Intervention de Rémy Heitz

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 29 janvier 2020 à 9h35
Nouveau code de la justice pénale des mineurs — Audition de M. Rémy Heitz procureur de la république près le tribunal judiciaire de paris et de Mme Aude Groualle vice-procureure cheffe de la section des mineurs au parquet de paris

Rémy Heitz, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris :

Monsieur le président Bas, vous posez la question des moyens. Des moyens, il en faudra. Je ne saurais vous dire ce qui est prévu ; je sais seulement que des moyens nous seront alloués pour nous mettre à jour. Je souhaite que des postes soient sanctuarisés par la chancellerie pour mener à bien cette ambitieuse réforme.

Monsieur Collombat, pourquoi faut-il renforcer les prérogatives du parquet ? Parce que le parquet peut ainsi développer une véritable politique pénale, constante et uniforme, à l'égard des mineurs. Aujourd'hui, force est de constater, tant à Paris qu'à Bobigny, que, dans de grands tribunaux pour enfants, des approches différentes peuvent coexister d'un cabinet à l'autre.

Mme Lherbier posait la question de ces enfants qui viennent d'Algérie ou du Maroc, des pays qui ne sont ni en guerre ni en crise. Sachez de toute façon que nous avons beaucoup de mal à identifier le pays d'origine. Certains pays coopèrent, d'autres ne reconnaissent pas toujours leurs ressortissants. Il nous est arrivé, dans le passé, de démanteler des filières d'enfants dressés pour voler, venus des pays de l'Est, mais la situation semble aujourd'hui beaucoup plus dispersée, difficile à appréhender. Peut-être existe-t-il des filières d'acheminement, mais nous n'avons mis au jour, ces derniers temps, aucune filière d'exploitation.

Les mineurs des rues auxquels nous avons affaire refusent de s'inscrire dans les schémas d'intégration qui pourraient leur permettre, à terme, via la protection de l'enfance, de se maintenir sur le territoire.

Mme Costes a évoqué la question du budget de la PJJ ; il est certain qu'il faudra un renforcement considérable de ses moyens pour mettre en place le dispositif de mise à l'épreuve éducative. La procédure est enserrée dans des délais contraints ; elle n'aura de sens que si la prise en charge éducative est au rendez-vous. Quant à ce qui se passe après la sortie des centres de détention pour mineurs, je ne saurais vous répondre précisément, parce que les mineurs ne sont pas incarcérés à Paris, mais à Fleury-Mérogis.

M. Collombat a évoqué la question de la césure : le prononcé de la peine va-t-il perdre son sens s'il est séparé de l'examen de la culpabilité ? En réalité, s'agissant de mineurs, la peine a nécessairement une dimension éducative : il faut donc bien distinguer le temps de la déclaration de culpabilité du temps éducatif, étant précisé que les juges des enfants travaillent assez peu sur la culpabilité proprement dite - les affaires les plus complexes sont orientées vers les juges d'instruction. Quoi qu'il en soit, autant cette césure poserait des difficultés de principe si elle s'appliquait aux majeurs, autant, pour les mineurs, l'éducatif doit primer.

Monsieur Sueur, nous travaillons bien sûr en lien avec la préfecture. S'agissant de ces jeunes dont on ne parvient pas à déterminer exactement l'âge et le pays d'origine, la question paraît souvent insoluble. Nous disposons de techniques d'expertise qui passent par des examens d'âge osseux ; elles sont plus ou moins solides, et les magistrats en tiennent plus ou moins compte. En la matière, il faut que les autorités administratives et judiciaires travaillent de concert.

Monsieur Bonnecarrère, sur le dossier unique de personnalité, nous avons besoin d'une ingénierie informatique : il faut que nous développions une application partagée par les différents acteurs. Les textes qui encadrent le DUP existent déjà ; il n'y a là rien d'insurmontable.

Concernant les relations avec les pays étrangers en matière d'identification, nous avons bien avancé avec le Maroc, dont les autorités consulaires ont pu entrer en relation, au stade de la garde à vue, avec certains mineurs, ce qui a eu des effets positifs. Le plus souvent néanmoins, nous n'arrivons même pas à déterminer le pays d'origine. Cette démarche, par ailleurs, est lourde pour les services de police : il est complexe de faire intervenir les autorités consulaires durant le temps très court de la garde à vue.

L'impunité - M. Bonhomme a repris ce terme - est réelle chez les mineurs ; souvent, les services de police ne font que la constater, et tous les acteurs de la chaîne pénale partagent un certain découragement. Vous avez parlé d'un « totem » à propos de l'ordonnance de 1945 ; la réforme permet de tourner cette page et de repartir sur des bases nouvelles.

