Intervention de Didier Migaud

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 28 janvier 2020 à 13h55
Audition de M. Didier Migaud candidat proposé par le président de la république aux fonctions de président de la haute autorité pour la transparence de la vie publique

Didier Migaud, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) :

Je vous remercie, monsieur le président, de votre propos introductif. Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous ; je sais à quel point votre commission est sensible aux questions déontologiques. Même si le Sénat avait pu émettre quelques réserves lors de l'adoption des lois du 11 octobre 2013, une vraie relation de confiance s'est établie au fil du temps avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), grâce au travail mené par Jean-Louis Nadal. Le récent rapport du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe souligne d'ailleurs la qualité et l'efficacité du fonctionnement de votre comité de déontologie parlementaire.

Ce sera un honneur pour moi de présider la Haute Autorité si les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat valident ma candidature. Ce sera aussi l'occasion de prolonger un engagement constant au service de l'intérêt général et de l'exemplarité de la vie publique. J'ai l'habitude de rendre compte de mon action devant le Parlement. J'espère que ce retour vers le législateur, qui est important, aura lieu régulièrement.

Les lois du 11 octobre 2013 ont profondément modernisé le dispositif visant à promouvoir l'intégrité publique autour d'une nouvelle autorité indépendante, dotée de pouvoirs de contrôle étendus. La HATVP a montré qu'il était possible de mettre en place un contrôle efficace des déclarations de patrimoine et d'intérêts ; elle a noué des partenariats solides avec la justice, l'administration fiscale et, plus généralement, l'ensemble des acteurs oeuvrant à la promotion de la bonne gestion publique et à la prévention de la corruption. Elle n'a pas hésité à faire usage des pouvoirs d'enquête et d'injonction qui lui ont été conférés par la loi, des pouvoirs qui faisaient défaut à l'ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique. Par ailleurs, la Haute Autorité a su instaurer un dialogue de confiance avec les responsables publics concernés par ces obligations déclaratives. Aussi, il me paraît essentiel de conforter la HATVP dans cette double mission de contrôle et de conseil.

De nouvelles missions se sont peu à peu ajoutées, dont la mise en place du répertoire des représentants d'intérêts. Par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, vous avez décidé de lui confier certaines missions de la Commission de déontologie de la fonction publique, tout en rénovant le contrôle des aller-retour entre le secteur public et le secteur privé.

Vous connaissez les chiffres mieux que personne : plus de 15 800 responsables publics déposent des déclarations de patrimoine et d'intérêts. Avec 55 agents, la HATVP semble avoir les moyens d'assurer ces contrôles ; 73 dossiers ont été transmis à la justice depuis 2013, ce qui témoigne de la probité de l'immense majorité des élus puisque cela représente moins de 1 % des dossiers contrôlés.

Je partage pleinement les principes qui guident l'action de la HATVP : l'indépendance, le contradictoire et la collégialité, des valeurs que j'ai appliquées sans relâche à la Cour des comptes.

Il n'y a pas de contrôle crédible sans indépendance, et le législateur a été très clair sur le fait que les décisions de la HATVP doivent être prises sans influence du pouvoir politique. La Haute Autorité décide librement de ses contrôles, dans le respect, bien sûr, des textes. Cette indépendance s'accompagne d'un devoir d'impartialité et de rigueur renforcé. Il convient d'être exemplaire sur ce point.

Cet impératif d'impartialité doit s'accompagner d'un certain courage : il importe de sanctionner ceux qui contreviennent sciemment aux règles de la probité publique, sans céder à la tentation de noircir le tableau. La valorisation et la diffusion de bonnes pratiques sont essentielles pour promouvoir la culture de l'intégrité. Je porterai une attention particulière sur ce point.

La force de la HATVP résulte de sa composition : la collégialité est le rempart le plus efficace contre la subjectivité. Le collège, qui compte aujourd'hui huit membres, dont six magistrats, sera enrichi à compter du 1er février prochain de quatre nouvelles personnalités. Le président du Sénat doit, avec votre accord, en nommer deux nouvelles, qui, je n'en doute pas, apporteront une expertise précieuse dans une discussion que je veux aussi libre que possible - la première d'entre elles sera d'ailleurs auditionnée dans quelques heures par votre commission.

