Intervention de Myriam El Khomri

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 janvier 2020 à 9h35
« plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 » — Audition de Mme Myriam El khomri

Myriam El Khomri, auteure du rapport « Plan de mobilisation nationale en faveur de l'attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 » :

Je présente tout d'abord à chacun d'entre vous mes meilleurs voeux, en espérant que cette loi annoncée sur le grand âge interviendra le plus tôt possible - et je pense en particulier à toutes celles, puisque ce sont surtout des femmes, qui sont présentes auprès des personnes âgées, surtout dans le contexte rendu plus difficile par les grèves de transports.

La ministre Agnès Buzyn m'a confié, le 3 juillet dernier, cette mission sur l'attractivité des métiers du grand âge. Il ne s'agissait nullement de refaire la concertation excellemment conduite par Dominique Libault, mais de trouver de nouvelles pistes d'attractivité pour ces métiers - alors que le nombre de candidates a baissé d'un quart en quelques années. Notre mission a donc été d'emblée très opérationnelle. Dans ces délais très courts - nous avons rendu notre rapport le 29 octobre -, j'ai souhaité intégrer des professionnels dans l'équipe : c'est ce que nous avons fait et nous avons pu, lors de nos quelque 150 auditions et déplacements, travailler avec trois professionnels d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Nous avons choisi de nous focaliser sur le métier d'aide-soignante et celui d'auxiliaire de vie. Il y a d'autres professions en difficulté, mais ces deux-là nous sont apparues les plus déterminantes pour régler la crise actuelle. Ensuite, nous nous sommes demandé pourquoi ces métiers si utiles socialement sont si dévalorisés dans la société. L'inégalité salariale, liée à la féminisation, n'est pas la seule réponse : il faut aussi regarder du côté de la façon dont on regarde le grand âge. Les professionnels nous ont dit se sentir invisibles dans la société, peu reconnus, et mal vivre ce décalage entre l'utilité de leur métier et l'image qu'ils ont dans notre société. Celle-ci valorise en effet la performance ; elle renvoie donc le grand âge à l'inutilité, et façonne le regard que nous portons sur lui. Cet aspect de la reconnaissance professionnelle est essentiel, nous devons y travailler.

Notre rapport propose une réforme en profondeur autour de quatre axes : l'amélioration des conditions d'emploi et de rémunération, la baisse de la sinistralité, l'accès à la formation, et la place de l'innovation. Notre réflexion a porté sur l'ensemble des établissements, publics et privés, non seulement parce que nous voulons donner à l'ensemble des professionnels la possibilité de passer d'un secteur à l'autre, mais aussi parce que l'avantage classique du secteur public, la stabilité de l'emploi, ne joue manifestement plus, étant donné la faible attractivité du secteur.

Il convient d'abord d'assurer de meilleures conditions d'emploi et de rémunération. On dénombre pas moins de sept conventions collectives dans le secteur privé : il faut les rapprocher. Les rémunérations prévues pour l'aide à domicile du secteur associatif, sous agrément national du ministère de la santé, ont évolué moins rapidement que le SMIC : c'est ainsi que le salaire moyen dans le secteur est de 802 euros par mois, à cause du temps partiel et fragmenté, et qu'il arrive à certaines de ces personnes de rester de neuf à treize ans au SMIC. Il est donc urgent que l'État et les départements s'entendent pour faire évoluer les rémunérations. Nous avons demandé une étude à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) sur le sujet : le taux de pauvreté est de 17,5 % chez les intervenants à domicile, contre 6,5 % pour l'ensemble des salariés. Il est difficile de rendre les métiers attractifs dans ces conditions.

Nous avons également constaté une inégalité territoriale dans la prise en compte des temps de trajet. Or le budget de l'essence et de la voiture est un gouffre, sachant que ces professionnels ont très rarement des voitures de service, et qu'ils accompagnent parfois les personnes âgées avec leur propre véhicule. Seuls 30 % des départements respectent l'avenant 36 de la convention collective nationale de la branche de l'aide, de l'accompagnement, des soins et des services à domicile (BAD), qui prévoit une meilleure prise en compte des temps de trajet.

