Monsieur le président, avant d'entamer l'examen de la proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au transport, améliorer les droits des usagers et répondre aux besoins essentiels du pays en cas de grève, il me revient de vous proposer un périmètre indicatif pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que ce périmètre inclut des dispositions relatives à la définition d'un niveau minimal de service devant être assuré par les entreprises de transport terrestre, aérien et maritime, à la prévention des conflits sociaux dans les entreprises de transport terrestre, aérien et maritime, à l'encadrement de l'exercice du droit de grève dans les secteurs des transports terrestres, aériens et maritimes et aux modalités de remboursement des usagers qui n'ont pu utiliser le moyen de transport pour lequel ils avaient acheté un abonnement ou un titre de transport.
En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé des amendements relatifs à l'encadrement du droit de grève dans tout autre secteur que ceux des transports terrestres, aériens et maritimes, à la régulation économique du secteur des transports, aux règles tarifaires en matière de transports, à la détermination des collectivités compétentes en matière de transports et à l'organisation des entreprises et des établissements publics de transport ou au statut de leurs personnels.
J'en viens à présent à mon rapport sur la proposition de loi.
L'épisode de grève d'une durée sans précédent dont notre pays sort à peine est venu rappeler que l'absence de certains services publics, notamment en matière de transports, peut avoir des conséquences importantes pour l'ensemble de la société. Ces conséquences sont de natures diverses.
La paralysie des transports publics a entraîné des difficultés parfois considérables pour nos concitoyens habitant loin de leur lieu de travail. Ceux qui en ont les moyens ont dû assumer des frais d'hébergement ou de garde d'enfant. Plus largement, c'est la liberté d'aller et venir sur le territoire qui a pu, par moment, être privée d'effectivité. Cette situation s'est traduite par un regain des transports individuels, à l'heure où la promotion des transports collectifs apparaît comme une réponse essentielle aux enjeux environnementaux.
En outre, la saturation des infrastructures ferroviaires et routières a pu créer des situations de danger d'autant plus grave que la capacité des services de secours à intervenir rapidement était réduite. L'affluence dans les gares d'Île-de-France a d'ailleurs conduit la RATP et la SNCF à fermer, pour raison de sécurité, certaines interconnexions, augmentant par là même les perturbations subies par les usagers.
Une telle situation a par ailleurs eu des conséquences économiques non négligeables pour les commerçants, ainsi que pour un certain nombre d'activités économiques. La priorité ayant été donnée aux rares trains de voyageurs qui circulaient, le fret ferroviaire, que des considérations écologiques poussent à soutenir, a été durement affecté.
Si la situation s'est aujourd'hui nettement améliorée, cette expérience encore bien présente dans nos mémoires doit nous pousser à nous interroger sur les moyens de garantir la continuité du service public et la liberté d'aller et venir et, plus largement, d'assurer la couverture des besoins essentiels de la population.
Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ». Par cette formule, le constituant a, d'une part, fait de la cessation concertée du travail un droit constitutionnel, mais habilité, d'autre part, le législateur à en définir les limites. C'est ce qu'a régulièrement jugé le Conseil constitutionnel, estimant que le droit de grève pouvait être limité pour assurer un équilibre avec d'autres principes de valeur constitutionnelle, comme la continuité du service public, ou plus largement pour permettre la sauvegarde de l'intérêt général.
C'est ainsi que le législateur a pu prévoir des aménagements du droit de grève visant à assurer la continuité du service public, aménagements qui peuvent concerner tant des agents publics que des salariés de droit privé. Dans le secteur public, il a pu instaurer une obligation de préavis et même priver certaines catégories d'agents du droit de grève.
Dans le secteur des transports publics, la loi de 2007 a prévu un encadrement spécifique. Ainsi, le dépôt d'un préavis de grève doit être précédé du déclenchement d'une procédure d'alarme sociale et les salariés souhaitant se mettre en grève sont tenus de le déclarer à leur employeur au moins 48 heures à l'avance. L'employeur est ainsi en mesure d'adapter son service pour tenir compte des priorités fixées par l'Autorité organisatrice de transports (AOT). De l'avis des entreprises de transport, mais également des organisations syndicales que j'ai auditionnées, ces dispositions ont eu un effet bénéfique, d'une part, en améliorant le dialogue social, d'autre part, en permettant de donner aux usagers une information fiable sur le service assuré.
