Intervention de Oranne de Mautort

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 26 novembre 2019 : 1ère réunion
Table ronde sur les violences conjugales avec des représentants des cultes et des courants philosophiques

Oranne de Mautort, directrice adjointe et responsable du Pôle famille au sein du Service national Famille et Société :

Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre invitation.

Comme vient de le rappeler Mgr Blanchet, la violence envers les femmes est dénoncée sans ambiguïté par l'Église catholique, même si, il faut le dire, cet engagement reste méconnu.

Mais la dénonciation, si claire soit-elle, ne suffit pas. Nous le savons, et nous sommes invités à la fois personnellement mais aussi collectivement, à l'action, et donc nous vous remercions à nouveau de votre invitation.

Pour ce qui nous concerne dans l'Église catholique, je voudrais souligner quatre points.

Le premier point est qu'il s'agit de toujours mieux connaître les phénomènes. Je pense, et vous l'avez dit les uns et les autres, que nous devons continuer à repérer et nommer les différentes formes de violence - physique, psychologique, sexuelle, économiques et administrative.

Nos églises, nos aumôneries - par exemple nos aumôneries d'hôpitaux -, nos mouvements, nos communautés, sont des lieux où beaucoup de personnes viennent chercher une écoute.

Aujourd'hui, nous voulons dire qu'il nous faut toujours davantage écouter une personne qui témoigne. Davantage écouter ces victimes de violences conjugales, pour mieux cerner leurs difficultés à parler, mieux cerner leurs difficultés à porter plainte, à demander de l'aide à un tiers. Il nous faut toujours également chercher à mieux comprendre comment les notions d'emprise et d'abus de pouvoir jouent dans cette situation.

Le deuxième point concerne l'éducation et la prévention auprès d'un large public. Je citerai deux exemples, à partir des expériences concrètes que nous vivons dans l'Église catholique. Je pense d'abord à la question de l'éducation à la sexualité et aux relations affectives, qui doit normalement être abordée dans le cadre scolaire, nous le rappelions tout à l'heure.

À cet égard, l'association CLER Amour et famille est un mouvement de l'Église catholique, agréé association de jeunesse et d'éducation populaire, qui forme des éducateurs et assure des interventions en milieu scolaire. Les animateurs interviennent à partir des questions des jeunes. C'est leur point de départ. Et ils relèvent que ceux-ci ne parlent jamais spontanément de la violence en famille. La violence semble être un fait, mais pas quelque chose à questionner. Ce silence est significatif, la parole n'est pas libérée sur le sujet, le tabou demeure.

Ces mêmes animateurs mettent l'accent sur plusieurs leviers de prévention : l'estime de soi, le respect de soi-même et des autres, la question du consentement, l'égalité, évidemment, entre filles et garçons, mais aussi la mise en mots des émotions. Et ils rappellent qu'il faut du temps pour ce travail.

Un deuxième exemple de prévention concerne la formation des couples aux enjeux de la vie conjugale. Je rappelle que les catholiques préparent chaque année de nombreux couples - 50 000 environ - au mariage religieux. L'objectif est de leur permettre de mieux se connaître pour mieux s'aimer. Ce travail se fait en soulignant notamment le piège de l'idéalisation de la vie amoureuse. Les animateurs soulignent aussi l'impératif de la communication, ainsi que le refus absolu de la violence, y compris de la violence sexuelle. Il ne peut y avoir de relations sexuelles sans consentement à l'intérieur du mariage, défendent fortement les catholiques.

Le troisième point, après la prévention, tient à la formation et à la mobilisation des personnes en responsabilité. Pour prévenir, accompagner, soutenir, il nous faut relayer dans nos églises les lieux ressources comme le 3919, mais aussi les obligations juridiques, les possibilités thérapeutiques. Les catholiques, qui sont souvent en situation d'écoute, sont sans doute, comme tous les Français, un peu démunis devant les actions à mener en cas de violence.

Il nous faut aussi former sérieusement les éducateurs, les prêtres, les conseillers conjugaux et familiaux qui interviennent dans le cadre ecclésial à ce sujet. Je souligne que la formation des conseillers conjugaux et familiaux dure trois ans. Elle comporte des modules pratiques et des modules spécifiques sur la violence intrafamiliale. À titre d'exemple, on peut aussi noter que des journées de sensibilisation se préparent, par exemple dans le diocèse de Strasbourg.

Enfin, le dernier point concerne le soutien aux personnes victimes. En situation d'urgence, il est primordial de bien accueillir et d'écouter les victimes, de les sécuriser pour le logement, de prendre des mesures matérielles et financières, d'organiser la responsabilité parentale, et de soigner. Nous avons évoqué ces aspects ; l'Église y prend sa part. Je pense par exemple aux résidences sociales qui accueillent des familles - souvent des femmes avec enfants -, soutenues par les Apprentis d'Auteuil, l'une à Marseille, une à Chartres. On peut mentionner aussi quelques lignes d'écoute développées dans des diocèses. Mais il s'agit aussi d'inscrire la reconstruction des victimes dans la durée, et cela nous tient évidemment à coeur. Des groupes de parole y contribuent, à l'image de nombreux groupes de personnes divorcées qui sont promus par l'Église catholique dans les diocèses de France.

Pour conclure, je voudrais redonner la parole à une personne victime. Parce qu'écouter ses mots c'est pour nous, et pour moi, souligner le courage de ces femmes et notre devoir d'agir : « Malgré tout, avec le temps, j'ai retrouvé ma dignité, je me bats sans cesse, je veux réussir ma vie, mais j'ai toujours besoin d'être soutenue et écoutée ».

Je vous remercie.

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