Intervention de Cédric O

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 janvier 2020 à 9h30
Audition de m. cédric o secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics chargé du numérique

Cédric O, secrétaire d'État :

J'ai assez peu de points de divergence sur la proposition de loi dont nous parlons aujourd'hui. Même si cela mériterait de rentrer dans le détail, sur le fond, je trouve que les pistes qui sont tracées sont excellentes. Ma seule divergence porte sur le niveau auquel il convient de légiférer. Faut-il légiférer tout de suite au niveau national ou attendre de voir ce qui va se passer à l'échelon européen ? Pour sa part, le Gouvernement souhaite profiter du moment européen qui est en cours, l'agenda qui se dessine paraissant extrêmement ambitieux. Il s'agit d'instaurer des règles à l'échelon européen et de créer un environnement numérique européen.

Ainsi, la définition des plateformes structurantes ne peut être faite qu'à l'échelon européen. Il serait très compliqué, y compris pour les entreprises françaises, de devoir gérer vingt-sept ou vingt-huit définitions. En outre, les GAFA parviennent toujours à contourner les règles et à les adapter à vingt-sept ou vingt-huit réglementations européennes, grâce à leur département juridique, qui compte plusieurs centaines de personnes. Les entreprises européennes ou françaises ne peuvent s'adapter aussi vite et sont contraintes dans leur développement. D'où l'intérêt d'une régulation à l'échelon européen. Je pense qu'il faut adopter le maximum de dispositions à cet échelon avant d'agir au niveau national. Un règlement serait d'ailleurs préférable à une directive, afin d'éviter tout dumping réglementaire.

Par ailleurs, la question de la création d'un régulateur ad hoc pourrait se poser, spécifiquement pour les quelques plateformes structurantes. Le problème posé par ces plateformes va au-delà de la question strictement concurrentielle. Il faut à la fois mettre à jour nos règles concurrentielles et développer d'autres règles. C'est une manière de répondre à la question sur les acquisitions prédatrices. Je considère que, sur ce sujet également, l'échelon européen est le bon. Je pense qu'il faut interdire les acquisitions prédatrices, sachant que nous ne serons pas soutenus par grand-monde. Les acquisitions sont de toute évidence intéressantes pour les GAFA, mais aussi pour les investisseurs européens, qui peuvent rentabiliser leurs investissements, et pour les créateurs de start-up, qui peuvent vendre leur entreprise et gagner de l'argent. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas interdire les acquisitions. Simplement, il faut limiter l'interdiction aux acquisitions prédatrices et à certaines plateformes.

La question qui va se poser pour les start-up françaises est celle de leur sortie. Dans l'économie numérique, l'histoire se termine dans neuf cas sur dix par un rachat. Le problème en Europe est que les grandes entreprises traditionnelles ne rachètent pas, ou très peu. Pour que la taille de notre écosystème global grossisse, nous n'avons d'autre choix, à court et moyen termes, que de laisser ces entreprises se fait racheter par des acheteurs étrangers. Les gens regrettent souvent que les start-up françaises soient rachetées par des groupes américains. Je le regrette aussi, mais je ne peux pas forcer les groupes français à les racheter. Nous devons aussi inciter ces start-up à être cotées en bourse, d'où l'idée d'un Nasdaq européen.

Le projet de loi sur l'audiovisuel public prévoit la création d'un service à compétence nationale à disposition de l'ensemble des régulateurs. Il est extrêmement difficile pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), pour l'Autorité de la concurrence (ADLC) ou le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de savoir ce qui se passe sur Facebook ou sur Google, faute de compétences technologiques. L'ensemble de ces régulateurs émet depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le souhait de disposer d'ingénieurs en intelligence artificielle et en sciences des données, ces compétences étant rares et chères. L'État a lui aussi besoin de telles compétences. Il a donc été décidé de créer un service rassemblant des profils très rares, que ces autorités ne peuvent pas se payer chacune de leur côté. Ce service comprendra une vingtaine de personnes et constituera un réservoir de compétences purement technologiques, dans lequel viendront puiser chacune des autorités. Ce service a vocation à grandir à terme, mais il faut commencer par le mettre en place, par trouver des modes de fonctionnement et par s'attaquer à certaines problématiques.

Le programme national pour l'intelligence artificielle a déjà financé quelque 300 thèses, c'est un premier résultat. La recherche sera également au centre du futur plan du Gouvernement sur l'informatique quantique. La France ne dépense pas assez pour sa recherche : nous sommes à 2,23 % de notre PIB, contre 3 % en Allemagne : si nos voisins d'outre-Rhin atteignaient leur objectif de passer à 3,5 % de leur PIB en cinq ans et que nous restions à notre niveau actuel, l'écart serait de 60 milliards d'euros en 2025, soit l'équivalent de ce que nous dépensons aujourd'hui en recherche et développement. L'enjeu n'est rien moins que les emplois dans les décennies à venir. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a évoqué des pistes, qui sont en discussion, en particulier une revalorisation substantielle d'ici à 2021 du salaire minimum des chercheurs, à 2 SMIC contre 1,3 SMIC aujourd'hui. Nous devons faire un effort sur les salaires, sur l'attractivité, je suis pleinement d'accord.

Sur l'organisation de l'État, j'abonde dans votre sens, quoique la question dépasse largement mon champ de compétences... Il faut prendre en compte l'économie numérique au niveau pertinent, le Président de la République est très impliqué, à titre personnel : c'est une différence de taille avec ses prédécesseurs.

Sur le libre choix des utilisateurs, je crois que nous devons hiérarchiser nos priorités : l'essentiel, c'est que nos partenaires européens adhèrent à l'idée d'une régulation systémique des acteurs structurants. Nous ne gagnerions pas de temps à négocier sans fin sur des sujets moins importants, mieux vaut se concentrer sur la négociation principale, sur le sujet structurant : la régulation des plateformes structurantes.

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