Intervention de Amélie de Montchalin

Réunion du 14 janvier 2020 à 14h30
Barrière écologique aux frontières — Adoption d'une proposition de résolution

Amélie de Montchalin :

Cela permettra d’assurer une prévisibilité à nos industriels. En effet, comment leur demander de se projeter à long terme si le prix du carbone peut de nouveau diminuer à tout moment ?

Nous voulons, deuxièmement, exiger que les efforts que nous faisons soient également réalisés par nos partenaires commerciaux, en intégrant une « donne carbone et climat », si j’ose dire, à nos politiques commerciales.

Le 13 décembre dernier, en pleine COP25, la Commission a présenté une trajectoire crédible, avec son pacte vert ou Green Deal. Ce plan, dont nous avons salué l’ambition, reprend en particulier les deux approches que je viens de mentionner.

La feuille de route qui nous est proposée par la nouvelle commission vise à mettre en cohérence l’ensemble des politiques publiques européennes avec nos engagements en faveur du climat et de l’environnement. Mais elle contient également une dimension sociale affirmée, une dynamique commerciale, industrielle, ainsi que sur le fret ferroviaire, les aides d’État et la concurrence.

Nos efforts doivent porter de façon transversale sur tous les secteurs fortement émetteurs, afin que nous nous donnions les moyens d’atteindre, ensemble, dans chacun des pays et chacun des secteurs, les objectifs de neutralité carbone en 2050, en y ajoutant un objectif de biodiversité et d’absence de pollution.

Ce pacte vert est un document nécessaire, salutaire, et nous aurons certainement, dans les mois qui viennent, l’occasion d’échanger sur les moyens de le préciser et de l’améliorer. Nous souhaitons en effet que ce pacte vert européen aboutisse à de nouvelles propositions législatives dans les meilleurs délais, afin que ses objectifs soient rapidement atteints.

Nous sommes en particulier satisfaits que la Commission ait repris, comme vous le faites dans ces murs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, et que notre proposition visant à faire de l’accord de Paris une clause essentielle des accords commerciaux ait été retenue.

Ce document constitue donc une base de travail très utile, qui prouve que notre ténacité à faire valoir ces points depuis longtemps a payé. Certains pensaient qu’il était trop ambitieux de l’écrire tout de suite et qu’il fallait mener un travail en chambre, entre experts, avant de prendre un tel engagement… Or il est désormais couché sur le papier.

Nous devons désormais poursuivre les efforts vis-à-vis de nos partenaires européens. Ils sont certes nombreux à nous faire part de leur intérêt à travailler à l’élaboration d’un tel outil, mais ils se posent également des questions légitimes. Nous devons les rassurer, et travailler également avec nos partenaires extraeuropéens, dont certains veulent croire que, si nous engagions cette marche, nous irions à l’encontre des règles de l’Organisation mondiale du commerce.

Nous nous focalisons plus précisément sur trois points d’attention.

Tout d’abord, nous devons trouver une solution faisable et techniquement fiable, en particulier pour mesurer le contenu carbone de nos importations. C’est pourquoi nous préconisons de concentrer dans un premier temps ce mécanisme sur des biens « basiques » comme l’acier, l’aluminium, le ciment, et peut-être aussi le papier ou le verre, autant de biens dont nous connaissons les lieux de production et pour lesquels nous pouvons avoir des informations fiables sur leur contenu carbone.

Ensuite, il est important pour la France que les recettes liées à ce mécanisme d’inclusion soient une ressource propre de l’Union et qu’elles permettent de financer la transition. Certains nous disent que l’eau doit payer l’eau ; en l’occurrence, en matière de climat, ceux qui ne respectent pas les normes définies en Europe doivent payer.

Enfin – c’est un point fondamental –, notre but est non pas de créer une taxe, qui pourrait être vue par l’OMC comme une mesure distorsive, mais bien d’élargir le marché ETS européen aux importations. Nous restons donc dans un domaine de souveraineté. Nous avons mis en place un marché ETS européen et nous souhaitons désormais que le prix du carbone appliqué aux productions européennes Europe puisse aussi s’appliquer pleinement aux biens importés. En d’autres termes, tous les produits qui sont vendus en Europe doivent se voir appliquer le prix du carbone en vigueur en Europe.

Si ce mécanisme ressemble à une taxe, ce n’en est pas une en réalité. En effet, si un bien provient d’un pays qui a lui-même fixé un prix du carbone, l’ajustement sera différent que si ce même bien provient d’un pays où il n’existe aucun prix du carbone. Il y a donc non pas une distorsion face aux importations en général, mais une inclusion du contenu carbone des importations.

Si nous investissons autant d’efforts dans la mise en œuvre d’un tel mécanisme, c’est parce que celui-ci constitue une composante essentielle de la politique climatique ambitieuse portée par la France.

