Intervention de Bernard Bonne

Réunion du 21 janvier 2020 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Bernard BonneBernard Bonne :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de la commission spéciale, les débats ont été nourris, de grande qualité et respectueux des points de vue des uns et des autres.

Je ne m’en suis pas caché, je suis contre l’extension de l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. §Pour autant, je suis favorable à plusieurs dispositions contenues dans les titres II, III et IV, relatives à la diffusion de nouveaux progrès scientifiques et technologiques et en lien avec la médecine génomique.

C’est là, pour plusieurs d’entre nous, que réside la difficulté : il n’est pas aisé de se prononcer d’une même voix sur l’ensemble d’un texte qui comprend à la fois des articles relevant davantage de questions sociétales et d’autres fixant de nouvelles règles pour tenir compte des avancées scientifiques.

Si ce projet de loi est adopté, j’espère que seront maintenues certaines des modifications substantielles introduites par la commission spéciale du Sénat et tendant à encadrer et à sécuriser certaines des dispositions votées à l’Assemblée nationale.

Je partage maintes observations formulées par Mme Muriel Jourda, et je voudrais ici m’attarder sur le titre Ier et sur les conséquences, du point de vue de l’enfant, de l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Car le grand absent de ce projet de loi, c’est bien l’enfant : on évoque le donneur, les receveuses, les gamètes, l’enfant devenu majeur qui demandera à connaître l’identité du donneur, mais rien n’est dit des conditions et de l’impact de sa venue au monde grâce à la science, non plus que de la façon dont il va se construire psychiquement et vivre entre 0 et 18 ans. Rien n’est dit quant à l’intérêt de l’enfant d’être privé de père. Le droit de l’enfant à avoir un père, posé par l’article 7 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, est remplacé par le simple droit de connaître son donneur.

Or, si l’on peut comprendre le désir de maternité chez toute femme, quelle que soit sa situation, il faut aussi tenir compte du droit de l’enfant à avoir un père et une mère, dans la mesure du possible. Sur ce point, le projet de loi emporte une rupture d’égalité délibérée entre les enfants, qui n’est pas sans risque pour leur développement psychologique.

Certes, tous les cliniciens en pédopsychiatrie et les chercheurs en sciences sociales et médicales ne trouvent pas de raison particulière de s’opposer aux nouvelles formes de parentalité, et les études scientifiques nationales et internationales ne semblent pas, à ce jour, rapporter de différences significatives et d’impact avéré sur le devenir de l’enfant. Toutefois, ces données ne sont guère convaincantes sur le plan méthodologique, en termes de nombre de cas et de durée d’observation d’enfants n’ayant pas toujours atteint l’âge des questions existentielles.

Mes chers collègues, tout le monde s’accorde à reconnaître que les rôles des mères et des pères ne sont pas équivalents et qu’ils participent tous deux à la construction de l’identité de l’enfant. Dans le cas d’une AMP pour un couple de femmes, on peut supposer que la fonction du père pourrait être exercée en alternance, ou plus probablement par celle qui n’aura pas porté l’enfant. Il conviendrait d’être vigilant sur cette question de l’altérité dans le cas de femmes seules. L’enjeu, pour l’enfant issu d’une AMP, est donc l’élaboration imaginaire de la figure paternelle, nécessaire à sa construction identitaire.

En permettant l’accès aux origines, ce projet de loi recourt à une logique du parent et du donneur. La levée de l’anonymat situe chacun à sa place et permet à chacun des contributeurs aux origines de l’enfant de jouer pleinement son rôle de support d’identification. Cependant, si ouvrir l’accès aux données non identifiantes du donneur pourrait être une mesure satisfaisante, j’observe que, dans la très grande majorité des cas, les enfants nés d’une AMP ne cherchent pas à connaître l’identité du donneur.

Mes chers collègues, la politisation des questions bioéthiques et leur inscription dans le champ de la revendication d’égalité de droits entre tous empêchent d’en penser les enjeux pour l’enfant et seulement pour lui. Sylviane Agacinski le dit très bien : tout est justifié au nom des intérêts individuels et des demandes sociétales, que le droit est sommé de ne pas entraver.

Bien que le Gouvernement nous assure du contraire, je crains que l’application du raisonnement « égalitaire » dans des champs où il ne devrait pas intervenir n’amène tôt ou tard à encadrer également la demande des hommes seuls ou en couple par des techniques et des lois.

C’est la raison pour laquelle, et bien que je salue un grand nombre de dispositions contenues dans les titres du projet de loi autres que le titre Ier, je voterai contre ce texte.

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