Merci Madame la présidente.
Depuis plus de soixante-dix ans, la Grande Loge Féminine de France (GLFF), première obédience maçonnique féminine de France, forte de 14 000 membres et présente sur tous les continents, travaille sur une société de justice et de progrès.
Notre spécificité est de nous forger une identité, une parole de femmes entre femmes.
L'article 3 de notre Déclaration de Principes affirme que la GLFF « oeuvre à l'accomplissement et au respect des droits des femmes, condition indispensable de l'universalisme des droits humains ».
Peut-on travailler à l'amélioration constante de la condition humaine sans avoir un regard sur la société qui nous entoure, dont nous sommes membres, toutes, en tant que citoyennes ?
Être franc-maçonne c'est se construire, mais c'est aussi agir, prendre position, c'est se sentir responsable du monde réel dans lequel nous vivons, et se battre pour celles qui n'ont pas la liberté de se battre, c'est se battre pour celles qui n'osent pas, qui ne peuvent pas parler...
Nous sommes des femmes engagées et responsables qui luttons de toutes nos forces contre les atteintes portées à nos principes de tolérance, de respect de l'autre, de parité, de laïcité.
Toute l'action de nos pionnières a été de participer activement à l'émancipation des femmes.
L'émancipation des femmes, c'est sans doute un bon outil pour éviter de tomber dans les griffes d'un prédateur, d'être « sous emprise ».
Nous sommes donc 14 000 femmes « émancipées », libres, non dogmatiques, qui travaillons en loge et qui nous engageons à mettre nos valeurs en pratique, en partage, hors loge, selon des modalités qui conviennent à chacune d'entre nous.
Lorsque nous nous engageons dans la vie civile au sein d'associations, c'est en notre nom propre, pas en tant que franc-maçonne.
Toute maçonne a le devoir de s'informer, de dénoncer, d'intervenir chaque fois que les droits des femmes, des hommes, des enfants, de l'être humain en général sont violés ou bafoués.
Prendre position est une responsabilité à laquelle la GLFF ne peut se soustraire. Si elle est une association discrète, elle n'est pas pour autant muette et elle sait communiquer et rappeler qu'elle travaille « à la recherche constante et sans limite de la vérité et de la justice dans le respect d'autrui ».
La GLFF s'est dotée de commissions nationales dans lesquelles nos régions sont représentées, ce sont des instances de débats, de réflexions, de contributions et de propositions.
Ainsi, la Commission nationale des droits des femmes constate, analyse, propose, lutte pour que les droits des femmes ne restent pas théoriques, mais soient appliqués intégralement. Elle travaille sur la question des violences faites aux femmes, sur des mesures à mettre en oeuvre : c'est ainsi qu'elle a rédigé un rapport alternatif/CEDAW4(*) et a contribué à la Convention d'Istanbul5(*).
Aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, nous vous remercions de nous avoir invitées à vous présenter nos réflexions sur le fléau insupportable et inadmissible des violences commises par certains hommes sur les femmes, qui est un problème majeur de notre société.
Soulignons d'abord l'ampleur de ces violences qui prennent des formes multiples : violences au sein du couple, violences au travail, violences dans l'espace public, violences physiques, violences psychologiques, mutilations sexuelles, etc.
Ayons présents à l'esprit ces chiffres :
- en 2019, une femme tuée tous les deux jours par son compagnon ;
- une femme violée toutes les sept minutes ;
- entre 9 000 et 15 000 années de vie perdues en une année.
Pour les survivantes, les violences génèrent des grandes souffrances, des troubles psychiques importants, des séquelles mentales et physiques.
Pour leurs enfants, témoins de ces violences, des souffrances, des séquelles à long terme, difficilement quantifiables.
Pour la société, un coût estimé à 3,6 milliards d'euros par an : soins médicaux, recours aux services de police et de justice, aides sociales, répercussions économiques, etc.
Pourtant, la France s'est dotée depuis ces quinze dernières années de nombreuses lois et a lancé diverses actions. Certes, ces lois et ces mesures ne sont pas toujours faciles à mettre en oeuvre, mais il faut souligner que la législation contre les violences faites aux femmes est mal appliquée, et de plus, toujours incomplète.
