La proposition de loi que nous examinons ce matin, dont l'actualité illustre particulièrement les enjeux, est le fruit d'une initiative de notre collègue Michel Amiel.
Le texte, composé de dix articles, touche à des matières variées, toutes liées à la sécurité sanitaire. Ce champ d'intervention de l'action publique, qui connaît depuis quelque temps - et singulièrement depuis quelques jours - une extension progressive, invite le législateur à réunir au service d'un même objectif plusieurs voies d'action relevant encore, au sein de notre droit, de logiques distinctes : mesures de police, mesures de prévention, mesures de surveillance, mesures d'urgence.
Historiquement, l'éventail de ces mesures faisait appel à des acteurs divers et s'inscrivait dans des temporalités peu compatibles avec la gestion de crise à laquelle les nouveaux risques sanitaires nous contraignent. En effet, l'essor des nouvelles technologies ainsi que l'accroissement des mouvements de population ont conduit à une dilatation notable de leur échelle et de leurs impacts potentiels, qui nécessite qu'un regard renouvelé soit porté tant sur les acteurs que sur les outils.
Les articles 1er à 3 traitent de la prévention des maladies vectorielles, à savoir des maladies dont la transmission se fait par la piqure d'un insecte porteur d'un agent pathogène - la dengue, le virus Zika, le chikungunya -, qui doivent leur fréquence accrue à l'intensification des déplacements. L'émergence de ces maladies n'est certes pas un phénomène nouveau, mais leur prévention ne fait toujours pas l'objet d'une attribution précise, et la lutte contre les maladies vectorielles se trouve aujourd'hui au croisement de différentes polices spéciales, ce qui nuit considérablement à son efficacité.
L'article 4 traite des espèces végétales et animales nuisibles à la santé humaine, et plus particulièrement de l'ambroisie, plante fourragère dont les effets allergènes, potentiellement importants, seraient à l'origine de près de 40 millions d'euros de dépenses de remboursement de l'assurance maladie.
L'article 5 transforme en profondeur le système des maladies à déclaration obligatoire. J'y reviendrai plus en détail, mais les modifications apportées, qui servent l'objectif louable de fluidifier la transmission d'informations sanitaires de première importance, se doivent de respecter le cadre général de la protection des données de santé.
Les articles 6 et 7 traitent des conflits potentiels entre impératif de sécurité sanitaire et liberté d'aller et venir, un sujet particulièrement sensible. L'article 6 prévoit la possibilité de prendre des mesures d'éviction à l'égard des personnes dites « contacts », à savoir les personnes exposées à un risque de transmission. L'article 7, quant à lui, introduit, aux côtés de l'hospitalisation d'office et des mesures d'urgence, un nouveau cas de privation de liberté pour motif d'ordre public sanitaire : le cas de l'isolement contraint frappant toute personne atteinte d'une maladie transmissible et hautement contagieuse, et refusant de se prêter à l'isolement prophylactique prescrit.
Enfin, l'article 8 aménage le circuit de distribution de certains produits de santé en cas d'urgence, notamment les comprimés d'iode.
Vous le voyez, mes chers collègues, les sujets abordés par ce texte sont divers, mais surtout sensibles.
Au cours de mes travaux, je me suis montré particulièrement attentif à ce que l'équilibre du texte respecte trois axes fondamentaux : la rationalisation de l'intervention des acteurs publics, la pertinence et la proportionnalité des outils et des mesures dont ces derniers disposent, et, enfin, le respect des droits et libertés fondamentales de nos concitoyens. Les amendements que je vous présenterai visent, pour certains d'entre eux, à réécrire certains articles du texte : sans contradiction avec l'intention originelle de leur auteur, à laquelle je souscris dans la grande majorité des cas, il m'a semblé indispensable d'apporter plusieurs modifications susceptibles de rendre les dispositifs réellement opérationnels.
Le dispositif se compose de deux grands volets : le premier s'attache à clarifier les compétences de divers acteurs sur les enjeux sanitaires appelés à voir leur occurrence renforcée ; le second étoffe l'arsenal des mesures d'urgence mobilisables en cas de crise ou de danger sanitaire.