De la délinquance des mineurs, on dit qu'elle ne cesse d'augmenter depuis 1945. Il faut relativiser ! À lire le préambule de l'ordonnance de 1945, on voit bien qu'à l'époque, cette question était déjà extrêmement prégnante. On a connu des périodes, dans les années 1970 notamment, avec les « blousons noirs », qui n'ont, en la matière, rien à envier à la nôtre. Je m'inscris en faux contre l'idée selon laquelle les mineurs seraient de plus en plus violents et les délinquants de plus en plus jeunes. La délinquance des mineurs a toujours existé, comme le montrent les statistiques. Gardons-nous d'avoir une vision trop noire de la situation ! Il y a aussi matière à optimisme : un travail considérable est fait par les juges des enfants et la PJJ pour prendre en charge ces mineurs délinquants.

Vous avez à juste titre évoqué les filières de recel : sans receleurs, pas de voleurs. Mon parquet travaille beaucoup sur ce sujet. Les filières de recel sont le moteur des vols à la tire, de téléphones portables notamment, et des cambriolages. Le démantèlement de ces filières peut être un levier efficace pour décourager les auteurs de vols, qui ne trouveraient plus à recycler immédiatement le produit de leurs délits. Nous avons récemment identifié un réseau de receleurs qui fournissaient des Pass Vigik à de jeunes mineurs, leur permettant d'entrer dans les immeubles.

Monsieur Fichet, la question de la politique migratoire dépasse les compétences de la justice ; je n'ai donc guère de réponse à vous apporter.

Monsieur Bigot, une interrogation centrale revient dans votre propos : en quoi ce nouveau texte répondra-t-il à la question des mineurs non accompagnés ? Je dois d'abord dire, comme vous, que ce texte n'a pas été conçu pour répondre spécifiquement à cette question. Lors des audiences uniques, nous serons confrontés au problème de la comparution de ces mineurs, alors que la détention provisoire n'est aucunement la panacée : nous n'allons pas remplir les prisons de ces jeunes, ce serait vain et cela limite l'enclenchement de mesures éducatives. Néanmoins, la mise en place de l'audience unique permettra de raccourcir les délais et de les circonscrire. Ce texte offre donc une possibilité intéressante que nous utiliserons.

Bien sûr, nous n'obtiendrons de résultats que si des moyens supplémentaires, en particulier pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous sont alloués. Ainsi, la mise à l'épreuve éducative, qui ne pourra s'étaler qu'au maximum sur neuf mois, nécessitera la mobilisation de moyens particuliers.

Madame Troendlé, la mise en place d'une audience unique nécessite la connaissance des antécédents éducatifs, mais cette notion a été conçue de façon très large et ne constitue donc pas un obstacle.

Concernant l'activité globale des parquets, il est vrai que nous ne pouvons pas tout faire et l'année 2020 est déjà riche en réformes, puisque nous devons notamment mettre en oeuvre le bloc « peines » de la loi de programmation et de réforme de la justice de mars 2019, ce qui constitue un travail considérable. Nous avons donc besoin de moyens supplémentaires, notamment en juges des enfants et en substituts des mineurs. J'ajoute que, même si les parquets sont aujourd'hui revenus à une situation convenable - à Paris, nous sommes quasiment à l'effectif complet -, nous aurons besoin de greffiers et d'agents administratifs pour tenir les audiences et organiser les procédures, car ces réformes reposent sur des circuits complexes. Si nous ne disposons pas de ces moyens, il est évident que nous serons amenés à faire des choix qui risquent de peser sur les autres activités.

Monsieur Wattebled, il est vrai que nous ne savons pas comment sortir de la difficulté de l'identification de l'âge. Je vais vous faire une confidence, nous avons même inventé deux nouveaux mots pour caractériser les personnes dont l'âge prête à discussion : les « maneurs » et les « mijeurs »... Il existe donc bien des décalages importants entre l'apparence physique et l'âge déclaré.

En ce qui concerne l'âge de la responsabilité des mineurs, cette question ne relève pas directement du procureur de la République que je suis. Il me semble cependant que le système actuel qui comprend finalement trois seuils - 18 ans, 16 ans et 13 ans - est relativement équilibré et permet de dégager des solutions satisfaisantes. Gardons à l'esprit qu'un mineur de 13 ans reste un enfant et qu'il doit avant tout être protégé. Il n'existe pas véritablement d'irresponsabilité pénale pour les mineurs de 13 ans : ils peuvent être déclarés responsables et se voir soumis à des mesures éducatives, mais ils ne peuvent pas faire l'objet d'une sanction pénale, d'une peine. De ce fait, je suis opposé, à titre personnel, à l'abaissement de la majorité pénale ; nous sommes tout de même dans un pays développé, donc capable de mettre en place des mesures éducatives adaptées.

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