Intervention de Josiane Bigot

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 15 janvier 2020 à 10h00
Nouveau code de la justice pénale des mineurs — Audition de Mme Josiane Bigot présidente du conseil d'administration de la convention nationale de protection de l'enfant

Josiane Bigot, présidente du conseil d'administration de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape) :

Je vous remercie d'avoir associé la Cnape à vos travaux. La Cnape est une fédération qui regroupe des professionnels dont le métier est de s'occuper du sort de nombreux enfants. Elle a fait le choix de promouvoir les centres éducatifs fermés (CEF) depuis leur création.

J'ai été juge des enfants pendant une vingtaine d'années, puis juge de l'application des peines. J'ai également présidé une cour d'assises. Je connais donc bien le sujet de la délinquance.

Je suis convaincue que l'ordonnance de 1945 devait être réformée, car cet empilement de strates successives n'avait plus beaucoup de cohérence. Nous avons regretté que cette modification se fasse par voie d'ordonnance, car la discussion parlementaire est importante. Mais je constate que le débat aura lieu, et la fameuse ordonnance de 1945 que nous avons tous glorifiée était bien... une ordonnance, promulguée par le général de Gaulle.

Je critique davantage les conditions dans lesquelles a été organisée la concertation qui a suivi la loi d'habilitation : conduite trop rapidement et par voie électronique, elle ne permettait pas d'avoir une vision d'ensemble des réponses que l'on apportait. Je constate que cette concertation n'a pas vraiment permis de faire évoluer le texte initialement proposé. Nous attendons que les parlementaires reprennent à leur compte ces discussions et viennent éventuellement amender le texte.

Le nouveau code respecte les principes constitutionnels fixés par une décision du Conseil constitutionnel de 2002 s'agissant de la justice des mineurs : l'atténuation de la responsabilité, la spécialisation des juridictions ou des procédures, la primauté de l'éducatif. Il faudrait peut-être y ajouter la notion d'intérêt supérieur de l'enfant, qui s'applique aujourd'hui à toute décision relative à un enfant.

La question de la responsabilité pénale du mineur a fait l'objet d'une innovation intéressante. Jusqu'à présent, le droit français avait opté pour une appréciation du discernement par le juge. La notion de discernement n'a jamais vraiment été définie. La Cour de cassation avait précisé, dans un arrêt de 1956, qu'il fallait que le mineur ait compris et voulu l'acte, c'est-à-dire qu'il ait agi avec intelligence et volonté. Dès l'âge de 2-3 ans, un enfant sait ce qui lui est interdit par l'adulte : a-t-il pour autant un discernement suffisant ? La notion de discernement est aussi utilisée en droit civil, qui donne quelques contours : l'âge, la maturité, le degré de compréhension.

Pour autant, le discernement est toujours déterminé par le juge, selon - pourrait-on dire ! - son propre discernement.

Les textes internationaux s'inscrivent tous dans une volonté de fixation d'un âge en dessous duquel les enfants sont présumés ne pas avoir la capacité d'enfreindre la loi pénale. Je pense aux règles de Beijing de 1985 ou à la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) de 1989. Le comité des droits de l'enfant de la CIDE, puisque celle-ci ne possède pas de juridiction propre, fait des observations sur la situation des différents pays. S'agissant de la France, il nous est toujours demandé de fixer un âge minimum pour la responsabilité pénale.

C'est donc pour être en conformité avec les textes internationaux que nous avons signés que nous devrions fixer un âge. Le Comité des droits de l'enfant indique qu'il ne doit pas y avoir d'exception à la règle de l'âge minimum : il ne peut y avoir de présomption simple, comme le texte le prévoit ; la présomption doit être irréfragable.

D'autres pays ont fixé un âge, qui est très variable : 10 ans en Suisse et en Angleterre ; 12 ans aux Pays-Bas ; 14 ans en Espagne, en Allemagne et en Italie ; 15 ans en Suède ; 16 ans au Portugal ; 18 ans en Belgique.