Je crois au contradictoire. S'il prend du temps, il éclaire la décision et la rend souvent plus pertinente. Il garantit également la faisabilité sur le terrain. Comme le disait le philosophe Alain, « longtemps avant de pouvoir critiquer, il faut passer des années à comprendre ». Sans attendre des années, il convient de formuler des recommandations étayées. Telle a d'ailleurs été ma préoccupation constante au cours de ces dix dernières années.

La définition du conflit d'intérêts retenue par la loi permet d'embrasser une grande diversité de situations. Elle nécessite de ce fait d'être précisée, explicitée. La prévention du conflit d'intérêts implique, en outre, une approche au cas par cas, afin de garantir tout à la fois l'intégrité de la décision publique et la possibilité pour les forces vives de la Nation d'exercer les fonctions les plus stratégiques.

La prévention des conflits d'intérêts n'est pas innée : elle impose un effort en termes d'accompagnement, de conseil, de formation - je l'ai constaté lorsque j'ai mis en place le dispositif des déclarations d'intérêts à la Cour des comptes - ; elle exige une approche réaliste, préventive et éducative de la déontologie, fondée sur un dialogue étroit avec les responsables publics, comme en attestait le rapport publié en 2011 par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique à laquelle j'ai participé aux côtés de Jean-Marc Sauvé et de Jean-Claude Magendie.

J'ajoute une quatrième dimension, la confidentialité des contrôles : la transparence sur les patrimoines et les intérêts est un moyen et non une fin. L'action de la HATVP a montré que la transparence de la vie publique et le respect de la vie privée n'étaient pas incompatibles.

Dans ce contexte, quelles sont les perspectives de la HATVP à court et moyen terme ?

Certes, il est toujours délicat de définir des priorités avant d'avoir pu observer le fonctionnement et les contraintes d'une institution, mais, si je devais le faire, elles seraient de trois ordres.

Tout d'abord, les échéances municipales de mars 2020 seront décisives. La HATVP a été créée pour participer à instaurer la confiance entre les citoyens et ceux qui incarnent l'État. Les citoyens veulent être assurés de la probité et de l'impartialité de celles et de ceux qui font les lois et les mettent en oeuvre. Le Grand débat national a aussi montré, malgré une défiance persistante dans la politique, que nos concitoyens restent profondément attachés à la démocratie et aux élus qui sont les plus proches d'eux. Au travers du contrôle des déclarations de situation patrimoniale en fin de mandat, la HATVP devra vérifier l'absence d'enrichissement illicite de celles et de ceux qui ont été à la tête des exécutifs locaux au cours de ces six dernières années. Par la suite, le contrôle des déclarations d'entrée permettra d'assurer d'emblée aux citoyens l'intégrité des nouveaux élus.

Dans cet objectif, l'obtention par la HATVP d'un droit de communication autonome, non plus exercé par la seule administration fiscale comme c'est le cas aujourd'hui, pourrait constituer une avancée. À ce titre, une attention particulière devra être portée aux déclarations d'intérêts publiquement accessibles sur le site internet de l'institution. Ce contrôle devra aussi laisser une place au droit à l'erreur : il faut être exigeant sur les informations demandées, sous peine de faire perdre toute crédibilité à l'exercice, mais il convient de bien distinguer ce qui relève de l'erreur de bonne foi - c'est l'immense majorité des cas -, qui donne lieu à correction, de ce qui peut relever de la dissimulation volontaire.

La HATVP doit bien expliquer son rôle ainsi que ses méthodes, afin de faire comprendre que les responsables publics et les élus n'exercent pas leur mission sans encadrement.

