Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le débat qui s’ouvre devant la Haute Assemblée est attendu.
Par la communauté scientifique, d’abord, concernée au premier chef par les dispositions du titre IV du projet de loi, mais aussi par l’ensemble de nos concitoyens. Car la bioéthique – cela a été dit – n’est pas une affaire de spécialistes, juristes ou scientifiques : c’est une série d’enjeux et d’interrogations, un questionnement, que nous avons tous en partage.
Avoir institué le réexamen périodique de la loi de bioéthique est une spécificité nationale tout à fait remarquable. Chacune des lois intervenues depuis 1994 a permis de faire se rencontrer la société et les avancées de la science.
Cette spécificité nous oblige, tant nos concitoyens, quelles que soient leurs positions sur ce projet de loi, attendent de nous un débat digne et serein. Je sais que le Sénat sera naturellement, et comme toujours, au rendez-vous de cette exigence.
Notre discussion se fonde sur un principe auquel nous souscrivons tous : ce que la science sait rendre possible n’est pas nécessairement aligné sur le souhaitable. Pourtant, chacun mesure au quotidien à quel point les progrès scientifiques réalisés ces dernières années interrogent nos cadres habituels de pensée, qu’il s’agisse de la recherche sur l’embryon, sur les cellules souches embryonnaires ou induites, ou en matière génétique. Combler ce hiatus et résoudre cette tension entre les propositions de la recherche et les aspirations de notre société, c’est le cœur même de notre droit de la bioéthique.
Le Sénat joue un rôle considérable, depuis 1994, dans la construction de ce droit, et je ne crois pas me tromper en affirmant que l’ensemble de la communauté de la recherche sait ce qu’elle doit à la Haute Assemblée, s’agissant de l’instauration, en 2013, du régime d’autorisation en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires. Je l’ai déjà rappelé devant la commission spéciale, mais il me semblait important d’y insister aussi à cette tribune.
L’encadrement de la recherche est un travail de funambule : il s’agit de ne sacrifier ni nos valeurs fondamentales à une quête éperdue de savoir, ni l’espoir de développer des thérapies innovantes et de guérir des maladies aujourd’hui incurables à des préjugés qui ne correspondent plus à l’état des connaissances. Ainsi, des questionnements initiaux relatifs à la recherche sur l’embryon demeurent, mais actualisés par les percées scientifiques les plus récentes, comme les nouvelles techniques de dérivation de cellules souches embryonnaires et la découverte des cellules souches induites.
À cet égard, notre débat s’ouvre dans une période paradoxale : jamais nos concitoyens n’ont autant attendu de notre recherche, notamment dans le domaine médical, et jamais non plus, dans un mouvement inverse, la défiance à l’égard du progrès scientifique n’a été si forte. J’entends, bien sûr, les craintes et les réserves qui ont pu être formulées ; je suis certaine que les débats au Sénat contribueront à apaiser ces craintes et à lever ces réserves.
S’agissant de la recherche, nous vous proposons, avec la présente révision de la loi de bioéthique, un cadre juridique rénové, fondé sur près de deux décennies d’expérimentations éprouvées au sein des laboratoires et par l’Agence de la biomédecine. Ce cadre repose également sur la manière différente dont les progrès scientifiques les plus récents nous permettent désormais d’interroger le sujet de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, qui sont au cœur de notre droit de la bioéthique.
En matière de recherche sur l’embryon, le projet de loi autorise les chercheurs à conduire des recherches incluant l’édition du génome d’embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental et susceptibles de contribuer au progrès de la connaissance, avant d’être détruits. Ces recherches apportent des connaissances essentielles à la compréhension du rôle de nos gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire à l’œuvre au cours du développement, mais aussi dans d’autres processus physiologiques ou pathologiques.
Auparavant, nous ne savions pas observer ces embryons sur une période supérieure à quelques jours. Les techniques ayant évolué, nous savons désormais les observer à des phases ultérieures de leur développement. C’est pourquoi nous souhaitons élargir le champ de la recherche sur les embryons, tout en fixant une limite de quatorze jours à leur maintien in vitro. Cette durée n’est pas arbitraire, ni attachée aux limites de ce que nous savons faire : elle est fondée sur un consensus scientifique international.
Le présent projet de loi est donc non pas un blanc-seing donné aux scientifiques, mais la recherche d’un point d’équilibre.
À cet égard, tous les interdits majeurs qui fondent notre droit, en particulier les textes internationaux dont nous sommes signataires, comme la convention d’Oviedo, sont naturellement confirmés : la création d’embryons à des fins de recherche est interdite, de même que la modification du patrimoine génétique transmissible à la descendance ; l’intégration de cellules animales dans un embryon humain est encore plus clairement prohibée. Ces interdits, je les réaffirme très nettement.
Le texte protège donc notre modèle ; il respecte, en le réactualisant, le questionnement propre à l’embryon, tout en faisant barrage à toute possibilité de clonage ; il en va de même s’agissant de la modification du patrimoine génétique d’un embryon destiné à être implanté.
Toutefois, le projet de loi réserve des espaces propices aux innovations thérapeutiques que nous pourrions mettre au point, si nous comprenions mieux les mécanismes du développement et de la différenciation cellulaire. Ces mécanismes sont au cœur de nombreuses pathologies que nous comprenons parfois mal, faute de concepts scientifiques pour les traiter ; c’est le cas, notamment, des cancers pédiatriques les plus difficiles à traiter, issus de dysfonctionnements dans la différenciation cellulaire – je vous présenterai d’autres exemples dans le cours de nos débats.
