Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 21 janvier 2020 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir, aux côtés d’Agnès Buzyn, de Frédérique Vidal et d’Adrien Taquet, de vous présenter aujourd’hui ce texte important de révision des lois bioéthiques.

En tant que membre du Gouvernement, je suis bien entendu particulièrement fière de co-porter cette loi, qui, dans son ensemble – Agnès Buzyn vient de le rappeler –, réaffirme des principes et des valeurs, mais traduit aussi de véritables progrès.

Je pense notamment à son article 1er, qui ouvre l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules.

Je me réjouis donc que la commission spéciale ait décidé de repousser les amendements de suppression de l’article 1er du projet de loi. Je souhaite évidemment qu’il puisse en être de même en séance publique.

Cela répond en effet à une réalité sociologique qui ne peut être ignorée ; elle est liée à la pluralité des situations familiales.

En tant que garde des sceaux, je suis plus particulièrement chargée de l’article 4 de ce projet de loi, qui tire précisément les conséquences, sur le plan de la filiation, de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes.

Cette question de l’établissement de la filiation des enfants nés au sein de couples de femmes ayant recours à une PMA avec tiers donneur suscite à la fois des interrogations et des débats légitimes.

Plusieurs options étaient envisageables sur ce point. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement avait saisi le Conseil d’État.

Je rappelle brièvement quelles sont les options qui pouvaient être offertes : d’une part, une extension des dispositions de droit commun, même si ces termes de droit commun sont impropres ; d’autre part, la création d’un dispositif ad hoc applicable à l’ensemble des couples, hétérosexuels comme homosexuels, qui avaient recours à une PMA avec tiers donneur ; ou encore la création d’un dispositif ad hoc applicable aux seuls couples de femmes ayant recours à la PMA avec tiers donneur.

Chacune de ces solutions, de ces options, présente des avantages et des inconvénients qui vous ont très certainement été largement exposés dans le cadre des auditions que vous avez menées.

Ce qui a présidé au choix du Gouvernement, ce sont les quatre principes et objectifs suivants.

Il s’agissait d’abord pour nous d’offrir aux enfants nés d’AMP au sein d’un couple de femmes les mêmes droits que ceux qui sont offerts aux autres enfants. C’est un choix d’égalité qui est évident, mais qui devait être ici affirmé et réaffirmé fortement.

Deuxième objectif : apporter la sécurité juridique aux deux mères et à leurs enfants. La filiation, dans cette hypothèse précise, peut être établie non sur la vraisemblance biologique, mais sur la base d’un engagement commun. C’est donc une évolution juste, mais elle doit être juridiquement solide.

Troisième objectif : il s’agissait pour nous de construire une procédure simple, qui n’impose aucune démarche supplémentaire pour les couples de femmes pour l’établissement de leur filiation.

Enfin, quatrième objectif : il s’agissait de ne pas revenir sur le droit applicable aux couples hétérosexuels. Nous souhaitons en effet ouvrir des droits nouveaux sans rien retirer ou modifier du régime de filiation applicable aux couples hétérosexuels.

C’est donc sur la base de ces quatre principes clairs que nous avons fait le choix d’un dispositif ad hoc pour l’établissement de la filiation pour les couples de femmes ayant recours à l’AMP avec tiers donneur.

Le dispositif proposé par le Gouvernement dans le projet de loi initial a été enrichi dans le cadre des débats à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, de manière très concrète, il se présente de la façon suivante.

D’abord, les couples de femmes doivent consentir devant notaire à faire une PMA avec tiers donneur, comme c’est aujourd’hui le cas pour les couples hétérosexuels. Au même moment, lors de ce même entretien devant le notaire, elles s’engagent à devenir les mères de l’enfant qui naîtra.

Cette reconnaissance conjointe sera produite lors de la naissance devant l’officier d’état civil en même temps que le certificat d’accouchement, ce qui permettra d’établir la filiation à l’égard des deux mères. L’acte intégral de naissance de l’enfant comportera la mention qu’il a été reconnu conjointement par les deux mères.

Ce dispositif a évolué au cours du travail mené avec les rapporteurs à l’Assemblée nationale. Les modifications, qui ne remettent pas en cause les objectifs que j’ai rappelés plus haut, ont porté essentiellement sur deux points.

Le premier a trait à l’emplacement des dispositions concernant l’AMP avec tiers donneur pour les couples de femmes.

