Intervention de Jean-Louis Georgelin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 janvier 2020 à 10h00
Audition de Mm. Jean-Louis Georgelin président de l'établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale notre-dame de paris et philippe jost directeur général délégué de l'établissement public

Jean-Louis Georgelin, président de l'Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris :

Je vous remercie de me faire l'honneur de me recevoir et de me donner l'occasion de vous apporter les informations nécessaires à l'exercice de vos missions.

L'établissement public administratif (EPA) chargé, par la loi du 29 juillet 2019, de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, a été créé le 1er décembre 2019. Il assure désormais la maîtrise d'ouvrage des opérations, à la suite de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Il monte en puissance et est d'ores et déjà au travail, sous la tutelle du ministère de la culture, afin de tout faire pour rendre à Paris, aux Françaises et aux Français cette cathédrale, chef-d'oeuvre absolu de l'art gothique, dont nous avons mesuré dans la nuit du 15 avril à quel point elle était au coeur de notre Nation. L'établissement public a tenu son conseil d'administration fondateur le 3 décembre. Il a passé ses premières commandes avant Noël et a payé ses premières factures au début du mois de janvier. Son effectif sera d'une petite quarantaine de personnes pour remplir toutes les missions qui lui sont confiées par la loi.

Je ne vais pas revenir de façon détaillée sur l'ensemble des travaux réalisés depuis le 15 avril 2019, vous les connaissez pour la plupart. Beaucoup a été fait par l'ensemble des services de l'État : dès le soir de l'incendie pour guider les pompiers dans leur intervention, identifier et mettre à l'abri les 1 300 oeuvres contenues dans l'édifice, procéder aux premières mesures d'urgence, puis se mettre en ordre de marche afin de garantir la sauvegarde de l'édifice, de son mobilier et pour s'assurer de la protection des populations.

À ce jour, même si nous sommes plutôt confiants et que tous les indicateurs sont positifs, il est encore trop tôt pour affirmer que la cathédrale est sauvée. Il reste encore quelques étapes particulièrement périlleuses afin d'achever la mise en sécurité complète de l'édifice. C'est uniquement une fois que ces opérations auront été réalisées que l'arrêté de péril pris par la préfecture de police au lendemain de l'incendie pourra être levé.

Les opérations à venir vont consister à achever la mise en sécurité de l'échafaudage sinistré pour permettre son démontage. Des opérations spectaculaires de ceinturage se réalisent en ce moment afin de le stabiliser. Nous procéderons ensuite à sa découpe et à son évacuation. Ces travaux seront effectués par des cordistes de l'entreprise Jarnias, dans des conditions exceptionnelles et inédites. Cela va durer plusieurs mois : 40 000 pièces, pour un poids de 200 tonnes, sont à déposer, dont la moitié à plus de 40 mètres de haut !

Un plancher reposant sur les murs gouttereaux va également être installé au niveau de la nef. Il permettra d'accéder à l'extrados des voûtes et de débuter leur déblaiement. Aujourd'hui, elles sont recouvertes de bois calcinés et d'éléments métalliques de l'ancienne charpente et de la flèche. De premiers essais ont été réalisés au niveau du transept avec des résultats positifs puisqu'aucun effondrement n'est à déplorer.

C'est à l'issue de ces opérations que l'inspection des voûtes pourra être réalisée. Elle permettra de déterminer l'état des mortiers qui assurent les joints entre les pierres. C'est la partie la plus préoccupante puisque nous ne savons pas comment ils ont résisté aux très hautes températures, à l'eau et aux différents phénomènes météorologiques depuis le 15 avril - les fortes chaleurs de l'été, la pluie, le froid...

