« Une loi creuse, marquée du sceau de l’échec, qui va toujours faire gagner le plus fort au détriment des agriculteurs. » C’est en ces termes, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que j’avais qualifié le projet de loi Égalim lors des débats au Sénat.
Un an après la promulgation de la loi, le constat est unanime : celle-ci est en deçà des aspirations exprimées lors des États généraux de l’alimentation. Elle n’a pas répondu à son premier objectif : un meilleur partage de la valeur et l’assurance d’un revenu décent aux agriculteurs.
Le rééquilibrage des négociations commerciales est un échec. L’interdiction des prix de cession à des montants abusivement bas est inopérante. La hausse du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions dans les grandes surfaces ont eu un effet rebond pénalisant pour les PME du secteur agroalimentaire, qui ont vu un net recul de leur chiffre d’affaires depuis la mise en œuvre de la loi.
Comme les autres années, les négociations commerciales de 2019 se sont déroulées dans un climat tendu et restent extrêmement déséquilibrées : chantage aux prix bas, menace de déréférencement des produits, baisse générale des prix d’achat de la grande distribution aux fournisseurs, non prise en compte du prix de revient calculé par les organisations de producteurs. Telle est la réalité de ces négociations qui n’en ont que le nom !
Jamais les promesses de la grande distribution, sur lesquelles les grandes orientations de la première partie du projet de loi étaient fondées, n’auront autant été bafouées.
Pendant ce temps-là, le désarroi agricole est toujours aussi profond ; les agriculteurs continuent de vendre à perte leurs productions quand les marges de l’industrie de la distribution ont progressé plus fortement que les prix agricoles, entraînant une inflation supplémentaire injustifiée pour les consommateurs.
Le consommateur est lui aussi lésé. En un an, les prix des produits alimentaires ont bondi de 2 %, soit leur plus forte hausse depuis 2012. Cette augmentation atteint 5, 2 % pour les produits frais, et jusqu’à 10 % même pour certains autres produits.
Nous l’avions dénoncé lors des débats sur le projet de loi Égalim. De simples engagements volontaires à mettre en œuvre des chartes et des plans, ou encore des indicateurs ne peuvent remplacer de véritables outils contraignants de régulation des marchés agricoles.
D’autant qu’aujourd’hui ces centrales organisent leur extraterritorialité, à l’image d’un groupe français qui a pour slogan « vous savez que vous achetez moins cher » et qui, pour ce faire, développe à partir de Bruxelles, une centrale d’achat qui négocie ouvertement les prix pour le marché français. De la sorte, il devient possible de s’affranchir de certaines règles françaises : droit de la concurrence, délais de paiement…
Ce groupe a terminé l’année 2018 avec un chiffre d’affaires de 37, 75 milliards d’euros, en progression de 1, 5 % par rapport à l’année précédente.
Enfin, certains mécanismes, comme le relèvement du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions, ont eu des effets contraires à ceux qui sont recherchés, cela a déjà été dit.
Ainsi, les sénateurs, mais aussi les associations de consommateurs, comme l’UFC-Que Choisir, ou encore les organisations syndicales agricoles telles que la Confédération paysanne et la FNSEA s’accordent pour dire que ces outils n’ont pas fonctionné, voire qu’ils ont eu des effets néfastes sur l’emploi des PME.
Pour l’UFC-Que Choisir et la Confédération paysanne, le système du seuil de revente à perte est un « chèque en blanc de 1, 6 milliard d’euros à la grande distribution » sur deux ans et un « chèque en bois pour les agriculteurs ».
La hausse du seuil de revente à perte a modifié la composition des linéaires selon les types de marque dans les grandes surfaces et a eu pour effet de revaloriser les produits des grandes marques et sous marques de distributeurs dans les rayons au détriment des produits des PME de l’industrie agroalimentaire.
Les ventes en valeur des produits des PME ont diminué de 3, 7 points entre 2018 et 2019, tandis que pour les produits sous marques de distributeurs, la croissance de ces ventes a enregistré une augmentation de 0, 3 point.
Concernant l’encadrement des promotions, il y a eu purement et simplement un détournement du dispositif via le développement de nouvelles offres commerciales. Il en est ainsi de ce qui est maintenant communément appelé le « cagnottage », technique de fidélisation qui consiste pour les distributeurs à proposer l’achat de certains produits et des réductions, dont le montant peut être reporté sur une carte. Il en est ainsi également du déplacement de la promotion : l’encadrement ne s’appliquant que sur un même produit, la grande distribution a simplement déplacé son offre sur des produits annexes. Si les produits sont différents, de fait, l’encadrement ne s’applique pas.
Face à ce constat, la proposition de loi, signée par l’ensemble des membres de la commission des affaires économiques, a le mérite de répondre dans l’urgence aux défaillances les plus criantes de la loi Égalim. Ses dispositions sont d’application directe et pourraient donc avoir un effet immédiat en faveur des PME et TPE du secteur agricole.
Mon groupe votera en faveur de cette proposition de loi. Monsieur le ministre, tout notre désaccord porte certainement sur le fait que nous ne pouvons pas continuer de faire confiance, d’attendre de voir, de laisser s’écouler un an de plus pour espérer que les choses s’amélioreront peut-être un jour.
Je crois que le rôle des élus, du Gouvernement et des pouvoirs publics dans leur ensemble, c’est justement d’agir avec tous les acteurs pour sortir de cette difficulté à laquelle est confronté le monde agricole dans notre pays depuis maintenant de nombreuses années.