Il faut arrêter de faire confiance à la subjectivité des juges : un âge en dessous duquel il ne sera plus question de traiter pénalement un enfant doit être fixé. Ce débat doit être mis en parallèle avec celui sur le consentement : la Cnape vous avait proposé de fixer un âge, 13 ans, en dessous duquel toute relation avec un mineur devait être criminalisée. Il faudrait parvenir à une unicité d'âge dans notre droit, ce qui aurait été rendu plus facile si un code unique de l'enfance avait été élaboré.

Il faudra aussi réfléchir à la question de l'atténuation de la peine, qui est de moitié pour les mineurs par rapport à la peine maximale prévue pour les majeurs. Le nouveau code n'a pas modifié les règles précédentes : il sera toujours possible de ne pas appliquer l'atténuation de la peine pour les 16-18 ans. En tant que praticienne, j'ai utilisé cette faculté aux assises, pensant que les mineurs et les majeurs que j'avais devant moi avaient le même degré de maturité. Je ne suis donc pas aussi convaincue sur ce point que je l'étais sur la présomption d'irresponsabilité pour les moins de 13 ans. Mais si l'on décide d'appliquer la loi pénale aux 16-18 ans, elle s'appliquera dans toute sa rigueur. Le dernier condamné à mort en France, qui a été finalement gracié, était un mineur...

Le nouveau code prévoit ensuite la disparition du juge des enfants en tant que juge d'instruction. Le Conseil constitutionnel a rappelé que le juge des enfants devait être impartial. Dorénavant, il y aura une césure du procès pénal : dans un délai de trois mois, la décision sur la culpabilité ; dans un délai de six mois, qui peuvent être prolongés de trois mois, la décision sur la sanction. Cela s'inscrit dans la volonté, mentionnée dans la loi d'habilitation, d'accélérer la justice des mineurs. Dans la phase préalable, le juge des enfants peut mettre sous contrôle judiciaire, voire placer en détention, le mineur avant même qu'il n'ait statué sur la culpabilité. Cela me semble poser problème, car c'est une façon de « poser une option » sur la culpabilité du mineur.

L'appellation de « mise à l'épreuve éducative » ne me gêne pas. Il faut accepter que l'éducatif soit une contrainte. En revanche, la durée prévue me semble problématique, car il faut tenir compte des moyens actuels de la justice, de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui mettra en oeuvre ces mesures, et du secteur habilité.

Le décalage entre le prononcé d'une mesure et le démarrage de la mesure par les services éducatifs avait suscité beaucoup d'émoi. Le législateur avait exigé que l'intervention éducative soit faite dans un délai de cinq jours, qui n'a pas toujours pu être respecté. Mais le nouveau code supprime ce délai. On aura répondu au souhait d'avoir une justice des mineurs qui condamne plus rapidement, mais il faut permettre l'exécution effective d'un travail éducatif.

Des exceptions permettent le raccourcissement du délai de six mois en cas d'incidents : juger le mineur plus rapidement pour mettre en place une mesure éducative à titre de sanction ne me choque pas. Mais les exceptions liées au passé du mineur, et non à l'affaire pour laquelle il est jugé, me semblent plus critiquables. Ainsi est prévue une possibilité d'audience unique de culpabilité et de sanction laissée à l'initiative du parquet dans certaines hypothèses. On se contentera de disposer d'éléments de personnalité qui pourraient dater d'un an. Or, à cet âge, l'évolution peut être extrêmement importante : le mineur peut en quelques mois devenir une personne tout à fait différente. Il faut raccourcir ce délai, qui ne devrait pas dépasser six mois.