Un mot sur le calendrier. Le démontage de l'échafaudage commencera à partir de la mi-février et durera environ quatre mois. Nous allons réaliser un diagnostic permettant d'avoir une vision détaillée de l'état de l'édifice et de finaliser les études de restauration qui vont débuter dans les prochaines semaines. Elles seront présentées naturellement à la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA), dont je salue le président, le sénateur Jean-Pierre Leleux, en 2020. Ces études comprendront l'examen des options pour la charpente et la proposition du meilleur parti de restauration. Ensuite, les études de programmation et les consultations seront lancées afin de pouvoir entamer les travaux de restauration à proprement parler dans le courant de l'année 2021.

Je souhaite aussi que les travaux de nettoyage complet de la cathédrale et de toute la zone de chantier soient entrepris le plus rapidement possible. L'objectif est de faire fortement baisser les niveaux de plomb et ainsi de permettre aux compagnons de travailler dans des conditions moins contraignantes.

S'agissant de la flèche, nous définirons au cours du 1er semestre 2020 la forme que prendront la consultation et le processus de décision. Conformément à la loi, la décision préservera « l'intérêt historique, artistique et architectural du monument ».

Maintenant que le cadre général est dressé, je souhaite vous faire part de mes principales préoccupations, des points d'attention et de vigilance qui vont nous occuper dans les prochains mois.

Mon rôle, en tant que président de l'établissement public administratif, est de fédérer les énergies, de mettre en synergie tous les acteurs concernés, d'assurer l'unité d'action autour d'un objectif : rendre aux Françaises, aux Français et au culte catholique la cathédrale en avril 2024. J'ai coutume de dire que l'établissement public c'est la « task force Notre-Dame ». La loi définit ainsi sa mission : « cet établissement a pour mission d'assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ». À sa tête, j'ai la responsabilité d'assurer l'unité de commandement des opérations en intégrant la contribution de chacun : l'architecte en chef des monuments historiques et ses équipes qui assurent la maîtrise d'oeuvre du chantier, les entreprises, les experts et les spécialistes du ministère de la culture, la communauté des chercheurs et des scientifiques... Je suis là pour que cela avance sans procrastination, pour mobiliser les énergies autour de cet objectif. Le délai de cinq ans affiché constitue une ambition au service d'une mobilisation.

Par rapport à cette ambition, le plomb doit-il nous inquiéter ? Le plomb est un sujet que nous prenons très au sérieux avec les services de l'État. Tout en gardant à l'esprit que le plomb n'est en aucun cas comparable à l'amiante, ce sujet doit être traité avec rationalité, dans le strict respect du code du travail et en bonne entente avec l'inspection du travail.

Il faut distinguer deux aspects sur cette question. D'abord, l'étanchéité du chantier de la cathédrale par rapport à l'espace public. Ce point est suivi avec attention par le préfet de région et l'agence régionale de santé (ARS). Une campagne continue de surveillance des niveaux de plomb dans le chantier et sur l'espace public environnant est organisée, avec des relevés des surfaces et des mesures atmosphériques, sous le contrôle de l'ARS et du laboratoire central de la préfecture de police (LCPP) qui en expertisent chaque semaine les résultats. Des mesures d'organisation du chantier ont également été prises (gestion de l'accès, pédiluves, rotoluves...) afin d'éviter de nouvelles pollutions de l'espace public en provenance du chantier lui-même. À ce jour, nous considérons que la cathédrale n'est plus émettrice de plomb vers l'extérieur du chantier. À ce propos d'ailleurs, l'espace du parvis municipal est actuellement fermé au public et j'ai tout lieu d'estimer qu'il pourra prochainement être réouvert.

Le second aspect est la protection des compagnons intervenant sur le chantier. Sur ce point, toutes les mesures sont prises et la liaison est constante avec les organismes d'inspection et de contrôle afin que les prescriptions du code du travail soient respectées au mieux et que les améliorations soient apportées le cas échéant. Le nettoyage complet que nous entreprendrons très prochainement, nous permettra, je le crois, de bien gérer cette contrainte.

