Merci pour votre accueil et votre présence. Vous avez donné un bon éclairage des priorités de notre institut et du fait que nous devons, plus que jamais, être à l'écoute des priorités des politiques publiques. Nous voulons être accessibles et partager les avancées de la connaissance scientifique sur ces sujets.
Nous commencerons par la création de l'INRAE suite à la fusion de l'INRA avec l'IRSTEA. Je reviendrai sur le climat, sur l'impact du dérèglement climatique sur l'agriculture française à moyen terme et sur les stratégies d'adaptations proposées par la recherche. Enfin, sur les pesticides, nous ferons un point sur ce que fait la recherche et sur les propositions concernant les ZNT. Nous avons notamment été saisis par le gouvernement sur le glyphosate.
Je suis accompagné de M. Thierry Caquet, directeur scientifique environnement, qui reviendra sur le climat et les ZNT, et par Florence Jacquet, directrice de recherche, qui pilote l'évaluation de l'impact des pesticides sur le secteur agricole.
Pourquoi avoir lancé la fusion ? Quand j'ai commencé ma carrière au ministère de la recherche, il y avait deux grands établissements, l'INRA et le Centre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts (Cemagref). La question de la nécessité de conserver ces deux établissements, qui ont toujours fait un excellent travail, a été soulevée dès les années 1980 puis de nouveau en 2000-2001. Il y avait deux raisons à cette fusion : c'était tout d'abord le résultat d'une discussion au sein de l'IRSTEA sur son modèle économique, la taille critique et la capacité financière nécessaire face aux autres établissements publics à caractère scientifique. De plus l'INRA avait envie d'aller plus loin sur un certain nombre de sujets.
Cette fusion n'a pas été précipitée, ce qui est une des raisons de son succès. Nos deux ministères de tutelle, la recherche et l'agriculture, nous ont laissé piloter le processus. Nous avons construit cette fusion en trois étapes. Nous avons tout d'abord chargé un collectif de scientifiques des deux maisons de faire un bilan sur les grands sujets, et de voir ceux en complémentarité, en doublon et ceux potentiellement en synergie. La conclusion était que nous n'avions pas de doublons, mais également que nous avions peu de synergies. Par exemple sur la réduction des pesticides, il y avait un gros travail de l'INRA sur les alternatives aux pesticides du côté de l'agronomie, et de l'IRSTEA sur l'agroéquipement. Ce qui ne permettait pas de trouver des solutions concrètes à offrir aux agriculteurs : ces logiques d'établissement poursuivant leurs propres politiques scientifiques ne suffisaient pas au vu des enjeux. Le président de l'IRSTEA, M. Marc Michel, et moi-même avons remis aux ministres un rapport suggérant la fusion, malgré les difficultés inhérentes à la transition.
Les ministres ont donné leur accord pour la seconde phase, celle de l'étude de faisabilité, pour construire la nouvelle organisation scientifique. Il ne s'agissait pas de juxtaposer, mais d'hybrider les communautés scientifiques. Ce travail a été le plus délicat, à partir du schéma d'organisation scientifique proposé par les directeurs. Cette deuxième étape a été conclue en octobre 2018. Nous avons proposé aux ministres une nouvelle organisation cible, avec une nouvelle répartition territoriale et budgétaire. L'objectif n'était pas de faire moins de dépenses, mais de faire plus de science et plus d'innovation. Les deux ministères ont joué le jeu, et je salue d'ailleurs Frédérique Vidal et Didier Guillaume. Nous avons obtenu un bon budget, vous avez pu l'entendre lors des auditions passées, même s'il nous faudra des crédits complémentaires dans la prochaine loi de programmation de la recherche. Cependant, le budget total des deux entités n'a pas diminué. Tous les frais découlant de la fusion (5 millions d'euros) ont été supportés par le ministère et nous avons pu harmoniser par le haut les régimes indemnitaires. L'objectif de la fusion était de remonter les dotations de l'IRSTEA au niveau de celles de l'INRA. Grâce à la fusion, nous avons constitué des économies pour les réinjecter dans les dépenses scientifiques.
La fusion est donc réussie pour le moment, même si le rapprochement des cultures prend du temps. Nous avons une vraie envie de travailler ensemble en lien avec les grands enjeux que vous avez évoqués et avec nos extraordinaires champs de recherche. Nous sommes donc raisonnablement optimistes.
Qu'est ce qui change concrètement ? Le nom était un point sensible, en particulier pour l'INRA qui avait gardé le sien depuis 1946 (contrairement à l'IRSTEA) et dont le nom était assez connu internationalement. Nous voulions que le nom garde une continuité avec l'INRA mais sans donner à l'IRSTEA le sentiment d'avoir simplement été absorbé. Nous avons trouvé un accord sur l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, ce qui est plus explicite sur les missions de l'INRA et convient à l'IRSTEA. L'acronyme d'INRAE marque le changement sans avoir de coupure : le « E » est celui d'Écologie, d'Énergie et rend compte de l'ambition de l'institut.
Revenons sur l'attractivité de l'INRA. L'institut était considéré comme le premier institut de recherche agronomique en Europe et le deuxième après les États-Unis, sur la base des publications. Après la fusion, si on ne regarde pas uniquement les publications en sciences agricoles, mais l'ensemble du champ (c'est-à-dire alimentation, environnement et agriculture compris), nous sommes le premier organisme spécialisé sur ces trois domaines. Nous sommes environ troisièmes dans chaque champ respectivement, mais premiers globalement. La compétition scientifique est rude, les Chinois investissent massivement dans la recherche agronomique avec des moyens supplémentaires. Nous avons après la fusion une visibilité renforcée, et ce doit être un argument d'attractivité. Nous comptons sur la loi de programmation pluriannuelle pour obtenir une revalorisation des salaires des chercheurs. J'ai estimé, avec le groupe de travail que je pilote, qu'il y a un décalage de 30 % de la rémunération des chercheurs français par rapport à la moyenne OCDE, et un décalage de 30 % des régimes indemnitaires des chercheurs et enseignants-chercheurs par rapport aux fonctionnaires français de formation équivalente. À l'heure de la recherche mondialisée, ce sujet est important pour attirer des chercheurs.
Nous avons engagé un nouveau projet stratégique pour revoir l'ensemble de nos priorités de recherche, avec une phase de consultation interne de nos chercheurs via des débats et une plateforme numérique interne. Puis nous ouvrirons une consultation externe et internationale à la fin du trimestre pour être challengés sur nos priorités. L'objectif est d'avoir fin 2020 un projet stratégique « INRAE 2030 » en maximisant les synergies du nouvel établissement.
Sur le changement climatique, vous le savez, les prévisions du GIEC ont tendance à se confirmer et se durcir. Le scénario de réchauffement à + 3 ou 4 °C à la fin du siècle affectera les productions agricoles et forestières, et aura un impact sur les ressources en eau, les sols et la biodiversité. La compétitivité de nos filières agricoles s'en ressent déjà. Vous l'avez souligné, Mme la présidente, les extrêmes climatiques se font sentir : les rendements stagnent depuis 10 ans, contrairement à ce que nous avons observé auparavant grâce aux progrès génétiques. Selon les chercheurs, deux tiers de cette stagnation est rattachable au changement climatique. Il faut aider les filières agricoles à s'adapter, voire à ce que l'agriculture contribue à la solution.