Je répondrai de façon générale, et Mme la garde des sceaux interviendra plus spécifiquement sur le volet juridique.
Lorsque j’ai été amenée à réfléchir à cette mesure, au tout début de l’élaboration du projet de loi, j’y étais favorable, au nom des arguments qui ont été développés lors de la présentation de ces amendements : souci de cohérence par rapport aux femmes non mariées qui peuvent désormais accéder à l’AMP, volonté de ne pas infliger à des femmes en deuil, qui vivent déjà un moment dramatique, la frustration ultime de ne pouvoir mener à terme leur projet parental. Je comprends ces arguments, et l’émotion que de telles situations peuvent susciter.
Je souhaite toutefois dérouler à présent le fil d’autres arguments. En effet, progressivement, je me suis construit une autre conviction sur l’AMP post mortem, en dépassant la situation la plus emblématique de cette femme robuste, qui dispose d’un embryon congelé, dont le mari décède brutalement et qui veut mener son projet parental à terme, comme un ultime acte d’amour.
Il me semble, en premier lieu, que l’argument de cohérence ne tient pas. Les femmes seules qui construisent un projet parental dans le cadre d’une AMP ont mûrement réfléchi leur décision et ont généralement tissé une forme de nidation, un référentiel familial ou amical d’altérité paternelle autour d’oncles ou d’amis proches. Je le sais pour avoir conduit un grand nombre d’auditions.
Au contraire, nous parlons de la situation de femmes qui vivent un deuil, un traumatisme, et qui doivent subitement reconstruire leur projet parental dans une situation complètement différente en termes de rapports familiaux, amicaux, financiers… Tout est rupture dans le deuil. Ce que nous pouvons souhaiter de mieux à ces femmes, c’est qu’elles puissent faire leur deuil et construire d’autres projets, peut-être se remarier ou repenser un projet parental en tant que femmes seules. En revanche, nous ne leur souhaitons pas forcément de poursuivre leur projet d’AMP préexistant.
Je rappelle de surcroît que les chances de succès de l’AMP sont de 15 % à 20 % seulement. Ces femmes devront donc attendre six mois avant de pouvoir poursuivre leur projet, puis elles seront confrontées à un risque d’échec plus élevé que ne le sont leurs chances de succès. On les expose donc à un deuil quasiment interminable et renouvelé, voire à un double ou à un triple deuil d’incapacité.
Au final, c’est une fausse sécurité, une fausse liberté que nous donnerions aux femmes qui se trouvent dans cette situation.
De plus, ces dernières peuvent subir une pression sociétale, amicale ou familiale que Mme Rossignol a évoquée.
Pour un cas parfait que nous avons tous en tête – nous voulons tous aider cette personne –, nous prendrions donc le risque considérable d’amener plusieurs femmes vers un deuil interminable, des échecs successifs, des pressions…
Certains d’entre vous ont toujours l’embryon en ligne de mire, cet embryon congelé que l’on pourrait donner à d’autres. Comment pourrait-on faire cela à ces femmes en deuil, nous dit-on ?
Tout d’abord, je le rappelle, il est extrêmement rare que des embryons congelés soient donnés à d’autres couples. On compte aujourd’hui moins de vingt naissances par an issues de dons d’embryons. Chaque couple veut généralement son propre embryon et, dans les situations dont nous parlons, la femme peut évidemment en demander la destruction.
Surtout, l’embryon n’est pas le stade ultime de l’AMP. Le fait d’avoir des embryons ou des gamètes congelés ne correspond pas à des stades successifs de la démarche d’AMP. Il ne reflète que le type d’infertilité. On ne peut par conséquent pas traiter différemment, dans le cadre de cette AMP post mortem, les embryons ou les spermatozoïdes congelés et leur donner un statut différent, puisque l’utilisation des uns ou des autres est simplement liée à la pathologie sous-jacente.
On placerait donc ces femmes en situation d’espérer et dans l’impossibilité de faire leur deuil, alors que nous leur souhaitons au contraire de pouvoir se reconstruire autrement, une fois le deuil accompli.
Enfin, avant même l’autorisation d’autoconservation des gamètes, il existe déjà des milliers de situations dans lesquelles les spermatozoïdes masculins sont conservés, notamment dans le cas de maladies comme le cancer.
Comme l’a dit Mme la rapporteure, on ouvrirait peut-être la voie à une réelle rupture anthropologique. Combien de temps après la mort peut-on donner naissance à un enfant ?
Je développerai pour conclure un dernier argument. Nous nous préoccupons, depuis le début de l’examen de ce projet de loi, de l’intérêt de l’enfant. Or, sincèrement, je ne sais pas qui, dans ce cas de figure, peut garantir l’intérêt de l’enfant. Nous garantissons l’intérêt des femmes qui veulent continuer leur projet parental, mais qui peut garantir qu’un enfant conçu dans cette situation n’aura pas une place particulière, liée à la projection du père absent, une place différente de celle d’un enfant conçu au terme d’un projet parental construit par une femme seule ? Aucune étude ne peut assurer la place de l’enfant dans de telles situations.
À la lumière de ces arguments, je me suis forgé la conviction que, malgré leur légitimité, malgré l’émotion qu’elles peuvent susciter et le souci de cohérence qui nous anime, nous commettrions une erreur si nous accédions à ces demandes. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’oppose à la totalité de ces amendements.