Les procédures sur défèrement sont celles pour lesquelles le procureur de la République décide, après commission d'une infraction, de faire présenter immédiatement le mineur devant la juridiction. Un délai de dix jours doit être respecté, mais le mineur peut être mis en détention provisoire. Là aussi, les éléments de personnalité pourraient dater d'une année. Cela s'apparente beaucoup à la comparution immédiate des majeurs, qui est normalement exclue pour les mineurs, comme le rappelle le texte. Il faut encadrer au maximum les audiences uniques.

En ce qui concerne la primauté de l'éducatif, la redéfinition des missions éducatives est bienvenue. Les sanctions éducatives ont été supprimées, ce qui est une bonne chose. Car la sanction du non-respect des sanctions éducatives pouvait être une mesure éducative, auxquelles elles devaient normalement succéder... La logique de la gradation des mesures n'était absolument pas respectée !

Il faut maintenir le temps éducatif. Les travailleurs sociaux veulent pouvoir mener auprès du mineur et de ceux qui l'entourent un travail de longue haleine, souvent nécessaire en matière d'éducation.

Le dispositif a été simplifié. L'admonestation est supprimée - les mineurs ne comprenaient pas ce terme ! Sont prévus l'avertissement et les mesures judiciaires éducatives, déclinées en quatre modules : l'insertion, la réparation, la santé et le placement. Nous pourrons jongler avec ces outils. Sauf pour ce qui touche à la liberté du mineur, c'est-à-dire les mesures de placement, carte blanche est laissée à la PJJ et au secteur habilité, lesquels peuvent fonctionner en parfaite harmonie.

Les CEF sont au coeur des débats. J'ai été favorable à ces centres dès le départ, alors même que je n'avais pas la réputation d'être un juge répressif. Il était important de donner à certains mineurs que je voyais dans mon cabinet un véritable coup d'arrêt. Dans les foyers dépendant de la PJJ, les jeunes peuvent entrer et sortir librement, et sont souvent sans occupation. Dans les CEF, les mineurs sont gardés dans un lieu clos, dont ils ne sortent qu'avec l'accord des adultes et en leur compagnie, et se voient proposer des activités toute la journée. Je connais des CEF qui fonctionnement extrêmement bien, et d'autres qui dysfonctionnent. Dans ces établissements, on est revenu à ce qui avait été rejeté par l'éducation spécialisée : l'éducation nationale et la formation.

Ces jeunes ont tout à gagner avec une éducation nationale à la carte. Il faut leur redonner de la scolarité, car cela marche. L'école dans les centres éducatifs fermés est une réussite.

Le recrutement des éducateurs spécialisés est assez compliqué. On nous reproche des effectifs trop faibles. Néanmoins, nous avons constaté que d'autres professionnels, comme ceux qui sont issus des filières STAPS - sciences et techniques des activités physiques et sportives -, étaient parfois mieux écoutés. En effet, les sportifs intériorisent le respect de la règle et savent bien le transmettre. Je pense que nous devons repenser la formation des travailleurs sociaux, car nous n'avons pas besoin que d'éducateurs spécialisés.

Dans le secteur habilité, nous gérons 29 centres éducatifs fermés sur les 34 qui existent en France.

J'attire votre attention sur la question du secret partagé. En 2007, vous aviez souhaité que, sauf exception, les intéressés soient informés de ce partage d'informations entre professionnels. Cette proposition n'avait pu prospérer à l'époque, mais je vous demande de la réintroduire dans le texte que vous allez examiner. Cela me semble en effet très important.

De même, s'agissant des droits des enfants, il importe que les mineurs puissent consulter leur dossier de personnalité avec leur avocat. Je regrette qu'il n'y ait pas de volet sur la déjudiciarisation dans le texte. Il faut savoir que les mineurs sont plus poursuivis en moyenne que les majeurs. Or beaucoup de situations pourraient être traitées préalablement, en particulier par les élus locaux.

Enfin, j'imagine que les présidents de conseils départementaux s'inquiètent des charges supplémentaires qui pèseraient sur eux avec le nouveau dispositif, mais, dans les faits, la nouvelle loi ne changera rien pour eux.

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