Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 janvier 2020 à 10h10
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Merci pour toutes ces questions. Le débat sur la politique monétaire est légitime. Celle-ci est conduite indépendamment par Eurosystème, pour le bien commun. La semaine dernière, je suis intervenu devant l'université Paris Dauphine sur les taux bas, leurs causes et leurs effets pour la France. Les taux bas sont bons pour l'économie européenne et pour l'économie française - même s'ils posent question. Depuis que la BCE et l'Eurosystème pratiquent cette politique non conventionnelle, en 2014, les taux bas ont apporté entre deux points et deux points et demi de croissance supplémentaire à l'Europe. Les effets sont les mêmes pour la France. À l'échelle de la zone euro, il y a eu onze millions de créations d'emplois depuis 2013, dont deux à trois millions seraient liées à la politique monétaire. Les mêmes proportions, pour la France, donnent de 200 000 à 250 000 créations d'emploi depuis 2016 liées à la politique monétaire. L'effet sur la croissance est significatif. L'effet sur l'inflation est estimé à environ 1,5 % sur la même période. La croissance et l'inflation ne dépendent pas que de l'économie monétaire, mais celle-ci y contribue incontestablement. Je souligne ces faits car notre mandat est d'abord lié à l'intérêt général économique et à la stabilité des prix.

Autant la politique monétaire est sans conteste positive pour les acteurs économiques, y compris les ménages qui sont les premiers bénéficiaires des créations d'emploi, autant la prolongation des taux bas, rendue nécessaire par le refroidissement économique en cours depuis fin 2018, pèse sur la rentabilité des banques et des assurances. Le reconnaître ne vaut pas condamnation des taux bas mais nécessité d'adaptations.

L'effet exact de la politique monétaire sur les banques est un sujet compliqué. Les banques se plaignent toujours de la diminution de leurs marges, mais elles jouissent aussi de conséquences positives telles que la diminution de la charge du risque, qui est très sensible dans les réseaux bancaires ; l'augmentation de certains volumes de crédits ; des plus-values en capital très importantes pour les assurances et assez significatives aussi pour les banques. Jusqu'à la période la plus récente, nous estimions que les effets des taux bas étaient équilibrés. Il est vrai que leur prolongation augmente le poids de la part négative.

Revenons sur la nécessité d'adaptations. De façon un peu simpliste, la mauvaise réponse est : « changez de politique monétaire » - ce qui serait une erreur - et « allégez les contraintes réglementaires et de capital ». Comme M. Bocquet, je pense que déréglementer ne serait pas une bonne idée. Nous devons négocier la bonne transposition de Bâle III en Europe, mais revenir sur les progrès réalisés en matière de sécurité financière serait grave et dangereux. La bonne réponse est de reconnaître le problème, de favoriser l'adaptation des banques et des assurances aux taux bas et de surveiller les risques sur la stabilité financière. C'est réaliste, car les taux bas sont là pour durer : autant s'y adapter. L'essentiel de cet effort d'adaptation relève des banques et des assurances elles-mêmes. L'étude de McKinsey met en avant des défis technologiques à relever. J'y reviendrai, mais une consolidation est aussi souhaitable. En effet, les banques européennes sont malheureusement de taille bien plus réduite que les banques américaines.

Ce n'est pas à nous de décider de leur stratégie, mais nous pouvons les accompagner. Nous avons notamment pris une mesure dite de tiering, c'est-à-dire de différenciation de la rémunération des dépôts auprès de la banque centrale. Nous avons décidé en septembre dernier qu'une bonne partie des dépôts des banques commerciales auprès de la Banque de France et des diverses banques de l'Eurosystème seraient exonérés du taux négatif de -0,5 %. Cela représente une diminution du coût des taux négatifs de 4 milliards d'euros par an pour l'ensemble du système bancaire européen et d'environ 800 millions d'euros pour les banques françaises.

