Intervention de Valérie Duval-Poujol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 26 novembre 2019 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences conjugales avec des représentants des cultes et des courants philosophiques

Valérie Duval-Poujol, théologienne, docteure en histoire des religions et spécialiste des questions de traduction de la Bible :

Bonsoir à chacune et à chacun. Je m'associe aux remerciements exprimés par François Clavairoly au nom de la Fédération protestante pour cette audition.

En introduction, je voudrais rappeler les paroles de Martin Luther King, pasteur baptiste, lui aussi prix Nobel de la paix : « Ce qui m'effraie, ce n'est pas l'oppression des méchants ; c'est l'indifférence des bons ». Et votre invitation nous donne l'occasion de faire reculer l'indifférence dans nos communautés, et je vous remercie pour cela.

Longtemps taboue, la violence conjugale existe depuis toujours, dans tous les milieux, y compris dans les Églises, et nos Églises protestantes, dans toute leur diversité, sont concernées. Le couple, qui est présenté dans les textes de la Genèse comme devant être un lieu d'intimité, de confiance, devient un lieu de terreur, de souffrance, avec des conséquences non seulement sur le ou la partenaire victime, mais aussi sur les enfants ainsi que sur l'entourage. Et on compte aussi des hommes violents dans les rangs de nos pasteurs.

Nous n'avons pas de statistiques confessionnelles, mais les personnes travaillant dans l'accompagnement des victimes de violences conjugales en milieu protestant confirment que c'est une réalité malheureusement importante.

D'une part, je voudrais vous parler de l'engagement de nombreux protestants et protestantes contre ce fléau. Et en même temps, il faut reconnaître que l'appartenance religieuse des victimes est souvent un facteur rendant plus difficile leur départ. Dans certains milieux protestants fondamentalistes, la violence au sein des couples pourra être excusée, légitimée, au travers de lectures erronées de certains textes bibliques. Des enseignements pseudo-bibliques sur la soumission de la femme renforcent le poids du silence et la difficulté pour les victimes de violences conjugales de parler, d'oser dire « non » afin de faire cesser leur cauchemar quotidien. Avec cette compréhension abusive des textes, on enseigne à la femme de rester soumise en toutes circonstances, encourageant le pardon à l'infini, le renoncement, l'acceptation de la violence par le « chef du couple, chef du foyer », ce qui implique soumission à ses ordres, à ses désirs, à ses interdits, à ses demandes, jusqu'au viol conjugal répété.

Il est évident que l'étude sérieuse des textes bibliques infirme totalement ces lectures. Nous en avions parlé dans une précédente table ronde.

Quel est donc l'engagement des protestants ? Je vais me cantonner aux associations explicitement protestantes, mais il est clair que de nombreux protestantes et protestants se sont également engagés dans des instances ou associations non protestantes. Je pense en particulier au Planning familial, qui je le rappelle a été cofondé en 1956 par la sociologue Évelyne Sullerot, fille de pasteur.

Plusieurs axes existent.

Il y a d'abord l'accompagnement des victimes. Les associations et Églises protestantes gèrent de nombreux lieux d'accueil des victimes. J'en citerai quelques-uns :

- le CHRS Le Home à Strasbourg, qui existe depuis 1878 et qui compte 80 lits. Porté par la paroisse réformée du Bouclier, il montre que ce souci existe depuis longtemps. J'en profite pour rappeler que le financement de ces CHRS est assuré par une dotation globale de l'État, et que celle-ci ne cesse de se réduire, alors que les besoins ne cessent d'augmenter ;

- la Fondation de l'Armée du Salut, qui propose des structures d'hébergement et de réinsertion dédiées aux femmes victimes de violences, qu'elles soient seules ou avec des enfants, ainsi qu'un accompagnement avec des psychologues et des groupes de parole. Il existe des établissements à Paris, à Louviers ou à Nîmes.

- S'agissant de l'accompagnement des enfants, mentionnons le projet d'accueil de l'Association Baptiste pour l'entraide et la jeunesse (ABEJ-Solidarités), à Lille, conçu spécialement pour les enfants ;

- enfin, le Centre d'action sociale protestant (CASP) propose, au travers de l'Association Réflexion-Action Prison et Justice (ARAPEJ), en lien avec le monde carcéral, des permanences d'accès au droit spécialisées notamment en matière de violences faites aux femmes, avec également un numéro vert.

Évidemment, si les associations sont protestantes, les victimes qui sont accompagnées viennent de tous horizons confessionnels.

Il y a aussi l'accompagnement des auteurs de violence. La Fondation de l'Armée du Salut a annoncé en septembre dernier le lancement de deux projets expérimentaux, à Belfort et à Mulhouse, visant à accompagner des hommes ayant eu des comportements violents dans le cercle familial, en coordination avec le juge de l'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).

