Je serai assez sobre dans mon commentaire sur le livret A. Je transmettrai cette semaine une analyse définitive au ministre de l'économie et des finances. Le Gouvernement fixe la formule, la Banque de France est chargée d'en calculer l'application. C'est la moyenne des taux d'intérêt à court terme et de l'inflation des six derniers mois, qui restent bas. Les taux bas soutiennent l'économie française et sa croissance, notamment dans le secteur de la construction. Le logement social doit pouvoir en bénéficier, comme l'a rappelé le directeur de la Caisse des dépôts et consignations. L'enjeu, c'est la construction de 17 000 logements en plus ou la rénovation de 52 000 autres. Il n'y a pas de raison de déroger à la formule de calcul du livret A.
Le livret d'épargne populaire reste le moyen de protection de l'épargne des Français, avec un taux de rémunération supérieur à celui du livret A. Il y a un modèle français de l'épargne réglementée, qui n'existe chez aucun de nos voisins européens. La pérennité de ce modèle passe par un équilibre entre la construction de logements sociaux et la juste rémunération des épargnants.
Mon ancien collègue de la Banque d'Angleterre se consacrera au verdissement - certain - de la finance et éventuel de la politique monétaire. Il y a deux jours, à Bâle, il me disait à quel point il comptait sur la Banque de France, sur les autorités françaises et sur le réseau qu'elles ont créé, le Network for Greening the Financial System (NGFS), en décembre 2017, lors du sommet OnePlanet à Paris. C'est un succès collectif : de huit banques centrales et superviseurs au départ, l'initiative réunit désormais cinquante pays et douze organisations internationales, dont le Fonds monétaire international (FMI). La banque centrale américaine n'en est pas membre, mais les banques centrales du Canada et du Mexique en font partie. C'est une coalition enthousiaste de volontaires ; nous croyons profondément que les choses doivent et peuvent changer. Il faut assurer la supervision, puisque le risque climatique est un risque financier à long terme. À la Banque de France, sa gestion est passée du département RSE (responsabilité sociale des entreprises) au département de contrôle des risques, qui est central. La France va mettre en place des stress tests de résistance climatique en mars. Christine Lagarde a annoncé que le verdissement serait un point important de la revue stratégique monétaire qui serait menée cette année.
Je suis convaincu de la nécessité d'aller dans ce sens, avec deux outils : nous devons intégrer dans toutes nos analyses et prévisions l'effet climatique. Si la bataille n'est pas gagnée, nous aurons une perte de croissance à long terme. À court terme, le faible taux de la croissance allemande était dû, à l'été 2018, à la sécheresse et au faible niveau du Rhin qui a pénalisé l'industrie chimique. Second outil, dans notre politique de collatéral, nous devons intégrer le risque climatique dans les valeurs titres prises en garantie. Les actifs soumis à un risque climatique doivent se voir appliquer une décote. C'est un gros changement potentiel.
En octobre, nous avons publié un diagnostic commun avec Bercy sur l'endettement immobilier des ménages. Le HCSF, que vous avez créé par la loi bancaire de 2013, est une innovation mal connue mais essentielle, présidée par le ministre des Finances, dont je suis rapporteur, et dont le secrétariat est assuré par la Banque de France et le ministère. En décembre, le HCSF a pris un certain nombre de recommandations, notamment sur les conditions d'octroi. Il a rappelé des règles de bon sens dans la gestion en bon père de famille, à savoir une durée au plus de 25 ans et un taux d'effort maximal de 33 %. Nous avons donné une flexibilité maîtrisée de 15 % au-delà de ces deux critères. Cette recommandation s'applique aux nouveaux prêts. Nous nous attendons à des changements rapides de comportement des banques. Si cela ne suffit pas, nous passerions à une phase de surcharge en capital pour les nouveaux prêts non conformes. C'est une bonne réponse pour le crédit immobilier. Le niveau de sinistralité est bien maîtrisé grâce aux caractéristiques du système français, mais nous sommes préoccupés par deux tendances : il y a une dérive forte du taux d'effort, pour laquelle il faut marquer un coup d'arrêt, et le diagnostic montre des inquiétudes dans la perception des ménages de leur capacité à rembourser. Cette dynamique peut jouer négativement. Nous devons être vigilants. La croissance des crédits immobiliers atteint 7 %. Les taux bas contribuent au soutien de l'activité, mais nous veillerons à éviter les excès.