Alors que notre projet initial avait créé un nouveau titre VII bis propre à la filiation des enfants nés de couples de femmes ayant recours à l’AMP, le dispositif finalement adopté à l’Assemblée nationale est intégré au sein du titre VII du livre Ier du code civil relatif à la filiation. Au sein de ce titre VII, a été créé un chapitre V, qui porte sur le recours à l’AMP avec tiers donneur pour tous les couples.

Ce chapitre nouveau est toutefois très précisément organisé. Il comporte d’abord les dispositions communes – interdiction d’établir un lien de filiation avec le donneur, condition et forme du consentement –, puis les dispositions qui permettent l’établissement de la filiation dans les couples de femmes.

Ce déplacement par rapport au projet initial du Gouvernement permet de rendre compte du socle commun entre ces modes de filiation. Il permet donc de rapprocher autant qu’il est possible les modes d’établissement de la filiation des couples de femmes et des couples hétérosexuels qui ont recours à l’AMP avec tiers donneur.

Pour autant, ce nouvel emplacement ne bouleverse pas le droit de la filiation dès lors que les quatre premiers chapitres du titre VII, consacrés à la filiation reposant sur la vraisemblance biologique, ne sont pas modifiés.

Je le répète : les couples hétérosexuels ayant recours à l’AMP avec tiers donneur ne voient pas modifié l’établissement de leur filiation.

La seconde évolution qui a résulté des débats conduits à l’Assemblée nationale concerne la notion de reconnaissance conjointe.

Dans le projet de loi initial, le Gouvernement avait proposé d’établir une déclaration anticipée de volonté (DAV). L’article 4 réécrit lui substitue la notion de reconnaissance conjointe. Cette substitution est une réponse à la critique formulée à propos de la DAV, apparue comme une notion juridique, voire un objet juridique nouveau, qui, aux yeux de certains, pouvait être considérée comme stigmatisante pour les couples de femmes.

Là encore, et cela a son importance, le Gouvernement assume au maximum la volonté de réduire la différence entre les couples hétérosexuels et les couples de femmes, tout en respectant l’exigence de sécurité juridique.

Il n’y a en effet aucune confusion possible entre cette reconnaissance conjointe et la reconnaissance de l’article 316 du code civil : la première est donc conjointe, effectuée avant même la grossesse, tandis que la seconde est unilatérale et effectuée après la naissance ou, au plus tôt, au début de la grossesse.

La reconnaissance conjointe n’est possible que pour les couples de femmes, tandis que la reconnaissance de l’article 316 n’est pas ouverte aux couples de même sexe.

Pour établir une double filiation maternelle, l’officier d’état civil devra donc exiger cette reconnaissance conjointe, ainsi que le certificat d’accouchement. Il n’y a dès lors aucune confusion possible entre ces deux modes d’établissement de la filiation.

Concrètement, je l’ai déjà dit, l’acte de naissance de l’enfant portera la mention qu’il a été reconnu conjointement par les deux mères. Cette mention attestera bien que l’on est dans l’hypothèse légale d’une double filiation maternelle.

Ainsi, grâce à son double caractère – elle est simultanée et anticipée –, cette reconnaissance conjointe permet de sécuriser la filiation, particulièrement à l’égard de la femme qui n’accouche pas.

Les deux femmes seront mères en même temps, à égalité, dès lors que l’accouchement aura eu lieu. La reconnaissance conjointe permet donc de faire obstacle à l’éventuelle reconnaissance par un tiers avant la naissance, puisque cette reconnaissance conjointe lui sera en tout état de cause antérieure et qu’elle primera devant l’officier d’état civil.

Ce dispositif simple est donc particulièrement sécurisant, pour les enfants comme pour les mères – c’était la première de nos exigences.

À la faveur des débats, un autre sujet s’est imposé à nous au cours de la navette parlementaire : la gestation pour autrui (GPA). Nous aurons évidemment l’occasion d’y revenir en détail dans la discussion des articles, mais je souhaite en dire quelques mots dès ce propos liminaire.

D’abord, l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ne peut ni ne doit en aucun cas conduire à autoriser la GPA au nom du principe de non-discrimination.

1 commentaire :

Le 11/07/2022 à 20:51, aristide a dit :

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"Les deux femmes seront mères en même temps, à égalité, dès lors que l’accouchement aura eu lieu."

Il y en a une qui accouche, pas l'autre, mais les deux sont mères : bienvenue chez les fous.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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