le plus haut taux d'illettrisme de l'OCDE. Si l'on ajoute l'illectronisme, qui met en cause le droit de chaque citoyen à accéder à un service quelconque par des moyens digitaux, on est à 14 millions : voilà qui n'est pas un petit sujet !
Tout cela nuit à la croissance du pays et crée de l'insatisfaction sociale. L'État peut bien faire des rapports, il faut impliquer agglomérations, métropoles, en utilisant les bâtiments des écoles, avec une organisation, un financement paritaire, puisant dans les crédits de la formation professionnelle. Je vous le dis : pour n'importe quel sujet, on est sept. D'abord, il faut impliquer tous les organismes d'un même quartier, le maire, l'agglomération, le département, et aussi Action Logement, sans oublier l'État... Bref, le décrochage des 10 millions de familles est un drame social et humain auquel il faut apporter des réponses économiques. Car nous n'avons pas beaucoup d'autres réserves de croissance - si ce n'est, sur le plan extérieur, le continent africain.
La France est un pays qui laisse filer mais qui, quand il décide de traiter un problème, le traite à une vitesse phénoménale. Ses élites sont à la fois désinvoltes et capables de se mobiliser collectivement avec une efficacité redoutable. Ce sujet est central, et potentiellement mortel, pour la République. Pour autant, il n'est pas extrêmement complexe. Et le régler serait tout-à-fait rentable - et ce n'est qu'un problème de méthode. Voilà comment je souhaitais résumer la situation à des responsables politiques qui représentent la nation, et tout particulièrement l'ensemble de son territoire, et doivent jouer le rôle d'aiguillon.