Pour autant, la loi de 2007 atteint ses limites, lorsqu'un conflit trouve son origine dans des décisions sur lesquelles l'employeur n'a pas de prise. En outre, si elle prévoit la définition de différents niveaux de service en fonction de la perturbation, elle ne permet pas d'assurer un service minimal permettant de couvrir les besoins essentiels de la population en cas de mouvement de grève très suivi.
La proposition de loi déposée par notre collègue Bruno Retailleau et que nous sommes nombreux, de différents groupes, à avoir cosignée s'inscrit dans le prolongement de la loi de 2007, mais cherche à changer la logique qui la guidait. Il ne s'agit plus de partir du service qui peut être assuré compte tenu du nombre de grévistes, mais bien de partir des besoins essentiels de la population et de prévoir les moyens d'assurer la couverture de ces besoins.
Le texte introduit donc un droit pour les usagers à un service minimum de transport en cas de grève et ne limite le droit de grève que dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir ce droit.
La proposition de loi fixe le niveau minimal de service à un tiers du service normal, concentré aux heures de pointe, ce niveau pouvant être modulé par l'autorité organisatrice de transports. Les entreprises de transport seraient tenues de requérir les personnels nécessaires pour assurer ce service minimal, sous peine d'amende administrative prononcée par l'autorité organisatrice de transports.
Ce dispositif, qui constitue le coeur de la proposition de loi, est prévu par son article 3. Je vous proposerai un amendement tendant, tout en permettant d'atteindre l'objectif poursuivi par les auteurs du texte, à le sécuriser. Il me semble en effet que le niveau minimal d'un tiers du service normal n'est pas une référence nécessaire. En effet, les réalités ne sont pas les mêmes d'un territoire à l'autre, selon qu'il existe ou non des alternatives aux transports publics. Il ne semble pas souhaitable de prévoir une référence unique valable aussi bien pour le métro parisien que pour les TER et les TGV. En outre, lorsque l'offre en transports publics est diversifiée, par exemple en zone urbaine quand il existe à la fois des bus et des métros, il convient d'adopter une approche globale. Par ailleurs, il existe des territoires dans lesquels les besoins essentiels de la population peuvent être couverts grâce à des niveaux de service très variables.
Dès lors, restreindre le droit de grève sans l'adapter aux besoins réels de la population pourrait constituer une atteinte excessive à un droit de valeur constitutionnelle. Une telle proposition encourrait très probablement la censure du Conseil constitutionnel.
Je note d'ailleurs que la règle d'arrondi à l'entier supérieur conduirait en pratique, lorsqu'il n'existe que quelques dessertes par jour, à un niveau nettement supérieur à un tiers.
Enfin, le législateur n'est pas nécessairement le mieux à même de définir de manière générale et absolue le niveau minimal de service qui est nécessaire pour couvrir les besoins essentiels de la population. Je vous proposerai donc de laisser aux autorités organisatrices, c'est-à-dire le plus souvent aux régions ou aux intercommunalités, le soin de définir au cas par cas le niveau minimal de service nécessaire. Cette définition prendrait la forme d'une délibération, susceptible d'être déférée devant le juge administratif.
Par hypothèse, une situation dans laquelle ce niveau minimal ne serait pas assuré constituerait une atteinte aux besoins de la population et autoriserait une limitation du droit de grève. Toutefois, on peut estimer que la population a une capacité d'adaptation, voire de résilience. Je proposerai donc de permettre un délai de carence de trois jours, à l'issue duquel l'autorité organisatrice pourrait enjoindre aux entreprises concernées de requérir les personnels nécessaires. Un salarié qui refuserait de se conformer à l'ordre de son employeur formulé dans ce cadre ferait alors un usage illicite de son droit de grève, comme aujourd'hui le salarié des transports publics qui fait grève sans préavis ou sans en avoir informé son employeur 48 heures à l'avance. Il serait donc passible de sanctions disciplinaires.
L'article 1er de la proposition tend par ailleurs à étendre les dispositions de la loi de 2007 aux liaisons maritimes pour la desserte des îles françaises. Je vous proposerai de compléter ces dispositions.
