C'est un investissement : le coût lié aux 10 à 20 % d'absentéisme est supporté par le département. Les indicateurs montreront l'enjeu que représente la qualité de vie des salariés. L'absentéisme est un coût pour tous les acteurs concernés. Au demeurant, notre rapport propose en conclusion la possibilité de faire sortir ces engagements financiers du cadre du pacte de Cahors.
Troisième axe, la modernisation des formations. Nous proposons de former près de 18 000 personnes par an d'ici à 2025. La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a libéré l'apprentissage, dans le secteur médico-social, les possibilités d'y recourir sont limitées par un décret. Il n'y a que 600 aides-soignants en apprentissage, dans le cadre de partenariats avec la Croix-Rouge et Korian. Les stages attirent davantage les employeurs, en particulier ceux du secteur public, que les dispositifs d'apprentissage. Il convient que l'effort de formation soit réparti entre les différentes voies d'accès. Notre première proposition est de porter à 10 % d'ici à 2025 la part des diplômes d'aide-soignant et d'accompagnant éducatif et social (AES) issus de l'apprentissage. La ministre Muriel Pénicaud, que nous avons rencontrée, s'est engagée à identifier ces formations comme prioritaires dans le plan d'investissement dans les compétences (PIC) ; le doublement des formations sera financé par le PIC, si les régions maintiennent leur effort. La Pro A - reconversion ou promotion par l'alternance - étant à l'arrêt, nous avons besoin de cet appui.
Nous avons proposé la suppression du concours d'accès d'aide-soignant : il n'est pas impératif de savoir ce que veut dire le sigle DGOS pour devenir aide-soignant, en revanche il faut savoir faire preuve d'empathie et vouloir s'engager dans un métier de relations humaines. Il conviendrait donc de privilégier les évaluations orales.
Le diplôme d'État d'AES (DEAES), réformé il y a quelques années, compte désormais trois filières - domicile, établissement et inclusion - mais la première et la troisième n'attirent que 15 % des étudiants. Notre mission a voulu développer la polyvalence entre l'établissement et le domicile, en créant des liens entre les deux diplômes d'AES et d'aide-soignant. Or la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a travaillé sur le référentiel du premier, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) sur celui du second... Il conviendrait qu'un AES puisse obtenir plus rapidement le diplôme d'aide-soignant.
Alors qu'un infirmier peut devenir aide-soignant à l'issue de sa première année d'études, un aide-soignant est contraint, quelle que soit son expérience, de passer le concours et de suivre trois années d'études pour devenir infirmier. Or la formation de ces personnes coûte à l'AP-HP près de 140 000 euros. C'est pourquoi nous proposons de supprimer le concours d'accès pour les aides-soignants et de réduire la durée de la formation à deux ans. Imposer un concours et trois ans de formation à une personne qui a dix ans d'expérience, c'est lui apprendre à désapprendre. Nous proposons aussi que ces formations soient gratuites : 5 à 7 % des aides-soignants ont déboursé 5 000 à 7 000 euros de leur poche pour le devenir dans le cadre d'une reconversion professionnelle - alors que la formation des médecins est gratuite.
Les plateformes départementales des métiers du grand âge sont l'une des préconisations les plus importantes de notre mission. Elles représentent un budget d'environ un million d'euros par an. Il en existe déjà plusieurs, dont la plateforme Invie, dans les Yvelines, créée par la ville des Mureaux puis reprise sous forme associative. Ces structures réunissent les acteurs de l'emploi pour les former à la réalité de ces métiers d'empathie, de relation et d'engagement, qui ne conviennent pas à tous les demandeurs d'emploi. La plateforme Invie touche mille personnes par an, en lien avec tous les employeurs de l'aide à domicile. Des « sas » de quinze personnes sont pris en charge pour une semaine. Leur degré d'acquisition de la langue, leur empathie sont évalués et la réalité de ces métiers leur est présentée ; 500 personnes sur les 600 reçues partent en formation. Ces plateformes sont le bras armé, très opérationnel, du plan de mobilisation, le catalyseur des mesures et programmes de communication.