Parmi les mesures d'adaptation que nous pouvons faciliter, citons notre surveillance des crédits afin de nous assurer que la pratique du crédit reste saine. Le ministère des finances, avec notre soutien, a publié un arrêté intégrant la provision pour participations aux bénéfices (PPB) au calcul de solvabilité. Restons très vigilants sur la stabilité financière, tout en répétant que les taux bas ont un bilan économique et social positif.

Monsieur Canevet, je ne valide par le chiffre d'une banque sur trois, heureusement, dans le cas de la France. Le système bancaire français est parmi les meilleurs d'Europe. Je vous rejoins sur la diversification de l'épargne. À cet égard, certaines dispositions de la loi Pacte vont dans le bon sens.

Je n'ai pas beaucoup d'éléments nouveaux sur Arkéa. Il me semble que le débat est moins passionnel et je m'en réjouis. Le Crédit Mutuel et Arkéa, ou le Crédit Mutuel dont Arkéa, est un groupe, ou deux établissements, solides.

M. Husson m'a interrogé sur l'union bancaire. Je partage le souhait d'une consolidation. Nous devons lever les obstacles réglementaires qui demeurent malheureusement. En effet, monsieur Raynal, certains petits pays sont beaucoup plus réticents que nous, parfois pour protéger un secteur bancaire domestique de petite taille. Aux États-Unis, les cinq premières banques, après la crise et la digitalisation, représentent 40 % du marché. En zone euro, les cinq premières représentent moins de 20 % du marché et restent largement nationales, ce qui est très sous-optimal. La digitalisation représente un effort d'investissement, à coût fixe, qu'un établissement trop petit n'a pas la capacité d'amortir.

Monsieur Dallier, je n'ai pas souhaité balayer le sujet des distributeurs automatiques de billets (DAB). Vous savez comme j'y suis sensible. Nous avons passé beaucoup de temps sur le rapport. Je rappelle qu'il existe plus de 50 000 DAB en France, avec une densité plus forte que chez nos voisins. Leur nombre est effectivement en baisse de 5 % depuis 2015, mais essentiellement en milieu urbain. Cela ne signifie pas que nous ne devons pas rester vigilants dans certains territoires ruraux.

Je l'ai dit, les taux bas représentent un gain pour l'immense majorité de nos concitoyens et des entreprises.

La bulle immobilière n'est pas directement de la responsabilité de la Banque de France. Ce qui est frappant, c'est la différenciation dans le paysage immobilier : les prix augmentent fortement dans les grandes villes et stagnent voire baissent en milieu rural. Je peux espérer, même si ce n'est pas leur premier objectif, que les mesures du HCSF contribuent un peu à réduire l'augmentation dans les grandes villes. En effet, les trois quarts de la fameuse flexibilité de 15 % sont fléchés vers l'accession à la propriété ou l'achat par des propriétaires. Elle profite moins à l'investissement locatif dans l'ancien, qui alimente particulièrement la hausse dans les grandes villes.

J'avoue ma limite sur la philosophie du capitalisme. Je ne crois pas avoir dit que la création d'un million net d'emplois était liée uniquement à la flexibilité du marché. Il y a d'abord la croissance, mais aussi le CICE puis sa transformation en baisse de charges et le rétablissement de la compétitivité salariale sans toucher au pouvoir d'achat des salariés.

Je n'ai pas non plus dit que la flexibilité, en soi, créait des inégalités. Je suis extrêmement sensible à ce thème. Les inégalités ont diverses sources ; elles ont longtemps été sous-estimées dans le débat politique. On en voit les conséquences. Soulignons tout de même que les inégalités ont beaucoup moins crû dans l'Union européenne que dans le reste du monde et beaucoup moins en France qu'ailleurs. Le problème principal est leur persistance, notamment à travers les générations. Nous devons surtout porter l'effort sur les inégalités héréditaires.

Monsieur Bocquet, j'espère avoir répondu sur Bâle III ; je vous rejoins assez largement, tout en disant que nous devons négocier des choses raisonnables.

