Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 14 janvier 2020 à 14h30
Barrière écologique aux frontières — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au mois de mai prochain, nous célébrerons le soixante-dixième anniversaire de la « déclaration Schuman ». Ce Lorrain éminent avait vu juste en déclarant que l’Europe ne se ferait « pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble », mais qu’elle prendrait la voie de « réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ».

Force est de constater que ce souffle, aujourd’hui, manque à notre continent. L’Union européenne est en panne de projets fédérateurs, sa législation est vécue davantage comme une contrainte que comme une opportunité de développement économique et nos concitoyens peinent à se retrouver dans cet ensemble désormais très vaste.

L’Union européenne a d’abord été une réalisation économique, avant de devenir, avec le traité de Maastricht, un ensemble politique sur la voie de l’unification. Notre Union a, par sa taille, par sa force économique et commerciale, par la détermination d’une partie croissante de sa population aussi, tout intérêt à devenir, demain, une puissance écologique de premier plan.

Comment le pourrait-elle ? J’identifie, pour ma part, trois axes de travail.

Le premier de ces chantiers est d’ordre philosophique. Il s’agit de réconcilier l’écologie et la croissance économique.

Certains, depuis longtemps, ont souhaité faire de l’écologie sans la croissance et, parfois, contre cette dernière. Cela a donné les discours les plus rétrogrades, déclinistes et collapsologues. L’avenir de notre planète mérite pourtant d’être abordé avec sérieux et hauteur de vue, grâce à une action éclairée par la vérité scientifique.

Héritiers des Lumières, nous devons porter une adaptation de nos sociétés aux nouveaux défis grâce à la raison et au progrès, et non sombrer dans un déclinisme moribond, aux relents populistes.

Une écologie privée de croissance, soyons-en sûrs, ne bénéficierait qu’aux éternels donneurs de leçons pour qui la cause environnementale s’est toujours résumée en un « yakafokon » démagogique. Elle ne pourra en revanche que pénaliser ceux pour qui l’écologie a toujours été ressentie comme une contrainte, alors qu’elle aurait dû être source de chances nouvelles.

Pour autant, mes chers collègues, soyons lucides : une croissance sans écologie aurait des effets tout aussi néfastes. Les années de prospérité économique reposant sur une production carbonée et polluante sont à oublier, au risque pour les acteurs économiques qui décideraient de maintenir ce modèle de croissance d’être confrontés très prochainement à des pénuries évidentes de matières premières.

Le pragmatisme nous commande donc fil des modèles économiques permettant un développement soutenable dans le temps long.

Par ailleurs, les années de « croissance sale » sont à oublier parce qu’une partie toujours plus nombreuse de nos nations n’en veut plus. La revendication climatique a parfois ses excès, et toujours il faudra, dans ces débats complexes, l’appui de la science et de la raison. Pour autant, refuser de constater que les conditions de la croissance ont changé, c’est se condamner à la « cornerisation » politique autant qu’au suicide économique.

Ouvrons les yeux : quand la France aligne péniblement 100 millions d’euros pour son plan hydrogène, la Chine a déjà investi 11 milliards d’euros !

Bien plus qu’un créneau idéologique, je considère depuis longtemps l’écologie comme une occasion majeure de développement économique, de cohésion sociale et d’interaction territoriale.

Le deuxième défi à relever est donc celui de l’unité de notre continent, autour d’une ambition climatique forte.

Vous le savez, la France a consenti des efforts importants au nom de la transition écologique. Ces efforts ne seront acceptés que s’ils sont justes et équitablement partagés par tous. Mais si nous sommes les seuls à faire des efforts, nous perdrons le double combat de l’efficacité environnementale et de l’équité économique.

Les exemples sont nombreux, dans nos départements, d’entreprises pénalisées par cette absence de réciprocité normative entre États membres de notre Union européenne. Des entrepreneurs se battent pourtant pour accélérer la transition écologique de leurs productions.

Comment, dès lors, accepter que, à quelques centaines de kilomètres de là, un membre éminent de l’Union puisse remettre en service ses centrales à charbon ? Comment expliquer qu’un autre État puisse délibérément refuser de s’engager avec le reste de l’Europe sur la voie d’un continent en voie de verdissement ? Comment continuer à imposer une fiscalité carbone aussi élevée dans notre pays, alors que seuls cinq États membres s’en sont dotés ?

Je crois, mes chers collègues, que nous ne pouvons plus faire comme si notre pays évoluait en dehors d’une économie ouverte, au sein de laquelle les actions de l’État ont souvent le même effet qu’un éléphant au milieu d’un magasin de porcelaine.

