Intervention de Didier Guillaume

Réunion du 14 janvier 2020 à 14h30
Activité des entreprises alimentaires françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier GuillaumeDidier Guillaume :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la loi Égalim a été promulguée il y a un peu plus d’un an ; ses décrets d’application ont été pris au printemps dernier et, lors de la dernière réunion du comité de suivi des relations commerciales, il a été convenu qu’il fallait considérer la période des négociations commerciales qui va de décembre 2019 à février 2020 comme la première à laquelle s’applique réellement cette loi. En effet, les décrets d’application n’ayant pas été publiés, aucune règle, aucune contrainte, ne s’imposait l’année dernière à ces négociations, lesquelles se sont d’ailleurs passées comme les années précédentes…

J’ai eu l’occasion de le dire publiquement à plusieurs reprises – cela m’a parfois été reproché… –, le compte n’y est pas en ce qui concerne les effets de la loi Égalim, en particulier pour les producteurs.

Un certain nombre de garanties très claires ont été mises en place et l’objectif principal est d’inverser la construction des prix. Il est quand même incroyable qu’en France la seule profession qui ne fixe pas ses prix soit la profession agricole. Le lait est prélevé sur l’exploitation d’un éleveur sans qu’il en connaisse le prix de vente et, à la fin du mois, il reçoit un chèque… C’est la coopérative ou l’entreprise qui détermine le prix elle-même, sans aucune discussion. Autre exemple : il est quand même incroyable que le producteur de race à viande vende ses bêtes moins chères qu’elles ne lui coûtent à élever. Ce n’est pas acceptable !

C’est la raison pour laquelle le législateur a fait le choix de suivre les préconisations des États généraux de l’alimentation, durant lesquels l’unanimité des acteurs, à l’exception d’une grande surface, a proposé de mettre en place des outils pour que les agriculteurs ne vendent plus à perte, ce qui signifie qu’il faut inverser la construction des prix, en demandant aux filières de fixer des prix de référence auxquels les produits agricoles devaient être achetés. Une autre demande très forte qui est ressortie des États généraux était d’arrêter les promotions qui font croire au consommateur que les denrées alimentaires peuvent être gratuites : les opérations commerciales du genre « une côte de porc achetée, une offerte » ou « un magret de canard acheté, le second à un euro » ne sont pas acceptables ! Ce type d’opération ne constitue aucunement de l’information ou de l’éducation du consommateur, mais correspond plutôt à du libéralisme à tout crin : l’important n’est plus ce que le produit coûte, mais ce qu’il vaut sur le marché.

C’est pourquoi la loi Égalim, qui est issue des États généraux de l’alimentation, et les ordonnances qui en découlent ont établi comme principe la limitation des promotions, tant en volume qu’en valeur. Cette décision a été prise par l’ensemble de la profession agricole et des acteurs économiques et politiques. Lors du dernier comité de suivi des négociations commerciales, tous les syndicats agricoles nous ont demandé de ne pas revenir sur ce principe et d’appliquer ce texte.

Nous savons qu’il y a un problème pour ce qu’on appelle les produits festifs ou achetés de manière impulsive, que ce soit le foie gras à Noël ou les autres produits de cette catégorie – je ne vais pas faire de publicité, ils sont tous bons.

La loi Égalim prévoit deux ans d’expérimentation et le Gouvernement estime qu’il n’est pas judicieux d’en modifier d’ores et déjà les termes, même si je me suis engagé à accorder aux produits festifs une dérogation pendant les fêtes. Si nous modifions la loi, nous ne saurons pas si elle est efficace ! C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi. Nous souhaitons faire confiance quelques mois encore au monde agricole et aux acteurs économiques.

Je vous le disais, le compte n’y est pas et il est vrai que jusqu’alors les négociations commerciales n’ont pas fonctionné correctement. Est-ce que ce sera mieux cette année ? Je n’en sais rien. Les premières informations qui nous remontent ne sont pas excessivement positives, mais il reste deux mois.

En tout cas, nous souhaitons aller beaucoup plus loin sur les négociations commerciales relatives aux produits sous marques de distributeurs, parce que les volumes sont nettement plus importants.

Il est urgent que les agriculteurs réussissent à obtenir des prix corrects pour leurs produits. Or ce n’est pas encore le cas. Aussi, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, et moi-même réunissons tous les trois mois le comité de suivi des négociations commerciales. Notre attention porte à la fois sur les marques et sur les MDD.

Je ne crois pas que le mot « ruissellement » ait été utilisé par le Gouvernement lors des débats sur la loi Égalim. En ce qui me concerne, je n’ai jamais pensé que l’augmentation du SRP du Coca-Cola ou du Nutella apporterait des revenus supplémentaires aux agriculteurs. C’est un problème non pas de ruissellement, mais d’inversion de la conception et de la construction des prix. Si les agriculteurs restent dépendants des acheteurs, nous ne nous en sortirons jamais !

La loi Égalim contient quatre-vingt-dix-huit articles et un certain nombre de mesures se mettent en place dans le cadre d’une expérimentation, dont le seuil de revente à perte – ce sujet n’a pas été évoqué, mais il est important – et l’encadrement des promotions. Sur ces points, le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport d’évaluation au plus tard le 1er octobre 2020. C’est pourquoi il nous paraît préférable, plutôt que de modifier la loi dès maintenant et par petits bouts, d’attendre l’automne prochain. À la suite du bilan que nous ferons, nous saurons précisément s’il faut revoir la loi et penser différemment la construction des prix agricoles.

Pour autant, je veux saluer le travail mené par le groupe de suivi du Sénat. Vos travaux et auditions, mesdames, messieurs les sénateurs, permettent d’éclairer la réflexion du Gouvernement et d’y voir plus clair sur ces sujets délicats. Le contenu de la proposition de loi, dont les trois articles ont été présentés, est clair.

Tout d’abord, vous proposez de revenir sur l’encadrement des promotions, non pas en valeur, mais en volume, en ce qui concerne les denrées saisonnières et les produits festifs.

Je veux simplement vous mettre en garde : à force de toujours vouloir des prix plus bas, le consommateur finit par s’habituer à de tels prix. Si le lapin, pour reprendre votre exemple, est exclusivement vendu en promotion, plus aucun consommateur ne voudra en acheter le jour où l’éleveur le vendra au prix de revient.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion