Monsieur Dominati, j'avais l'impression d'avoir consacré plus de dix secondes à la dette et aux déficits, mais je veux vous rassurer, la Banque de France est indépendante des gouvernements. C'est une nécessité pour la politique monétaire. Dans les domaines où elle n'a pas de pouvoir décisionnaire, elle contribue au débat avec ses analyses, réalisées en toute indépendance.
Je ne sous-estime pas l'importance de la dette et des déficits - je vous invite à relire les déclarations de la Banque de France ou les miennes sur ce thème -, mais j'ai préféré mettre l'accent sur les dépenses parce qu'elles sont la cause des problèmes que vous avez évoqués. Les dépenses publiques représentent 56 % du PIB en France, contre 44 % chez nos voisins. Si une partie de l'écart s'explique en partie par des facteurs techniques, il n'en demeure pas moins que cela crée un problème de compétitivité, car les impôts pèsent sur nos entreprises et sur les ménages. Cela pose aussi la question de l'efficacité des services publics, traditionnellement considérés comme un atout pour notre pays. Il y a quelque chose à faire à cet égard. Il me semble que c'est le coeur du sujet et la seule solution possible pour inverser la tendance sur les déficits et sur la dette. Clemenceau disait : « La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts. » C'est un bon résumé !
Le tiering a des effets positifs, mais ne suffit pas à traiter le problème de l'adaptation des banques aux taux bas. Beaucoup relève de l'action des banques et des assurances. Toutefois, cette mesure va dans le bon sens et si elle était inutile, j'aurais aimé que les banques le disent avant, car elle n'a pas été simple à obtenir au conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne ! Mais morceau avalé n'a plus de goût dit l'adage... et les banques, en l'occurrence, n'échappent pas à la règle.
Vos interpellations sur l'extraterritorialité sont légitimes, mais la Banque de France n'a pas de réponse à proposer. La première réponse est d'ordre politique. Il faut renforcer la puissance et la souveraineté européennes. Il est clair que l'Europe et les États-Unis ressemblent un peu au couple entre le pot de terre et le pot de fer ! Des réflexions ont été menées pour voir comment monter des circuits de financement autonomes, à l'abri des sanctions américaines. Je ne crois pas que les crypto-monnaies soient la solution. Il s'agit d'ailleurs d'un oxymore, car la monnaie a besoin de transparence pour inspirer la confiance et être reconnue, comme peut l'être une monnaie à garantie publique. À supposer qu'une telle crypto-monnaie soit reconnue, elle ne supprimerait pas le risque de rétorsion auquel sont exposées les entreprises installées aux États-Unis. Comme pour Fatca, une bonne partie de la réponse passe par une affirmation de la souveraineté européenne, et l'on trouvera ensuite les bons instruments.
Vous avez posé la question des chambres de compensation après le Brexit. La Cour de justice s'est en effet prononcée. Heureusement, une initiative législative est en cours avec la révision du règlement européen EMIR sur les chambres de compensation (CCP) : il a été décidé qu'au-delà d'une certaine taille les CCP devaient être obligatoirement être situées en zone euro. Cette mesure a été vivement, et c'est un euphémisme, contestée par les Britanniques, mais elle me semble logique. Les CCP jouent un rôle central pour la stabilité financière. Toutes les transactions passent par elles ; elles ne peuvent échapper à notre supervision.
Monsieur Bargeton, je vous transmettrai le détail des chiffres sur le crédit. La différenciation joue plutôt en faveur des TPE-PME, avec une croissance des crédits d'environ 8 % pour elles, contre 6 ou 7 % pour l'ensemble des entreprises. Elles ne semblent donc pas pénalisées. La crise de 2008 a inspiré la mise en place du coussin contra-cyclique qui est destiné à protéger les PME en cas de retournement du cycle de crédit. En période prospère, il est facile d'obtenir un crédit, mais en cas de crise les crédits déjà consentis aux PME nécessitent davantage de provisions, donc davantage de capital, de la part des banques. Comme les banques se trouvent face à des besoins en capital liés à leurs engagements passés, elles limitent les nouveaux crédits. Le coussin contra-cyclique sert à couvrir ces risques hérités.
Monsieur Gabouty, il n'y a pas de dimension prudentielle dans les situations que vous évoquez, mais cela ne signifie pas que les banques ne peuvent pas réagir à certains « clignotements » sectoriels. Je n'ai pas connaissance d'un secteur en particulier qui serait en difficulté. Les difficultés d'accès au crédit des entreprises relèvent typiquement des médiateurs du crédit de la Banque de France. Nous sommes tout à fait prêts à essayer de les résoudre. Mais lorsqu'un banquier veut refuser un crédit, il lui est très commode d'invoquer Bâle III, c'est plus facile que de dire à une entreprise qu'elle ne lui inspire pas confiance...
En ce qui concerne la revue stratégique de la politique monétaire, nous n'entendons pas toucher aux traités qui fixent l'objectif de stabilité des prix ainsi qu'un certain nombre d'objectifs secondaires, comme la stabilité financière, l'emploi, l'environnement, etc. Le coeur restera la stabilité des prix. Reste à savoir comment on l'apprécie. Celle-ci ne se résume pas un chiffre, les fameux 2 % d'inflation, il faut aussi prendre en compte un certain nombre de facteurs qui influent sur la stabilité des prix et sa pérennité : la stabilité financière ou le risque climatique, plus lointain, mais certain. Il est donc normal que, dans le cadre du traité tel qu'il est rédigé, nous élargissions un peu notre horizon de surveillance.
Monsieur Lurel, je n'ai pas dit que seule la politique monétaire comptait et qu'il n'y en avait, en outre, qu'une seule possible ! La politique monétaire ne peut pas tout faire et il faut utiliser aussi la politique budgétaire, notamment dans certains pays, et la politique salariale, même si celle-ci est largement décentralisée dans les entreprises. Je me suis réjoui avec vous de la hausse de 2,5 % des salaires.
Nous publions chaque année une étude sociologique sur le surendettement, avec des analyses en fonction des zones géographiques, des catégories socioprofessionnelles et des catégories de revenus. Les catégories les plus modestes sont, sans surprise, les plus touchées par le surendettement, mais celui-ci est aussi proportionnellement plus élevé parmi les femmes seules. Si l'on regarde la carte par départements, on n'observe pas de corrélation complète en fonction du niveau moyen de revenus, tandis que les niveaux d'éducation ou d'analphabétisme semblent jouer un rôle très important. Nous publierons notre prochaine étude sur le sujet en février.
Nous n'avons pas non plus réalisé d'étude sur le lien entre la réforme des retraites et le développement de l'épargne. Nous attendrons de connaître le dispositif final. J'en profite pour réaffirmer que, contrairement à une idée largement répandue, les agents de la Banque de France n'ont aucun privilège en matière de retraite, et notamment d'âge de départ. Le régime des agents est celui de la fonction publique, même si, juridiquement, il s'agit d'un régime spécial, parce que les dépenses futures sont provisionnées. Le régime a été profondément réformé depuis 2007 et les agents n'ont aucun avantage particulier.