Le récent rapport du GREVIO (Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique), instance du Conseil de l'Europe, pointe ainsi de nombreux dysfonctionnements concernant la France :
- faiblesse du système des ordonnances de protection ;
- enfants co-victimes des violences conjugales ;
- correctionnalisation fréquente du crime de viol ;
- insuffisance des hébergements spécialisés, des lieux d'écoute, d'accueil et d'orientation ;
- insuffisance des moyens financiers et humains ;
- insuffisance de l'application de la loi de 2001 qui prévoit trois heures d'information sexuelle par an pour les élèves ;
- insuffisance de l'application de la Convention d'Istanbul ;
- femmes victimes de discriminations multiples ;
- situation des femmes réfugiées et demandeuses d'asile.
Ce rapport propose également des améliorations rapides :
- amélioration de la collecte des données au niveau de la justice ;
- amélioration des services spécialisés, en veillant à la répartition géographique ;
- permanence en continu de la ligne 3919, etc.
De même, Nicole Belloubet, garde des sceaux, a reconnu récemment (dans le Journal du dimanche du 17 novembre 2019) que la chaîne pénale n'était pas satisfaisante, et a préconisé diverses mesures à prendre d'urgence.
Hier, Édouard Philippe, premier ministre, a déroulé un plan d'actions, qui pour certaines reprennent des mesures qui auraient dû être appliquées au regard de la signature de la Convention d'Istanbul. Des mesures annoncées sont néanmoins positives et attendues, telles que le recours aux bracelets anti-rapprochement, l'interdiction de la médiation, la reconnaissance de l'emprise, la déchéance de l'autorité parentale...
Cependant, pour nous, franc-maçonnes de la Grande Loge Féminine de France, il est indispensable que soient mises en place à la fois une politique volontariste pour répondre à l'urgence de la situation actuelle et une stratégie nationale d'éradication à terme de ce fléau.
Pour répondre à ces urgences, une loi-cadre est indispensable, comme en Espagne, avec un budget adapté.
Nous insisterons donc sur les mesures qui, à court ou long terme, nous semblent incontournables.
À court terme, nous souhaitons :
- la généralisation de l'expérience faite à Arras, où les conjoints violents sont éloignés dès les premières violences et ont l'interdiction absolue d'approcher leur compagne :
- la généralisation du bracelet électronique d'éloignement ;
- la levée du secret médical : il est envisagé un éventuel partage du secret médical dont les contours restent à définir, mais on oublie de spécifier qu'il faut faire obligatoirement figurer et de façon substantielle, dans la formation initiale et continue du personnel médical et paramédical, la problématique des violences à l'encontre des femmes ;
- l'obligation pour tous les hommes reconnus coupables de violences conjugales de participer à un stage pour une prise de conscience et de responsabilisation, ce qui permettrait un taux de récidive plus faible ;
- la prise en charge systématique de l'addiction à l'alcool, facteur aggravant pour les facteurs de violences ;
- la suppression de la garde alternée des enfants en cas de divorce s'il y a eu des violences ;
- la suppression de l'autorité parentale en cas de condamnation ;
- une meilleure prise en compte de l'intérêt et de la sécurité de l'enfant ;
- la création de tribunaux spécialisés ;
- la formation des magistrats.
À plus long terme, nous préconisons :
- de renforcer, de la crèche au lycée, l'éducation au respect et à l'égalité filles-garçons, femmes-hommes, par la formation des personnels éducatifs ;
- de combattre, dans les différents champs sociaux, les stéréotypes de genre, afin de déconstruire les modèles archaïques préjudiciables à toutes et tous ;
- de créer, en s'inspirant du modèle espagnol, une « loi de protection intégrale contre les violences de genre », c'est-à-dire la mise en place d'un système global, sans faille ;
- enfin, de lutter efficacement contre la pauvreté, car la pauvreté, en touchant majoritairement les femmes, ne leur permet pas d'accéder à leur autonomie et de quitter leur conjoint lorsque leur sécurité l'exige.
En conclusion, la violence des hommes ne s'exerce pas seulement contre les femmes, elle en est un des aspects les plus condamnables, mais elle s'exerce dans tous les champs sociaux : les statistiques du ministère de l'intérieur sont sur ce sujet particulièrement éloquentes. Cette violence est nuisible à la paix sociale et coûteuse à la société tout entière.
Oui, il est urgent de mettre en place une politique volontariste pour lutter contre toutes les violences que subissent les femmes. Et pour qu'elle soit encore plus efficace, il faut aussi mettre en place une politique globale de lutte contre toutes les formes de violence, qui irriguerait dans les champs sociaux. Qu'elles aient lieu à la maison, au travail ou dans la rue, les violences ne sont pas une fatalité. Jamais.
Encore faut-il une volonté politique sans faille et des moyens adaptés.