Intervention de Jean-Claude Tissot

Réunion du 14 janvier 2020 à 14h30
Activité des entreprises alimentaires françaises — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Claude TissotJean-Claude Tissot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est rare qu’une proposition de loi reflète une position partagée quasi unanimement sur les travées de notre hémicycle.

À mon tour, je tiens à remercier Daniel Gremillet de nous avoir associés à ce texte totalement transpartisan, cosigné par une centaine de collègues, issus de tous les groupes.

Lorsque les clivages traditionnels entre nos groupes sont ainsi surmontés, c’est que l’enjeu est suffisamment fort pour nous inviter à faire cause commune. Et lorsque notre assemblée est ainsi homogène dans son expression, il serait bon que le Gouvernement l’entende.

Le constat d’échec de la loi Égalim que nous faisons tous aujourd’hui n’est malheureusement pas une surprise. Si les États généraux de l’alimentation avaient suscité de vrais espoirs, le texte censé les traduire s’est avéré des plus décevants, sur les volets tant des revenus des agriculteurs que de l’alimentation.

Très vite, il nous a semblé nécessaire de constituer, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de suivi de cette loi, afin d’en analyser la portée réelle.

Les travaux de ce groupe ont permis de mettre en évidence les effets néfastes de ce texte qui ont affecté encore davantage les agriculteurs, plus particulièrement les PME, grandes victimes de la loi Égalim.

Ainsi, le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % sur les produits alimentaires et l’encadrement des promotions n’auront pas permis d’augmenter le revenu des agriculteurs. Le prix d’achat aux fournisseurs en 2019 aura même diminué de 0, 4 % selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges.

En conclusion, les auteurs du rapport de suivi ont souligné que « la loi Égalim aura l’effet paradoxal de pénaliser les acteurs les plus proches des agriculteurs français et qui, souvent, sont les plus créateurs d’emplois ».

Il était donc indispensable de légiférer de nouveau pour corriger sans attendre les effets les plus négatifs de ce texte. Cette proposition de loi transcrit les préconisations du groupe de suivi.

Trois problèmes doivent être « résolus avec urgence » pour ne pas mettre en difficulté les entreprises françaises de l’agroalimentaire et les producteurs agricoles : les difficultés majeures posées par l’encadrement des promotions pour les PME ; les effets de la clause de renégociation des prix jugés non satisfaisants ; la réforme considérée par certains comme trop extensive en matière de droit des coopératives agricoles sur la base de l’habilitation par ordonnance prévue dans la loi Égalim.

Ces problématiques se traduisent très directement dans les trois articles de la proposition de loi.

L’article 1er pose un principe de dérogation à l’encadrement des promotions qui permettra d’apporter de la souplesse en ce domaine.

Si cette souplesse peut s’avérer nécessaire pour des filières spécifiques dont les ventes se concentrent sur une période de l’année, il ne faudrait pas pour autant qu’une multiplication de dérogations rende vain l’encadrement des promotions. Pour cela, plutôt que de réduire année après année ses moyens, il faudrait notamment que le Gouvernement en redonne à la DGCCRF.

L’article 2 met en place une expérimentation autour d’une clause automatique de renégociation des prix. Le médiateur des relations commerciales avait recommandé d’instaurer une telle clause qui permet d’ajuster mécaniquement le prix d’achat contractuel à la hausse comme à la baisse.

C’est le cas du porc, dont le cours a augmenté de 45 % entre janvier et octobre 2019, alors même que le coût de la matière première constitue 70 % du coût de revient de l’industrie charcutière, ou encore des pâtes alimentaires, affectées par une augmentation du cours mondial du blé dur de 25 % en six mois.

Si le travail en commission a eu le mérite de simplifier le dispositif retenu, l’une des modifications opérées par rapport au texte initial risque d’avoir des effets non désirés : en renvoyant les seuils de déclenchement de la clause à la négociation entre les parties, elle pose une fois de plus la question du rapport de force lors de tels échanges. La grande distribution risque d’être intraitable sur ses seuils, rendant leur activation sûrement difficile, sinon très encadrée.

L’article 3 tend à la suppression du régime des prix abusivement bas. À cet endroit du texte, j’aurai une approche légèrement différente de celle de mes collègues.

Je les rejoins sur le fait que le Gouvernement est allé au-delà du champ de l’habilitation que lui donnait l’article 11 de la loi Égalim en modifiant le code rural, alors que la loi ne citait que le code du commerce. Comme eux, je suis attaché aux droits du Parlement. Trop souvent, ces dernières années, nous avons contesté la confiscation des débats parlementaires par le recours aux ordonnances.

Je suis également très attaché au modèle coopératif et je conçois que mes collègues soient choqués par l’assimilation, de fait, des coopératives à des sociétés commerciales.

Toutefois, les dispositions supprimées par l’article 3 permettraient à des associés coopérateurs se sentant lésés du fait d’une rémunération abusivement basse de leurs apports au regard des indicateurs agricoles de pouvoir mettre fin à cette situation ou d’obtenir réparation en justice.

Elles constitueraient donc une parade contre certaines pratiques affectant le revenu des agriculteurs. Ces derniers, nous le savons, se sentent parfois impuissants, notamment lorsqu’ils appartiennent à de très grosses coopératives s’apparentant à des géants de l’agroalimentaire.

Il ne s’agit pas de remettre en cause l’esprit coopératif, car le dispositif, tel qu’il est prévu dans la loi, reste relativement lourd et ne s’appliquerait donc que dans certains cas extrêmes. En effet, l’action en justice doit être introduite par le ministre de l’économie, après l’avis motivé du ministre de l’agriculture et du Haut Conseil de la coopération agricole.

Ce dispositif affectera par conséquent non pas l’ensemble de nos coopératives, mais seulement la poignée d’entre elles ayant ces comportements inadmissibles. Il me semble donc regrettable de le supprimer purement et simplement sans offrir d’autre réponse aux agriculteurs se retrouvant dans ces situations.

Toutefois, dans un souci de maintenir cette belle unanimité sur ce texte et me retrouvant, à cette nuance près, complètement dans la démarche des auteurs de cette proposition de loi, j’ai retiré mon amendement visant à supprimer l’alinéa 2 de l’article 3.

Mes chers collègues, la loi Égalim, malgré tout le travail effectué en amont, notamment au travers des États généraux, est en échec sur ses principaux objectifs. Il nous appartient aujourd’hui, à travers cette proposition de loi, d’en corriger les effets les plus néfastes. Les membres du groupe socialiste et républicain voteront cette proposition de loi transpartisane.

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