Chacun comprend bien à quel point il est crucial de donner à nos scientifiques les leviers nécessaires pour mener leurs travaux, dans l’intérêt général.
S’agissant des cellules souches embryonnaires, leur capacité à se transformer en n’importe quel type de cellules du corps humain ouvre de grandes perspectives à la thérapie cellulaire et à la médecine régénérative. À l’horizon des recherches sur ces cellules, il y a l’espoir de traiter, par exemple, la maladie de Parkinson, l’insuffisance cardiaque et le diabète.
Seulement, le régime juridique auquel la recherche sur ces cellules est actuellement soumise pèse considérablement sur l’avancée des travaux des chercheurs, car il se confond avec celui qui encadre la recherche sur l’embryon, alors même qu’embryon et cellules souches embryonnaires ne relèvent plus du même questionnement éthique.
En effet, nous maîtrisons aujourd’hui les techniques avancées permettant de dériver des lignées, très longues et parfois très anciennes, de cellules souches. Celles qui sont étudiées aujourd’hui dans les laboratoires français sont majoritairement issues de lignées dérivées voilà plus de vingt ans ; elles ne résultent donc pas d’un nouvel embryon. De ce fait, ce qui interpelle aujourd’hui est moins l’origine des cellules souches que notre capacité à dériver les lignées actuelles sans les altérer et en conservant leur potentiel pluripotent.
Notre capacité à dériver ces cellules souches n’épuise naturellement pas la nécessité de poursuivre la recherche sur l’embryon : il va de soi que nos chercheurs auront besoin de produire de nouvelles lignées de cellules souches. À cet égard, je tiens à rassurer la Haute Assemblée sur l’un des nombreux principes qui encadrent notre recherche : jamais un embryon n’est créé à des fins de recherche – il faut être très clair sur ce sujet.
Nombreux sont ceux qui craignent qu’on emploie les cellules souches pour produire des gamètes et, partant, des embryons artificiels. Les embryons destinés à la recherche sont issus de dons, à la suite d’un projet parental : ce principe fondateur n’a pas vocation à être remis en cause. À ce jour, un peu moins de 3 000 embryons ont été proposés et utilisés à des fins de recherche depuis 1994, tandis que près de 19 000 ont d’ores et déjà fait l’objet d’un don à la science. Preuve que l’usage en est raisonné et contrôlé.
Ce constat nous conduit à proposer l’allégement du régime des recherches sur les cellules souches : elles seraient soumises non plus à autorisation, à l’instar des recherches sur l’embryon, mais à déclaration auprès de l’Agence de la biomédecine. Chacun mesure à quel point ces cellules touchent, néanmoins, à une part intime de notre humanité.
Le présent projet de loi rend également compte de la manière dont le législateur peut se saisir de l’actualité scientifique la plus récente, au travers de la question des cellules souches pluripotentes induites. Révélées par le professeur Yamanaka, prix Nobel de médecine en 2012, ces cellules offrent des perspectives scientifiques tout à fait nouvelles, jusqu’à présent non prises en compte dans le cadre bioéthique.
Il s’agit de cellules adultes que nous savons faire évoluer jusqu’à un stade très proche de celui des cellules souches embryonnaires. Je dis : très proche, car si les cellules souches embryonnaires disposent de la capacité à produire tout autre type de cellules de l’organisme, les cellules souches pluripotentes induites ont un caractère pluripotent plus limité. En d’autres termes, si les cellules souches embryonnaires peuvent devenir n’importe quelle autre cellule humaine, ce n’est pas le cas des cellules souches induites, dont les évolutions sont plus limitées, en l’état actuel de la connaissance.
Je tiens donc à être très claire aussi sur ce point : si la découverte des cellules souches pluripotentes induites a été un événement scientifique majeur, ces dernières ne peuvent offrir une alternative ni à la recherche sur les cellules souches embryonnaires ni à la recherche sur l’embryon. Il s’agit d’un nouveau territoire de la connaissance que nous vous proposons de faire adhérer au cadre rénové dont le présent projet de loi est porteur, afin que l’Agence de la biomédecine exerce la totalité de ses prérogatives auprès de la communauté scientifique.
Qu’il s’agisse de cellules souches embryonnaires ou de cellules souches pluripotentes induites, les travaux de la commission spéciale ont mis en exergue la problématique des embryons chimériques, sur laquelle il me paraît fondamental de revenir quelques instants. En effet, ces expérimentations interpellent et suscitent des interrogations, parfois des fantasmes. Il me semble donc important de préciser la réalité du travail mené par les chercheurs pour rétablir les termes exacts de la discussion.
Les chimères ne résultent pas de manipulations génétiques : il s’agit non pas de modifier le génome, mais d’observer les évolutions cellulaires d’un embryon animal auquel sont agglomérées des cellules souches embryonnaires ou induites. En d’autres termes, il est question non pas de franchir la barrière des espèces, …
Le 11/07/2022 à 21:15, aristide a dit :
90 % bien sûr...
Le 11/07/2022 à 21:14, aristide a dit :
": jamais nos concitoyens n’ont autant attendu de notre recherche, notamment dans le domaine médical"
Vous voulez parler des 0,01 % de la population pour qui ces lois sont expressément faites ? Et qui vont choquer 890 pour cent au moins de la population ?
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