Vous avez cité les estimations des banques sur Bâle III, mais soyons prudents, car les paramètres de transposition sont loin d'être tous fixés. Nous allons agir pour qu'ils soient maîtrisés.
Nous sommes vigilants pour que la transposition soit équitable, et réalisée par tous, y compris par les Américains. Il est hors de question que nous transposions l'accord si les Américains ne le font pas. Mais ils appliquent déjà Bâle et ont montré leur intention de transposer Bâle III. L'enjeu, ce sont les modèles internes bancaires. Les banques américaines appliquent des modèles standards pour leurs crédits aux entreprises, tandis que les banques européennes appliquent des modèles internes propres à chaque banque, pondérés en fonction de leur expérience. Les Américains voulaient proscrire ces modèles internes, qui favorisaient les banques européennes. Or nous avons préservé durablement, dans Bâle III, les modèles internes, en acceptant une comparabilité accrue. C'est un bon équilibre. Le nouveau plancher en capital, l'output floor, rapport entre le résultat du modèle interne et le modèle standard, montera très progressivement jusqu'à 2027, où il se situera à 72,5 %. Avec cette comparabilité accrue, l'effet sera probablement plus fort sur les banques européennes que sur les banques américaines puisque les premières utilisent davantage ces modèles internes.
Bâle III ne pèsera pas sur le financement de l'économie française ; je m'y engage. Cette crainte des banques françaises s'est toujours révélée infondée. Le crédit aux entreprises comme aux ménages progresse de 7 % par an. Bâle III ne nécessitera pour aucune banque française d'augmentation de capital dédiée, car il est compatible avec la mise en réserve habituelle de leurs résultats.
Nous négocierons fermement un accord équitable et raisonnable. Nous nous battons pour que l'output floor s'applique au niveau consolidé des établissements de crédit, ce qui est indispensable notamment pour les banques mutualistes. Par ailleurs, nous veillerons à ce que l'application du plancher s'articule de façon adaptée avec les coussins européens de capital - le « pilier 2 » - afin d'éviter toute surtransposition européenne de l'accord. Les spécificités du système bancaire français seront préservées, dont les crédits à l'immobilier et aux PME.
Nous sommes vigilants, mais l'essentiel est de préserver les acquis, comme le renforcement équilibré, partout, des règles de sécurité financière. L'année 2020 marque une nouvelle décennie après celle des suites de la grande crise financière, mais dix ans après, il serait grave de céder à la tentation de l'oubli.
Sur les difficultés du fameux KYC (Know your customer), ces vérifications d'identité font partie de la lutte anti-blanchiment. Il s'agit d'un sujet délicat, y compris dans la vie pratique. Nous sommes, autour de cette table, des personnes politiquement exposées. Aucun d'entre nous ne doute de la justification générale de ces dispositions, la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Le Groupe d'action financière (GAFI) est une création de la présidence française du G7 en 1989. Nous appliquons une norme décidée internationalement, mais l'application relève de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). La commission anti-blanchiment de l'ACPR a pris des lignes directrices pour une application réelle de la directive.
Les modalités de mutualisation des contrôles méritent d'être étudiées. Jusqu'à présent, l'idée n'a pas avancé, car les banques ne souhaitaient pas mutualiser leurs fichiers clients. Si nous allons dans ce sens, il faudrait envisager avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) les possibilités de création d'un tel fichier central. Nous devons trouver le bon équilibre entre des principes bienvenus et l'application pratique, qui doit être supportable.
Dans son rôle de contrôle, l'ACPR repère périodiquement des manquements. Au moment où la France était touchée par le terrorisme, il y a eu trois cas d'acteurs financés - parfois modestement - par des banques françaises. Ce sont quelques cas parmi des millions de clients, mais qui montrent bien que nous devons rester extrêmement mobilisés.