Au-delà de la restauration de la cathédrale, la loi du 29 juillet fixe d'autres missions à l'établissement public. J'ai à coeur, même si ma priorité actuelle reste la sécurisation de l'édifice, qu'elles soient toutes bien prises en compte.

J'ai ainsi pour mission « [d'] identifier des besoins en matière de formation professionnelle pour la réalisation des travaux de conservation, de restauration et de valorisation de la cathédrale. En lien avec les ministères et leurs opérateurs compétents, [d'] élaborer et [de] mettre en oeuvre des programmes culturels, éducatifs, de médiation et de valorisation des travaux de conservation et de restauration, ainsi que des métiers d'art et du patrimoine y concourant, auprès de tous les publics ». Cette mission prendra toute son ampleur lorsque les travaux de restauration auront été étudiés et entrepris.

La loi prévoit également l'aménagement de l'environnement immédiat de la cathédrale : le parvis, les squares, la promenade du flanc sud. L'établissement public et la Ville de Paris s'organisent afin que la cathédrale restaurée puisse bénéficier d'un écrin digne de sa splendeur retrouvée.

Les riverains, c'est-à-dire les habitants et les commerçants, comptent parmi les victimes de l'incendie puisqu'ils en subissent encore les conséquences. Des relations ont été nouées avec les représentants de leurs associations ainsi qu'avec les élus du quartier. Nous nous efforçons, autant que nous le pouvons, de prendre en compte leurs considérations et de répondre à leurs attentes. Ainsi, quelques jours avant Noël, nous avons inauguré avec eux une exposition de photos installée sur les palissades du chantier. Ce premier événement a permis de rendre ces lieux un peu plus accueillants, d'offrir aux visiteurs quelques vues de l'intérieur de la cathédrale et des opérations en cours, et ainsi redonner un peu de vie aux abords du chantier.

J'en viens maintenant à des sujets plus larges. L'émotion suscitée par l'incendie, dans toute la France et bien au-delà de nos frontières, et l'élan de solidarité et de générosité qui s'en est suivi nous obligent.

Croyez bien que dans la mission qui est la mienne de restaurer Notre-Dame, j'ai pleinement à l'esprit ce qu'elle a représenté au cours de sa longue histoire et la manière dont les Français ont ressenti son incendie. Ce soir-là, nous avons cru voir disparaitre le monument le plus emblématique de notre pays, dressé depuis le XIIe siècle au coeur de la capitale. Notre-Dame est d'abord un lieu de culte de tout premier plan. Elle est aussi un mémorial de notre histoire, capable de réunir toutes les composantes d'un pays divisé comme peut l'être le nôtre par moments. C'est un symbole de l'audace de l'homme et de son génie quand il se fait bâtisseur.

Nous n'avons pas oublié non plus que, pendant que les pompiers luttaient contre les flammes, Notre-Dame devenait le centre du monde. C'est une émotion unanimement partagée qui nous a reliés ce soir-là. La nation a réalisé ce qu'était Notre-Dame, non seulement « notre âme commune, mais aussi l'honneur de la France », comme l'a expliqué François Cheng.

Peu à peu, le désarroi a fait place au soulagement et à cette promesse : la France rebâtira sa cathédrale. Aussi bien au pied de Notre-Dame, autour des pompiers, le long de la Seine, par la prière et les rassemblements spontanés, à l'extérieur de Paris ou même de la France, par les dons qui ont afflué très vite, nous avons tous ressenti un regain d'énergie autour de quelque chose qui nous dépassait. Et puis nous avons compris qu'il était possible et nécessaire de faire front commun pour relever ce défi.

Pour respecter l'esprit d'unité nationale qui a prévalu ces jours-là, nous cherchons humblement à assurer l'unité de commandement autour de ce chantier pour rendre à la cathédrale sa splendeur et sa majesté uniques. Rappelons-nous ce sentiment d'unité nationale du 15 avril 2019 : il nous honore, il nous oblige et il nous engage !

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