Autre axe, la formation et l'éducation : il s'agit d'un axe fondamental pour faire évoluer les mentalités. Je citerai plusieurs exemples récents :

- une charte d'engagement contre les violences conjugales a été rédigée par un groupe de travail de la Fédération baptiste (FEEB) et proposée aux Églises protestantes, qui ont la possibilité de l'afficher dans leurs salles de culte. Je vous lis un extrait de cette charte : « Notre Église affirme que la violence conjugale dans toutes ses formes est inadmissible, injustifiable et irréconciliable avec la foi chrétienne. » ;

- la formation des pasteurs et des responsables d'Églises : récemment, des formations pastorales ont vu le jour avec l'organisme Empreinte Formation, pour aider les pasteurs à mieux écouter et accompagner les victimes. Au programme, des sujets qui ne sont pas vraiment abordés dans les facultés de théologie : explication de ce qu'est l'emprise, identification du cycle de la violence conjugale et de ses effets, notamment sur les enfants. Je pense aussi au Diplôme d'études supérieures en relation d'aide, à l'Institut des sciences humaines de la faculté adventiste de Collonges, en lien avec l'académie de Grenoble, qui inclut dans ses modules l'accompagnement des victimes de violences conjugales pour ces pasteurs et ces accompagnants ;

- des ressources pour former sur le sujet. Je vous présente en particulier une brochure, qui vient de sortir, et qui a été éditée par la Fédération Baptiste. Elle s'intitule « Ensemble contre les violences conjugales ». Je voudrais mentionner aussi un ouvrage collectif qui sortira en mai prochain : Violences conjugales. Accompagner les victimes, où l'on retrouve à la fois les éléments psychologiques permettant d'analyser cette violence, mais aussi une approche expliquant les textes bibliques pour déconstruire les « mâles entendus », montrer en quoi ces textes ne sauraient légitimer la violence conjugale ;

- des actions aussi pour davantage d'égalité entre hommes et femmes, car c'est sur le terreau des inégalités que prospèrent les violences. Je pense au travail de long terme conduit dans ce domaine par la Fédération Luthérienne mondiale sur la « justice de genre », qui est aussi traduit en français.

Quatrième et dernier axe : sensibiliser.

Plusieurs initiatives tentent de briser le tabou de la violence domestique en libérant la parole et en encourageant le plaidoyer :

- les « jeudis en noir » sont une campagne mondiale, à laquelle participent de nombreuses Églises protestantes. Cette initiative nous vient du Conseil oecuménique des Églises. Il s'agit, tous les jeudis, de porter un vêtement noir et un badge, pour s'ériger contre les violences faites aux femmes. Cette initiative est encore balbutiante en France, mais on voit des groupes, notamment de femmes luthériennes en Alsace, qui commencent à la pratiquer ;

- et puis l'association Une place pour elles, que je préside. Il s'agit d'une initiative pour rendre visibles les victimes de violences conjugales, par un geste simple : on recouvre une chaise d'un tissu rouge dans un lieu public, en particulier autour du 25 novembre. Et on dispose un panneau sur la chaise, matérialisant que cette place est pour Elle, ce qui signifie que cette femme aurait dû être là parmi nous, mais elle est morte sous les coups de son mari, de son partenaire, de son ex. Cette initiative aconfessionnelle se révèle être un excellent moyen de sensibilisation, de libération de la parole. Je me permets de vous faire passer l'information si cela vous intéresse de la reproduire à votre tour. J'ajoute que lors de la dernière Assemblée générale de la Fédération Protestante, il y avait Une place pour Elle, sur l'estrade, à côté du président qui est là ce soir et des intervenants, et pendant tous les débats ;

- enfin, ce samedi, comme le président l'a dit, la FPF organise une soirée grand public avec le docteur Mukwege, lauréat du prix Nobel de la paix. L'« homme qui répare les femmes » va évoquer le viol comme arme de guerre. Notre mobilisation contre les violences conjugales ne nous fait pas oublier toutes les autres formes d'oppression.

En conclusion, j'ai pensé à ce terme swati, en Afrique du sud. Il se trouve que, dans cette langue, pour dire « conjointe », « épouse », « femme », on dit « celle qui meurt sans parler de ce qu'elle a subi ».

Alors je vous invite à vous mobiliser encore pour que « femme » ne rime plus avec « celle qui meurt sans parler de ce qu'elle a subi ». Je pense que cette audition va y contribuer. Merci de nous permettre d'avancer ensemble.

Permettez-moi de conclure avec cet appel du psalmiste : « Faites droit aux faibles et à l'orphelin, rendez justice au pauvre et au déshérité, libérez le faible et le pauvre, délivrez-les de la main des méchants »1(*).

Notre désir est qu'ensemble dans notre pays nous mobilisions nos forces pour que cessent ces violences. Je vous remercie.

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