Notre mission préconise également un développement massif de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Nous sommes confrontés à un glissement des tâches : les intervenantes à domicile se voient confier des tâches qui n'entrent pas dans leur périmètre de compétences, comme la pose de bandes de contention. Il est impossible de les valoriser car elles sont pour ainsi dire réalisées illégalement. Cela nécessite un travail de reconnaissance de la réalité du métier, notamment dans les zones tendues. Les aides à domicile ont l'impression de jouer le rôle de bouche-trous : elles effectuent ces tâches supplémentaires, qui engagent leur responsabilité, sans avoir été formées pour cela et sans recevoir la rémunération associée à ces qualifications. Pour y remédier, il faut un grand plan d'accompagnement à la VAE. Les perspectives de carrière sont insuffisantes.
Dernier sujet, l'innovation et l'organisation du travail. Il est très difficile aux structures existantes de modifier leur organisation. Des méthodes ont pourtant été développées, qui laissent davantage de place à l'initiative des salariés, et davantage de responsabilités. La méthode Buurtzorg (« Soins de quartier »), née aux Pays-Bas, en est un exemple. J'ai visité des centres qui l'appliquent comme Alenvi à Paris, des structures à Douai et Amiens. Cette méthode est fondée sur une sectorisation territoriale de proximité. Les intervenants à domicile sont moins nombreux, et ils gèrent eux-mêmes leur planning. Cela semble avoir un effet positif sur la qualité de vie au travail, l'absentéisme et la qualité de service. Une personne âgée m'a récemment dit : « Trouvez-vous normal que j'aie montré mes fesses à 27 personnes différentes ce mois-ci ? ». Il conviendrait que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) offre un soutien aux équipes qui veulent s'engager dans une réorganisation en ce sens, avec une étude sur l'impact d'une telle organisation sur les indicateurs et les finances des structures concernées.
Tout intervenant en Ehpad, même en dehors des établissements spécialisés Alzheimer, devrait recevoir une formation d'assistant de soins en gérontologie, qui donne des armes face aux troubles cognitifs. L'approche domiciliaire demandera de nouvelles compétences à ces professionnels. Il convient également de créer des infirmiers en pratique avancée (IPA) en gérontologie.
Nous avons évalué le coût des mesures proposées dans notre rapport à environ 820 millions d'euros pour 2020. Ce total inclut la revalorisation des rémunérations inférieures au SMIC, pour 170 millions d'euros, les 18 500 postes à créer annuellement, qui représentent 450 millions d'euros, auxquels il faut ajouter un million d'euros pour la suppression des concours, 100 millions d'euros pour les plateformes départementales, et enfin le coût de la campagne de communication préconisée dans le rapport et déjà mise en oeuvre : la semaine dernière, le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) a lancé quatre spots réalisés par Olivier Babinet, intitulés « C'est la vie », pour rendre plus attractifs les métiers du grand âge.
Notre mission estime que la loi autonomie doit être traduite en termes budgétaires dès 2020, dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. L'organisation du secteur doit être revue : il y a sept conventions collectives, une trentaine de fédérations, si bien que le passage d'un secteur à un autre occasionne des pertes d'ancienneté. Il faut aussi traiter les questions de la pénibilité et de la reconnaissance.
Nous avons repris à notre compte la proposition, formulée dans le rapport Libault, de diriger vers le secteur de l'autonomie le produit de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) une fois que celle-ci sera résorbée, soit, d'après les prévisions, en 2024.
Il est vital que les départements, les régions et l'État dépassent leurs différends. J'ai rencontré des présidents de conseil départemental qui ne savaient pas que le prix de journée alloué aux structures ne permettait pas de respecter le minimum conventionnel du SMIC. L'organisation administrative et financière a pris le pas sur la qualité de vie au travail et la qualité de service. Il y a une véritable déshumanisation et une taylorisation de ces métiers. Faisons confiance aux acteurs du territoire : l'État, les régions et les départements doivent s'entendre pour définir de nouvelles perspectives.