Intervention de André Gattolin

Réunion du 14 janvier 2020 à 14h30
Barrière écologique aux frontières — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je salue tout d’abord l’initiative du groupe Les Républicains : cette proposition de résolution, dans ses grandes lignes, se fixe les mêmes objectifs que la France et son gouvernement et que l’Union européenne dans sa configuration actuelle.

En effet, ce texte envisage un objectif environnemental et climatique dont on sait qu’il est aujourd’hui majeur, stratégique et essentiel. Par ailleurs, il définit un périmètre d’action qui, à mon sens, est le périmètre pertinent dans ce domaine, à savoir le périmètre européen.

Tous ici, sinon la plupart d’entre nous, nous sommes favorables au commerce international, à condition bien sûr que celui-ci soit régulé.

Or les tensions commerciales, pour ne pas dire les prémices de guerre commerciale, que l’on a pu voir émerger ces derniers mois, mais surtout la paralysie de longue date de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – paralysie renforcée par le fait que l’organe de règlement des différends entre les pays ne fonctionne plus vraiment, dans la mesure où les États-Unis, je le rappelle, n’ont toujours pas nommé leur juge –, font que l’on assiste à un délitement global de l’OMC, que l’on apprécie ou pas cette institution.

Cette situation a notamment conduit l’Union européenne dans une intense politique d’accords commerciaux et de libre-échange ces dernières années, en particulier depuis une décennie. Il faut le rappeler, la question du commerce international et du commerce extérieur est l’une des compétences propres et exclusives de l’Union européenne.

Cette démarche s’est traduite par certains succès commerciaux, comme les accords entre l’Union européenne et la Corée du Sud, qui ont permis de rétablir un équilibre dans nos échanges entre ces deux parties du monde, mais elle a aussi montré ses limites et parfois connu des échecs.

Ces limites s’expliquent par le fait que, bien souvent, nous nous sommes fondés sur une théorie très classique, pour ne pas dire néo-libérale, de libre-échange, et celle-ci est peu portée sur le principe de conditionnalité et sur les exigences relatives au commerce. Or on ne commerce pas de la même manière avec des pays qui s’inscrivent dans les logiques de l’État de droit et respectent un haut niveau de normes sanitaires et environnementales qu’avec les autres pays.

De la même manière, la logique de réciprocité – si je te donne quelque chose, que me donnes-tu en retour ? – a longtemps été absente. Ces derniers mois, nous l’avons vu, la question de la réciprocité a été de plus en plus posée, notamment entre l’Union européenne et la Chine, mais également entre les États-Unis et la Chine. Tout cela faisait défaut dans les accords conclus par l’Union européenne dans le passé.

Par ailleurs, on le voit bien, cette absence de réciprocité nous ramène à la question qui nous intéresse, celle de la lutte contre le changement climatique, par exemple au travers de l’absence d’une taxation carbone externe à ce que l’on appelle les fuites de carbone vers des pays aux industries fortement émettrices – c’est très bien rappelé dans l’exposé des motifs. Sans aller jusqu’à reprendre totalement à mon compte les propos de l’orateur précédent, il faut reconnaître que nous avons tendance à exporter notre pollution en délocalisant ce que nous faisons.

Les traités internationaux de libre-échange qui ont été conclus dans l’Union européenne avec des pays tiers présentent une autre faille, à savoir le faible suivi et la faible vérification de la mise en œuvre des mesures prévues ; nos collègues américains appellent cela l’accountability, un terme qui est très difficilement traduisible.

Après avoir dit du bien du groupe Les Républicains, je tiens maintenant à saluer Matthias Fekl, qui a été un grand secrétaire d’État chargé du commerce extérieur socialiste.

Devant cette même assemblée, voilà trois ou quatre ans, à un moment où nous débattions déjà des accords commerciaux européens, il critiquait la Commission européenne en ces termes : si plusieurs milliers de personnes travaillent à l’élaboration de nouveaux traités commerciaux – c’est devenu une véritable industrie au sein de l’Union européenne –, en revanche, seules cent à deux cents personnes sont chargées de leur suivi, de leur vérification et de leur application…

Ce constat est extrêmement important : il ne suffit pas de passer des accords et de fixer des conditions ; il faut aussi en vérifier l’effectivité et le suivi dans le temps.

Le Gouvernement partage la préoccupation qui est exprimée dans cette proposition de résolution et il agit dans ce sens. On l’a vu avec le CETA, la mise en place de la commission Schubert et la volonté d’assurer un suivi et d’améliorer la prise en compte des enjeux sanitaires et environnementaux ; on l’a vu également lors du rejet du projet d’accord commercial avec le Mercosur, avec un motif juste : le non-respect par le Brésil de ses engagements en matière de climat et de biodiversité.

Le Gouvernement agit également quand il veut inscrire la lutte contre la déforestation comme l’un des éléments essentiels dans les accords passés. C’est dans le cas des négociations actuelles entre l’Union européenne et l’Indonésie, mais aussi, plus récemment, cet été, dans les discussions du G7 de Biarritz sur l’Amazonie.

Heureusement, ces derniers temps, l’Union européenne a commencé à bouger. Elle va un peu plus loin dans la vérification.

En conclusion, si nous partageons les mêmes objectifs que les auteurs de cette proposition de résolution, en revanche, j’émettrai des critiques de forme et de fond.

Pourquoi s’agit-il d’une proposition de résolution et non d’une proposition de résolution européenne ? Cette dernière solution aurait eu un triple avantage.

Tout d’abord, elle aurait eu plus d’impact politique, puisque non seulement nous nous serions adressés au gouvernement français, mais nous aurions pu produire un avis politique en direction de la Commission européenne.

Ensuite, elle aurait permis à la commission des affaires européennes du Sénat, qui est compétente sur ce sujet, de se saisir de cette question.

Enfin, elle aurait évité certains écueils et certaines malfaçons de ce texte.

En effet, sur le fond, la production d’une nouvelle taxe à l’échelon européen, censée alimenter de nouvelles ressources propres pour l’Union européenne pour financer la transition écologique des États membres, est une très bonne idée, mais qui est quelque peu complexe à mettre en œuvre : il n’existe pas de taxes affectées dans le budget européen ; il faudrait les créer.

Or cela suppose une décision à l’unanimité du Conseil européen ! Quand on connaît les logiques de blocage qui peuvent exister, on sait que c’est dangereux.

En outre, l’idée même de barrières nous expose directement aux sanctions de l’OMC. C’est pourquoi la proposition formulée par la Commission européenne d’un mécanisme d’ajustement aux frontières ou celle, qui a été émise par le Gouvernement, d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières permet de contourner cet obstacle et le risque d’accusation de protectionnisme.

Pour toutes ces raisons, mon groupe votera ce texte, pour encourager la prise en compte à la fois européenne et environnementale du groupe Les Républicains, …

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