L’Union européenne a donc tout à gagner à l’harmonisation des législations environnementales. Dans ce contexte, la France peut être, avec les pays de l’Europe du Nord, une force de transformation.

Ne nous y trompons pas : sans revitalisation des secteurs primaire et secondaire, nous ne parviendrons que difficilement à maintenir notre rang dans la mondialisation.

Or l’écologie, à condition d’être une ambition partagée par toutes les nations européennes, peut être demain, je le crois, une composante majeure des politiques économiques européennes. Si tous les États membres de l’Union avancent dans la même direction, nous pourrons alors sortir de la dépendance aux importations qui affaiblissent aujourd’hui l’économie de notre continent. C’est notamment vrai pour l’énergie.

Qu’attendons-nous pour bâtir une union de l’énergie où tous les pays mettraient en commun leurs avantages comparatifs, après analyse en cycle de vie – le nucléaire français, le renouvelable pour l’Allemagne ou la biomasse pour l’Europe du Nord –, pour aboutir à une vraie indépendance énergétique ?

Qu’attendons-nous pour donner à la politique commerciale européenne son pendant industriel, avec des investissements massifs dans la transition énergétique, pour une véritable valeur ajoutée à l’international et l’exportation de nouveaux brevets ?

Qu’attendons-nous, enfin, pour aligner les standards qualitatifs de l’agriculture européenne sur un mieux-disant environnemental, garantissant tout autant la sécurité sanitaire, la traçabilité et la qualité des produits, pour mettre fin aux importations, qui sont aberrantes sur le plan écologique et destructrices sur le plan économique ?

Vous le voyez, mes chers collègues, ce n’est donc que dans la conjugaison des forces et dans le juste partage des efforts, que notre Union européenne pourra apparaître, à la face du monde, comme une puissance économique et écologique unie et cohérente, capable de valoriser le travail de ses entreprises et de ses agriculteurs.

C’est aussi la condition pour que nos citoyens retrouvent foi dans le projet européen. En effet, si l’Europe tarde encore à agir pour le climat, elle aura beau être un géant économique, elle n’en restera pas moins un nain politique.

Pour que ce chantier que je nous propose ait du sens, il lui faut une clé de voûte, qui constitue le cœur de la proposition de résolution que nous débattons et qui représente la troisième piste de réflexion.

Pourquoi une barrière écologique aux frontières de l’Union européenne ? L’enjeu est double. Comme je l’ai indiqué, nous ne pouvons plus accepter que l’écologie soit vue comme une entrave au développement économique de nos entreprises. Or elle l’est encore largement aujourd’hui, à cause de la concurrence déloyale que nous fait subir un certain nombre de nos partenaires commerciaux, affranchis de toutes les règles environnementales que nous avons choisi d’adopter.

Les récents débats sur le CETA (accord économique et commercial global) l’ont montré : inutile d’avoir fait quarante ans de politiques environnementales pour ouvrir, sinon à tout va, du moins trop largement nos marchés à des produits issus de pratiques que nous condamnons !

Sans protection écologique à nos frontières, nous serons également condamnés à l’impuissance climatique.

Le bilan carbone des économies européennes est aujourd’hui dominé, non par les émissions de CO2 nationales, mais par l’ensemble des émissions liées aux importations. Nous pourrons donc continuellement durcir nos normes, alourdir nos fiscalités énergétiques, si rien n’est fait pour faire changer nos partenaires commerciaux, nous aurons perdu d’avance la bataille du climat.

Il convient ainsi de rétablir une justice économique et écologique dans nos échanges, par l’instauration d’une taxation des importations provenant de pays s’affranchissant de tout engagement climatique. C’est tout le sens de la proposition de résolution que nous présentons devant vous, avec une centaine de membres du groupe Les Républicains et son président, Bruno Retailleau.

Madame la secrétaire d’État, la balle est dans votre camp. Il est grand temps de sortir du greenwashing et des bonnes intentions, pour réaliser dès maintenant, alors même qu’un consensus sociétal existe, les évolutions nécessaires à l’échelon de l’Union européenne ; c’est en effet celui qui convient le mieux pour que les actions nationales ne se retrouvent pas prisonnières de l’attitude du passager clandestin adoptée par d’autres pays.

L’un de nos illustres prédécesseurs au Sénat, Victor Hugo, avait l’audace de déclarer : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. ». Entendez donc, madame la secrétaire d’État, la voix du Sénat, qui vous invite et vous presse d’agir pour réconcilier économie et écologie au service de la prospérité de l’Union européenne et de son rayonnement mondial.

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