L'article 8 concerne le secteur aérien. Si la loi de 2012 a étendu les dispositions de la loi de 2007 à ce secteur presque complètement libéralisé et régi par le droit européen de la concurrence, le Conseil constitutionnel n'avait validé cette extension qu'au regard des risques pour l'ordre public en cas d'affluence vers les aéroports de passagers dont le vol a été supprimé. Les salariés concourant au transport aérien sont ainsi tenus de se déclarer grévistes à l'avance.
Toutefois, s'il est évident que les transports terrestres sont essentiels à la population, c'est moins clair s'agissant des transports aériens. Je vous proposerai donc de limiter l'application du dispositif aux seules lignes sous obligation de service public. Il me semble par ailleurs souhaitable de renforcer la possibilité pour les compagnies aériennes de réorganiser le service, en utilisant les déclarations individuelles d'intention de faire grève.
Enfin, la proposition de loi prévoit des dispositions relatives au remboursement des usagers qui n'ont pas pu voyager. En effet, les transporteurs proposent bien souvent un échange ou un avoir, alors que les usagers sont, me semble-t-il, en droit d'attendre un remboursement, de préférence sans avoir à en faire la demande. Sous réserve de modifications rédactionnelles, je vous proposerai d'adopter cet article.
Je vous proposerai par ailleurs de compléter cette proposition de loi par des dispositions de nature à lutter contre des abus du droit de grève qui ont été observés et qui pénalisent indûment les usagers.
Dans le secteur public, un mouvement de grève doit être précédé du dépôt d'un préavis par une organisation syndicale représentative. En outre, dans le cas particulier des transports, la procédure d'alarme sociale vise à désamorcer, par la négociation, les conflits avant qu'ils ne débouchent sur une grève, et donc sur des perturbations pénalisantes pour les usagers. Employeurs et organisations syndicales s'accordent pour dire que cette avancée introduite par la loi de 2007 a permis d'améliorer le dialogue social et de réduire la conflictualité. Pourtant, on observe des stratégies visant à contourner cette obligation de négociation, et même l'obligation de préavis. Il n'est ainsi pas rare que des organisations syndicales déposent des préavis très longs, parfois de plusieurs années, ou des préavis illimités sur des sujets très larges, comme les salaires ou les conditions de travail. Ces préavis demeurent en vigueur même si le conflit a cessé, si bien qu'à tout moment des salariés peuvent se mettre en grève, en n'ayant à respecter que le délai de prévenance de 48 heures.
Il s'agit là d'un contournement manifeste de la loi de 2007, qui conduit à miner son efficacité. Cependant, il ne m'apparaît pas souhaitable de limiter la durée des préavis de grève. En effet, on ne peut pas connaître ex ante la durée d'un conflit. Je vous proposerai donc un amendement aux termes duquel un préavis de grève peut être déclaré caduc par l'entreprise, dès lors qu'il n'a été suivi par aucun salarié pendant une période de cinq jours. Cet amendement n'entrave pas la liberté des organisations syndicales qui pourront toujours appeler à la grève, dès lors qu'elles l'estimeront nécessaire.
Je vous proposerai également un amendement visant à lutter contre les grèves de très courte durée, dites « de 59 minutes », qui désorganisent fortement le service. On comprend en effet qu'un conducteur de bus ou de tramway qui a décidé de se mettre en grève pendant une heure au milieu de son service oblige son employeur à le remplacer pour l'intégralité de ce service, sans qu'il soit nécessairement possible de le réaffecter lorsque sa grève prend fin.
À l'initiative du Sénat, la loi du 6 août dernier de transformation de la fonction publique a permis aux collectivités d'imposer à certains agents, notamment à ceux des services publics de transport exploités en régie, de faire grève du début à la fin de leur service. Cette disposition a été validée par le Conseil constitutionnel. Dans la mesure où la gestion des services publics de transport est fréquemment déléguée, il apparaît logique que cette disposition soit étendue aux entreprises chargées d'une délégation de service public.
C'est en plein accord avec l'auteur de la proposition de loi que je soumettrai à votre vote ces amendements visant à en sécuriser les dispositions et à améliorer l'effectivité de la continuité des transports. Sous les réserves que j'ai exposées, je vous inviterai à adopter la proposition de loi, dont, vous l'avez compris, je soutiens pleinement les objectifs.