C’est un enjeu de souveraineté économique. En effet, pour parvenir à la neutralité climatique en 2050, nos entreprises et nos citoyens, partout en Europe, vont devoir fournir des efforts importants, en transformant leur mode de production, en modifiant leur comportement. Et pour que ces efforts soient acceptables, pour que la croissance et la compétitivité soient préservées, il faut que les mêmes efforts soient demandés à tout le monde.

Tel est l’objet de ce mécanisme d’inclusion carbone aux frontières : faire en sorte que les importateurs payent autant que les producteurs européens, pour une même quantité d’émissions. Ce mécanisme aura également un effet incitatif : en tenant compte des mesures qui auront déjà été mises en place dans le pays d’origine des biens, nous pourrons comptabiliser le coût du carbone.

Nous débattons régulièrement du sujet des ressources propres de l’Union avec la commission des affaires européennes. D’autres idées sont sur la table, comme une ressource assise sur le plastique non recyclé ou une taxe sur les GAFA. Il est essentiel que l’Europe progresse sur cette question, les ressources propres constituant la clé pour réconcilier les pays qui se disent « frugaux » et souhaitent limiter leur contribution au budget européen, et les ambitions, légitimes et nécessaires, que nous nous fixons ensemble pour avancer. Ce mécanisme nous apparaît donc primordial.

Dix jours avant le Conseil européen de décembre, je me suis rendue à Prague, où j’ai débattu de façon extrêmement décisive avec les responsables des pays du groupe de Visegrad – la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne. Ces pays sont souvent identifiés comme réticents sur les enjeux climatiques, mais ils ont des demandes légitimes, que l’on peut comprendre. Ils partent en effet de plus loin, et leurs économies comme leurs emplois pourraient être encore plus touchés que les nôtres par cette transition énergétique.

Pourtant, dix jours avant le Conseil européen, nous avons signé avec ces pays une déclaration commune, dans laquelle nous appelions à ouvrir les discussions, en vue de créer un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières respectueux des règles de l’OMC, afin de lutter contre les fuites de carbone, sur la base d’une étude d’impact approfondie. Nous avions donc trouvé un accord, sur un point essentiel, avec des pays que certains décrivent comme fondamentalement et en permanence opposés à nos positions.

Je serai dans quinze jours à Copenhague, pour une réunion avec mes homologues danois, suédois et finlandais, afin de poursuivre le travail et d’élargir la coalition de ceux qui veulent non seulement travailler sur le sujet, mais également le soutenir et s’assurer de sa mise en œuvre.

L’application d’un tel mécanisme passera en effet par un travail technique de diagnostic et de description, pour en préciser les modalités, le rendre économiquement et techniquement faisable et rassurer les différents acteurs concernés. Cela constituera une part importante de notre travail, à la fois politique et diplomatique.

Vous m’avez interrogée, monsieur Leconte, sur le triangle de problématiques que constituent l’Europe, le climat et le Brexit.

Je tiens à être extrêmement claire. L’Union européenne vient de se fixer un objectif climatique ambitieux, celui d’une neutralité en carbone en 2050. Nous nous imposons donc de nouvelles contraintes, pour de bonnes raisons.

Nous essayons de les rendre acceptables, avec ce mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, mais nous attendons très clairement que les Britanniques nous disent ce qu’ils comptent faire. Entendent-ils prendre les mêmes engagements ? Recherchent-ils également la neutralité carbone d’ici à 2050 ? Les contraintes que nous nous fixons appellent une réponse !

Quelles marchandises viendront sur nos marchés européens ? Quelles garanties et quels engagements les Britanniques prendront-ils sur ce sujet climatique et environnemental ? Il s’agit d’un point essentiel, au demeurant parfaitement identifié par la Commission, Michel Barnier, le Président de la République et Ursula von der Leyen.

Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons extrêmement vigilants sur cette question, car il y va de la réciprocité, de l’équilibre et de la loyauté, à la fois commerciale et climatique, de nos relations avec les Britanniques dans les années à venir.

Sur le plan diplomatique et commercial, nous allons continuer à jouer la carte du multilatéralisme. Aujourd’hui même, Phil Hogan, commissaire européen au commerce, signe à Washington un accord entre l’Union européenne, les États-Unis et le Japon sur le sujet chinois, sur les subventions industrielles et sur la propriété intellectuelle. Cela montre bien que, sur certains dossiers, la persévérance paye.

J’espère que nous aurons également, sur ces enjeux de climat, des résultats dans les années qui viennent. D’ici à la COP26 de Glasgow sur le climat, et d’ici à la COP15 de Kunming sur la biodiversité, en nous appuyant sur la détermination européenne et sur notre détermination nationale, nous concentrerons nos efforts pour convaincre les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, qui sont aussi les principales forces économiques réunies au sein du G20, de répondre à cette ambition consistant à fixer un prix du carbone au niveau international.

Dans ce contexte, vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient les objectifs de la résolution que vous présentez, avec la méthode et les points de détail que je viens d’exposer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère pouvoir échanger avec vous plus en détail, au fur et à mesure que les négociations européennes sur ces sujets concrets, tangibles et extrêmement importants pour nos territoires se poursuivront.

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