La proposition de loi évoque, aux articles 1er et 3, le sujet de la réponse publique apportée à des pathologies dont la fréquence est croissante et pour lesquelles les actions de prévention et de lutte nécessitent une identification ainsi qu'une correcte coordination des acteurs.
Historiquement limitées à des enjeux d'hygiène publique, les missions de police en matière de salubrité publique font l'objet d'une attribution générale au maire, qui demeure l'acteur local le plus pertinent, en raison de sa proximité, pour repérer ou évaluer le danger d'un événement sanitaire. Toutefois, avec l'expansion des enjeux de santé publique, des acteurs spécialisés et déconcentrés de l'État sur les territoires, principalement les agences régionales de santé (ARS), sont intervenus. En matière de lutte anti-vectorielle, l'enjeu initial de ce texte et des discussions que nous avons eues avec la Direction générale des collectivités locales (DGCL) a été de définir la bonne articulation entre l'acteur qui fonde sa compétence sur la proximité, le maire, et celui qui fonde sa compétence sur la spécialité de sa mission, l'ARS.
Au-delà des enjeux liés à l'efficacité de la lutte anti-vectorielle, le pragmatisme commandait que l'intervention du maire en la matière soit limitée à une simple obligation de signalement de toute situation suspecte, l'essentiel des mesures préventives et répressives devant relever de la compétence de l'ARS, seul acteur doté des moyens et de la force de frappe nécessaires à la lutte contre des maladies à potentiel élevé de diffusion.
Outre cette clarification importante, je vous proposerai d'autres modifications à l'article 1er de nature à préciser les missions de l'ensemble des acteurs dont la compétence intervient en matière de lutte anti-vectorielle.
L'article 2 procède, quant à lui, à la réécriture d'une loi de 1964, qui fonde la compétence des conseils départementaux en matière de lutte contre les moustiques. Il convient de bien distinguer ce qui relève de la lutte contre le moustique comme porteur d'un agent pathogène - elle relève depuis 2004 des compétences obligatoires des départements -, de ce qui relève de la lutte contre le moustique comme nuisance, qui demeure une compétence facultative. Le texte revient sur cet équilibre en l'érigeant pour la première fois en compétence obligatoire.
Toutefois, outre l'enjeu de la constitutionnalité d'une telle mesure, celle-ci serait de nature à menacer la pérennité financière des opérateurs publics mandatés par les conseils départementaux en matière de démoustication. À cet égard, je partage tout à fait l'intention exprimée par notre collègue Gérard Dériot dans son amendement et je vous proposerai également sa suppression.
Les modifications que notre collègue Michel Amiel propose à l'article 4, qui traite des espèces végétales et animales dangereuses pour la santé de l'homme, participent du même pragmatisme. Il s'agit de doter l'ARS et les organismes à qui elle délègue sa compétence en la matière de prérogatives en matière de police administrative et préventive, alors que le régime actuel est exclusivement prohibitif et répressif.
Dans un autre ordre d'idées, le caractère hautement contagieux de certaines maladies importées, comme les fièvres hémorragiques dites « africaines », ou parfois « autochtones », ainsi que certaines formes particulièrement résistantes de tuberculose, a conduit nos collègues à proposer l'instauration de plusieurs mesures que l'on pourrait qualifier de « sûreté sanitaire » : à l'article 5, la simplification et la fluidification du régime actuel de la déclaration obligatoire de certaines maladies ; à l'article 6, la possibilité de rechercher les personnes contacts d'une personne malade, potentiellement atteintes par la maladie, et de leur appliquer une mesure d'éviction ; enfin, à l'article 7, la possibilité de prononcer l'isolement contraint d'une personne malade et contagieuse qui, refusant de se prêter à un isolement thérapeutique nécessaire, s'y verrait contrainte par l'autorité publique.