Nous avons également auditionné des responsables du programme Renault Mobilize pour étudier la mise en place d'une offre compétitive de mise à disposition des intervenants à domicile de voitures en leasing. Souvent achetés sur Leboncoin.fr, les véhicules des intervenants tombent souvent en panne, ce qui engendre de l'absentéisme. Renault Mobilize propose des dispositifs de micro-crédit, qui permettent de disposer d'un véhicule pour 60 à 70 euros par mois tous frais compris. Le travail que nous proposons sur les conventions collectives doit aussi inclure une réflexion sur ce point, ainsi qu'une meilleure indemnisation des temps de trajet.

Autre difficulté, le manque de professionnels dans les Ehpad et les structures de services à domicile. Notre mission a donc réfléchi aux pistes d'amélioration du taux d'encadrement, pour répondre à la principale revendication du personnel concerné : ne plus avoir à choisir entre faire vite et faire bien. Six minutes pour donner à manger le midi - c'est le temps que nous a indiqué une personne que nous avons entendue -, ce n'est pas tenable, voire relève de la maltraitance. Le sens de ces métiers est la prévention de la dépendance : ne pas faire à la place, mais aider à faire. Ce sont des métiers de l'accompagnement avant tout.

Nous avons évalué à près de 66 500 postes par an d'ici à 2024 le besoin d'aides-soignants et d'accompagnants à domicile, en prenant pour référence une augmentation de 20 % du taux d'encadrement. Le vieillissement de la population nécessitera 20 700 ETP supplémentaires à la même échéance. Nous sommes face à des professionnels confrontés à l'effondrement des corps et des esprits, et parfois à la mort, ce qui induit une charge physique mais aussi mentale. C'est pourquoi nous avons défini un seuil impératif de quatre heures de temps collectif par mois dans les services d'aide à domicile et les Ehpad, contre deux aujourd'hui dans les Ehpad et une dans les services de soins et d'aide à domicile (SSAD). Cela représenterait 5 100 ETP supplémentaires, qui ne sont pas financés à ce jour. Au total, nous arrivons à 92 000 postes supplémentaires d'ici à 2024. En y ajoutant les 60 000 offres d'emploi non pourvues actuellement, et la compensation du turnover et des départs massifs à la retraite - 200 000 postes - le total s'élève à 352 000 aides-soignants et intervenants à domicile à former d'ici à 2024, soit 70 000 personnes par an. Cela représenterait un doublement des formations.

Le deuxième axe de travail est une sinistralité record et indigne de notre pays : 100 accidents de travail pour 1 000 salariés pour une moyenne nationale de 34 pour 1 000, et 60 dans le bâtiment. Notre mission a entendu les représentants du secteur du bâtiment et de la branche AT-MP, qui ont mis en place une cotisation spécifique pour faire baisser la sinistralité. Le coût de la sinistralité pour la branche AT-MP est bien sûr social ; ce sont souvent des métiers de seconde carrière, où les corps sont déjà fatigués, avec des postures pénibles, des charges lourdes. Le coût total est évalué à 602 millions d'euros, en curatif et non en préventif. Sur la base d'une analyse de ce qui existait en Allemagne ainsi que des mesures mises en place par l'Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), nous proposons un programme de prévention de la sinistralité, abondé à hauteur de 100 millions d'euros, pour financer des aides techniques en Ehpad et à domicile, des formations des professionnels à la prévention des risques, et surtout le remplacement des salariés qui partent en formation.

Ce n'est pas, à nos yeux, une dépense nouvelle mais un investissement. Dans les Ehpad, le taux d'absentéisme est de 8 à 15 %, dans l'aide à domicile de 10 à 20 %. Or un point d'absentéisme représente 1,2 à 2 % de masse salariale. Le seul moyen de le réduire est d'agir sur les trois axes que j'ai mentionnés. L'OPPBTP a fait baisser de 20 % sa sinistralité sur les dix dernières années en investissant 50 millions d'euros, notamment dans la féminisation et les formations. Nous avons également prévu, pour améliorer la qualité de vie au travail, des conventions pluriannuelles d'objectifs. Les indicateurs de taux de fréquence doivent être pilotés dans les CPOM. Il convient que les départements aient une meilleure compréhension du phénomène.

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