Je suis beaucoup plus positif que vous sur la politique d'assouplissement quantitatif. La politique monétaire a longtemps été suspectée d'être faite pour les banques ; je crois, lorsque l'on entend les critiques des banques actuellement sur la politique monétaire, que ce soupçon peut être levé ! Toutefois, la politique monétaire ne peut pas tout faire ni être le seul instrument pour stimuler la croissance, l'emploi et l'inflation. C'est pourquoi nous faisons des appels répétés à la politique budgétaire, surtout dans les pays qui ont des marges de manoeuvre. La politique salariale peut aussi être un instrument, mais les décisions relèvent des entreprises. La hausse moyenne du salaire réel par tête en Europe s'élève à 2,5 %, selon le dernier chiffre connu. C'est plus que l'inflation, mais l'inflation n'augmente pas. Nous devrons comprendre pourquoi. Les salaires sont un levier de croissance et d'inflation, dans les limites imposées par la compétitivité. Il faut un juste équilibre.

En ce qui concerne le livret A, les circonstances exceptionnelles ne sont pas davantage définies par l'arrêté. Une évolution sensible des taux d'intérêt et de l'inflation, qui servent de base au calcul de la formule, pourrait sans doute être considérée comme des circonstances exceptionnelles. Mais, je le répète, nous n'avons pas de raison de penser que les taux d'intérêt ou l'inflation vont augmenter significativement dans les prochains mois. Je n'ai pas connaissance du chiffre de Moody's que vous avez cité et je ne le commenterai pas. Quant au modèle de financement du logement social, il s'agit d'une spécificité française : notre modèle permet de concilier une rémunération de l'épargne au profit des petits épargnants - le livret A n'existe pas ailleurs - et un financement garanti du logement social. L'enjeu est simplement de trouver le bon équilibre entre les besoins du logement social, qui doit profiter des taux bas, et les attentes des épargnants.

L'endettement des ménages et des entreprises continue de progresser ; la situation française est une exception en zone euro. Depuis 2014 et la mise en place des mesures non conventionnelles et des taux bas, l'endettement des ménages, des entreprises et des États a en effet baissé par rapport au PIB. En France, à l'inverse, l'endettement monte. Existe-t-il un seuil critique ? Je ne sais pas. Il n'y a pas de seuil magique. En tout cas, cet exemple montre que l'on ne peut tout attribuer aux taux bas. Les banques nous accuseront volontiers de les soumettre à des injonctions contradictoires, en baissant les taux, d'un côté, et en surveillant l'endettement, de l'autre. Mais les taux bas n'ont pas les mêmes effets selon les pays européens. L'évolution des crédits montre que le système bancaire français fait bien son travail, mais révèle aussi une préférence collective pour l'endettement, au détriment des fonds propres pour les entreprises par exemple. Le HCSF a la possibilité de prendre des mesures macro-prudentielles. C'est un levier d'action national qu'il faut utiliser et c'est ce que nous avons fait en augmentant le coussin de fonds propres contra-cyclique et avec nos recommandations sur le crédit immobilier.

Le rôle de médiateur pour les communes ne nous a pas été confié, la DGFiP, qui a des contacts très étroits avec les collectivités territoriales semble mieux à même de jouer ce rôle. Nous sommes, en revanche, médiateur du crédit vis-à-vis des entreprises et cela fonctionne bien. J'en profite pour rappeler que, dans chaque département, le directeur départemental de la Banque de France est médiateur du crédit. La procédure est gratuite, accessible, efficace et nous ne sommes pas submergés par le nombre de dossiers.

Je redis aussi, avec solennité, que je m'engage à ce que la Banque de France maintienne une succursale par département. La Cour des comptes s'interrogeait sur la pérennité de notre réseau départemental. Nous allons bientôt réaliser un plan stratégique à l'horizon 2024 et nous réaffirmerons la pérennité de notre réseau à cet horizon et au-delà.

Enfin, nous constatons que le nombre de dossiers de surendettement a baissé de 40 % depuis 2014, sous l'effet des lois Lagarde, de 2010, et Hamon, de 2014. Trente ans après le vote de la loi Neiertz, le nombre de dossiers de primo-déposants est tombé sous celui qu'il était lorsque la procédure a été créée. C'est une bonne nouvelle.

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