Ensuite, le transfert de compétences de la Commission de déontologie de la fonction publique vers la HATVP, qui aura lieu au 1er février 2020, participe d'une profonde modernisation du contrôle des agents publics. Cette mise en oeuvre devra se faire en respectant les caractéristiques de l'institution : accompagner, conseiller et contrôler. Si vous approuvez la proposition de nomination du Président de la République, je compte mener à bien cette tâche en concertation avec les déontologues nationaux et locaux. Il faudra faire vivre ces réseaux de déontologues que la HATVP a commencé à construire, car la déontologie s'accommode mal d'un pilotage trop lointain.

À cet égard, je veillerai à ce que la HATVP s'inscrive dans une logique d'accompagnement et de pragmatisme, en s'assurant que les obligations de chacun puissent être facilement comprises. La Haute Autorité n'est pas là pour empêcher les hauts fonctionnaires d'acquérir une expérience qui peut être utile dans le secteur privé, ni pour faire obstacle à ce qu'ils réintègrent leur administration d'origine, mais elle doit assurer la sécurisation et l'accompagnement des intéressés dans leurs obligations. Il faut que les avis rendus soient respectés ; mon expérience à la Cour des comptes m'a montré combien l'accumulation d'analyses et de recommandations peut parfois être frustrante pour nos concitoyens. Aussi, toute recommandation formulée doit être suivie.

Par ailleurs, la loi a doté la HATVP d'un pouvoir d'autosaisine, dont il doit être fait usage. De plus, la doctrine devra être à la fois lisible et prévisible. Même si la Commission de déontologie de la fonction publique a parfois été critiquée en certaines circonstances, la Haute Autorité pourra bénéficier de son travail. Des évolutions sont sûrement souhaitables. Je m'engage à ce que les avis de principe de la HATVP soient publiés, comme le permet la loi.

Enfin, la troisième priorité concerne l'encadrement du lobbying, sujet pour lequel le Sénat a adopté des règles claires.

Le répertoire des représentants d'intérêts, qui compte plus de 2 000 inscrits et totalise plus de 15 000 actions de lobbying déclarées, a permis d'étendre l'obligation de transparence aux relations avec le pouvoir exécutif. Face à des critères d'inscription complexes, l'approche pédagogique me semble essentielle. Le champ du répertoire est vaste : il concerne non seulement des entreprises, mais aussi des organisations professionnelles, des syndicats et des associations de taille très variable.

La crédibilité et l'efficacité du dispositif sur le long terme reposent toutefois sur la capacité de la HATVP à faire usage des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place. Si tout n'est pas public et si les informations déclarées restent globalisées, les représentants d'intérêts ne peuvent pas se soustraire à l'obligation de justifier avec précision l'exactitude et l'exhaustivité de leurs déclarations. La loi prévoit des sanctions pénales pour les lobbies qui ne rempliraient pas leurs obligations. Il importe donc que les règles qui conditionnent l'inscription sur le répertoire soient claires et incontestables.

J'ai cru comprendre que la HATVP avait suggéré plusieurs évolutions. Si vous validez ma candidature, il me semble utile que nous échangions sur ce point. D'ailleurs, l'extension du champ du répertoire aux relations avec les collectivités territoriales, prévue pour le 1er juillet 2021, nécessitera sans doute une réflexion approfondie au regard des multiples interactions qui se nouent chaque jour entre les acteurs locaux et les élus - vous êtes bien placés pour mesurer cette complexité.

Pour conclure, je veux partager avec vous une réflexion qui s'inscrit dans le long terme. Je souhaite que le travail d'intelligence collective engagé par mon prédécesseur se poursuive entre les différentes entités impliquées dans le vaste champ de la lutte contre la corruption afin d'améliorer la complémentarité des actions menées. Une réflexion me semble devoir être conduite sur les missions complémentaires qui sont parfois concurremment développées par d'autres instances. Il est de notre responsabilité collective de faire en sorte que la diversité des structures ne nuise pas à l'efficacité du dispositif. Cela implique des échanges réguliers sur des enjeux communs entre les décideurs, dans un climat de franchise et de confiance.

Voilà ce que je souhaitais vous dire en introduction, en insistant sur la nécessité de rendre compte et de prévoir des rendez-vous réguliers avec la représentation nationale sur ces sujets sensibles.

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