Je vais essayer de répondre à plusieurs questions qui ont été posées.
Tout d'abord, quelle est la pertinence de positionner le parquet au coeur du dispositif d'orientation ? Dans tous les parquets, il existe au minimum un magistrat spécialisé sur la délinquance des mineurs. Cette centralisation et cette spécialisation sont très importantes, car elles permettent une connaissance de toute l'activité pénale et civile sur le ressort du tribunal, y compris en termes d'ordre public. Or il est essentiel d'apporter des réponses fines et adaptées à chaque situation. Par ailleurs, le parquet est aujourd'hui ancré dans la cité, parce qu'il a noué des partenariats importants avec l'ensemble des acteurs concernés - clubs de prévention, mairies, aide sociale à l'enfance, protection judiciaire de la jeunesse, éducation nationale... - notamment en ce qui concerne les alternatives aux poursuites - ce dispositif a dû être considéré comme satisfaisant, puisque l'ordonnance ne le modifie pas. Dans l'esprit de l'ordonnance de 1945, le parquet s'inscrit complètement dans un objectif de gradation de la réponse pénale et de primauté de l'éducatif. Enfin, la place du parquet dans le dispositif repose sur un postulat essentiel : le juge des enfants continue de contrôler l'ensemble du processus et des actes du parquet.
Ensuite, à quoi sert la césure ? Il faut d'abord rappeler que le raccourcissement des délais pour établir la culpabilité du mineur permet de donner une plus grande place aux victimes. Aujourd'hui, la mise en examen d'un mineur n'est pas nécessairement communiquée à la victime et celle-ci ne recevra que plusieurs mois ou années après un avis à victime pour comparaître à l'audience. Demain, le parquet sera en charge d'informer immédiatement la victime et le délai d'indemnisation pourra lui aussi être raccourci.
Un autre intérêt de la césure réside dans le fait de recentrer le travail de la protection judiciaire de la jeunesse sur les mineurs effectivement déclarés coupables. La PJJ n'aura plus à travailler, durant un an ou deux parfois, avec un mineur qui conteste les faits. Le travail éducatif se déclinera donc autrement.
L'audience de sanction aura lieu entre six et neuf mois après celle portant sur la culpabilité, ce qui constitue tout de même un raccourcissement des délais par rapport à la réalité actuelle. Le mineur sera jugé et sanctionné dans un délai d'un an. Cette audience de sanction ne doit pas être complètement décorrélée de la gravité des faits, même si la période de mise à l'épreuve éducative devra aussi entrer en ligne de compte, et le parquet jouera son rôle en la matière durant l'audience.
En ce qui concerne l'identification des mineurs non accompagnés, question particulièrement prégnante à Paris, je dois d'abord dire que le code répond de la même manière pour les mineurs dits domiciliés et pour les autres. Il n'est pas question de créer un code dérogatoire pour les mineurs non accompagnés.
La section des mineurs du parquet de Paris mène une réflexion spécifique sur les mineurs non accompagnés depuis 2015 pour savoir comment déterminer judiciairement non pas l'identité du mineur, mais son âge. Nous avons mis en place des dispositifs qui font appel à la notion de faisceau d'indices. Les documents d'identité participent de ce faisceau qui comprend cependant d'autres éléments, notamment les antécédents, les déclarations antérieures des mineurs, les empreintes... L'examen osseux dont l'objectif est d'abord scientifique ne constitue qu'un dernier recours, tout simplement parce que ce n'est pas une science exacte et que les médecins ne parlent souvent qu'en termes de probabilités. En tout état de cause, c'est au parquet de démontrer qu'une personne est majeure du fait de la présomption de minorité. L'apparence physique entre aussi en ligne de compte, mais ne constitue là aussi qu'un élément.
Dernier aspect de l'identification de l'âge : la coopération policière. Nous travaillons avec l'Algérie, le Maroc et la Tunisie sur la base des empreintes, et non sur celle de l'identité. Durant les gardes à vue, nous transmettons les empreintes des individus qui se déclarent mineurs aux autorités de ces pays. Toutefois, celles-ci ne peuvent pas nous répondre dans les délais de la garde à vue, 48 heures, ce qui pose la question de la conservation des données. L'expérience récente montre que 100 % des personnes concernées par ces demandes de coopération sont majeures. Il arrive que ces mineurs soient mis en garde à vue régulièrement, parfois plusieurs fois par semaine ; nous devons donc rationaliser ces recherches.
En ce qui concerne les addictions dont souffrent les mineurs non accompagnés, nous sommes quasi systématiquement confrontés à ce problème qui a pris une ampleur particulièrement importante depuis 2016. Nous nous sommes interrogés sur l'existence de filières et sur certaines déclarations de ces jeunes, selon lesquelles des personnes les contraindraient à prendre des substances pour commettre des infractions. Par deux fois, le parquet de Paris a demandé aux services de police d'enquêter sur l'existence ou non d'un système de traite des êtres humains. Nous n'avons pas identifié les canaux classiques d'un tel système, mais plutôt une solidarité délinquante, une mise en commun de moyens et une répartition des rôles entre ces jeunes. Il existe en revanche des filières d'acheminement aux frontières. Nous continuons pour autant à enquêter, car ces mineurs ont évidemment le profil pour être exploités.
En ce qui concerne la détention provisoire des mineurs non accompagnés, il est exact que ces mineurs sont surreprésentés dans certains centres - Porcheville, Fleury-Mérogis... Nous en avons conscience et nous avons noué des liens avec les autres parquets, notamment celui d'Évry, pour éviter ce qu'on appelle les sorties « sèches ». Il faut aussi avoir conscience que les mesures de détention permettent de prendre en charge les addictions et de mettre en place une accroche éducative. Il n'est pas rare que les éducateurs de la PJJ en milieu fermé nous disent que le mineur est bien mieux en sortant qu'en entrant. Cela pose évidemment des questions... Si les mineurs n'ont effectivement pas leur place en détention, nous devons tout de même réfléchir à la création de structures adaptées avec un cadre contraignant. En outre, il faut prendre en compte la diversité des publics concernés ; pour certains, l'accroche éducative est complexe à réaliser et le cadre contraignant la facilite. La détention n'est pas une fin en soi et cette réforme est l'occasion de réfléchir à d'autres cadres contraignants.
Sur l'audience unique, la procédure est suffisamment délimitée pour respecter la politique pénale menée par le parquet, y compris en termes d'antécédents éducatifs, et le juge des enfants pourra décider de modifier la prise en charge. Le nouveau code prévoit que le refus de signalisation permet au parquet d'orienter directement en audience unique en l'absence d'antécédent. Pour autant, l'audience unique ne sera pas la seule procédure pour les mineurs non accompagnés - ils ont besoin eux aussi, et peut-être plus que les autres, d'un suivi éducatif - et, dans le respect du principe de gradation, nous privilégierons en première intention une audience en césure. Mais si le mineur n'a pas comparu à l'audience de culpabilité, il faudra bien que la procédure avance.