Dans ces trois cas, je me suis montré attentif à évaluer la nécessité de la mesure proposée au regard du droit existant. À cet égard, je rappelle que toute initiative relative aux données personnelles de santé et donnant lieu à des traitements de données innovants se doit de respecter les grands principes énoncés par la réglementation européenne au sein du RGPD. De plus, notre arsenal juridique est loin d'être lacunaire en matière de réponses à apporter aux situations sanitaires exceptionnelles. Tant le ministre chargé de la santé que le préfet peuvent se trouver investis, dans diverses situations présentant une menace ou un risque grave pour la santé de la population, de pouvoirs importants pouvant aller jusqu'à la restriction de la liberté d'aller et venir pour des motifs d'ordre public sanitaire. De nouveaux pouvoirs leur sont attribués par la présente proposition de loi, qui prétend les avoir suffisamment circonscrits pour les rendre opérationnels, là où les pouvoirs existants présenteraient l'inconvénient d'habilitations trop larges et donc peu mobilisables.
Dans un souci que l'enrichissement de la palette des mesures de « sûreté sanitaire » n'entraîne pas de risque de redondance ou de concurrence, je n'ai pas souhaité revenir sur les grandes intentions du texte initial, mais je reste néanmoins convaincu que l'action des autorités de l'État en la matière est plus entravée par une insuffisante appropriation des outils que par leur inadaptation.
Je me suis aussi montré particulièrement attentif à la proportionnalité des mesures proposées.
Les modifications que je vous proposerai à l'article 5 en matière de traitement des données personnelles de santé réaffirment l'importance du principe de l'anonymat de ces données, quand bien même certaines situations permettraient d'y déroger. Je souscris pleinement aux projets actuels portés par le Gouvernement, qui ambitionnent de réunir au sein d'un même portail toutes les situations relevant d'événements graves ou indésirables d'une part, et les situations urgentes et nécessitant une veille sanitaire d'autre part. L'ambition louable de ce chantier ne doit pourtant pas nous faire oublier la clef de voûte essentielle de toute base de données détentrice d'informations sensibles : leur protection nécessaire appelle la confidentialité de leur transmission.
Par ailleurs, la rédaction nouvelle de l'article 6 vise à mentionner explicitement les garanties assurées aux personnes faisant l'objet d'une mesure d'éviction, notamment celle de bénéficier d'un suivi médical adapté.
Reste, à mon sens, un point bloquant, que les règles entourant le droit d'amendement m'empêchent de lever : l'indemnisation de la personne contact évincée.
À l'heure actuelle, l'éviction professionnelle ne se présente en droit que comme l'une des formes que peut prendre l'incapacité de travail résultant d'une maladie, qui, seule, permet le versement à l'employé d'une indemnité compensatrice en cas d'arrêt de travail. Ainsi, pour pouvoir être indemnisé au titre de son arrêt de travail, l'employé faisant l'objet d'une mesure d'éviction doit être effectivement atteint de la pathologie justifiant la mesure. Le cas de la personne contact, qui n'est pas considéré comme atteint, se trouve donc exclu du champ de l'indemnisation. J'ai alerté le Gouvernement sur cette question et je reste très vigilant.
S'agissant enfin de la mesure d'isolement contraint, sans doute la plus sensible, figurant à l'article 7, je me montrerai favorable à l'amendement porté par notre collègue Michel Amiel, qui propose également de le réécrire. Outre qu'il clarifie la mesure, en renvoyant à un décret en Conseil d'État l'ensemble des matières qui ne relevaient manifestement pas du domaine de la loi, il en assure la constitutionnalité en limitant dans le temps la période d'isolement contraint à un mois renouvelable. La période de l'isolement contraint n'y était déterminée qu'en cas de période de contagiosité connue et la levée de cet isolement y était conditionnée au rendu d'un rapport par l'autorité médicale chargée du suivi du patient : aucune garantie temporelle n'assortissait donc la mesure privative de liberté. Par ailleurs, l'amendement de notre collègue, en supprimant les diverses références aux recours juridictionnels, garantit l'application à l'isolement contraint du régime de droit commun, à savoir la protection des libertés fondamentales assurée par le juge des référés.
Telles sont, mes chers collègues, les modifications que je vous propose d'adopter à cette proposition de loi. Au terme d'un cycle d'auditions aussi dense que fructueux, je ne doute pas que le travail de notre commission, qui a maintes fois donné la preuve qu'elle savait privilégier l'importance des sujets soulevés aux clivages politiques, soit unanimement salué sur ce texte attendu.