Je vous remercie. Cette table ronde confirme à quel point la création de notre mission d'information est pertinente.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Avec M. Jean-François Longeot, nous allons désormais vous présenter une communication sur les déserts médicaux : il s'agit de dresser un bilan des auditions réalisées en 2018 par le groupe de travail sur les déserts médicaux que nous coprésidons avec M. Jean-François Longeot et de publier un rapport d'information, si vous en êtes d'accord, pour faire le point sur ce sujet, quelques mois après l'entrée en vigueur de la dernière loi « Santé » du 24 juillet 2019.
Dix ans après l'adoption de la loi Bachelot, le moins que l'on puisse dire est que les politiques mises en place par les gouvernements successifs ne sont pas parvenues à lutter efficacement contre les inégalités territoriales d'accès aux soins : la fracture sanitaire continue de se creuser entre les territoires et s'ajoute aux multiples fractures qui traversent notre pays. Ce sont d'ailleurs les mêmes territoires qui connaissent des difficultés en matière de mobilités, d'offre de soins, d'accès au numérique et aux services publics.
Si nous n'agissons pas rapidement, la situation va encore s'aggraver, car la démographie médicale continuera à baisser dans les prochaines années avant que la suppression du numerus clausus, votée cette année, ne produise enfin ses effets.
Les travaux de notre commission sur les déserts médicaux sont nombreux et témoignent de l'attention constante que nous avons accordée à la problématique de l'égal accès aux soins dans les territoires, qui porte une atteinte insupportable au pacte républicain et à notre contrat social.
En 2013, j'avais été nommé rapporteur d'un groupe de travail présidé par notre collègue Jean-Luc Fichet et dont les travaux avaient abouti à la publication du rapport Déserts médicaux : agir vraiment. Ce rapport proposait 16 mesures pour lutter contre les déserts médicaux, en particulier la mise en oeuvre d'un système de régulation des installations de médecins généralistes avec un conventionnement sélectif à l'Assurance maladie sur le principe « une arrivée pour un départ » dans les zones déjà fortement dotées en médecins. Je proposais également de soutenir le développement de la télémédecine, de libérer du temps médical dans tous les territoires en augmentant les compétences de certaines professions de santé qui sont mieux réparties sur le territoire comme les pharmaciens, les orthoptistes ou encore les sages-femmes, et de réformer les études médicales pour améliorer la prise en compte, par les futurs médecins, des préoccupations des territoires.
En 2015, la commission s'était saisie pour avis du projet de loi de modernisation de notre système de santé. Notre rapporteur Jean-François Longeot avait alors proposé plusieurs amendements qui reprenaient les recommandations du rapport de 2013 et visaient à instaurer un conventionnement sélectif en zones sur-dotées pour les nouvelles installations de médecins généralistes.
En 2018, deux ans après l'entrée en vigueur de cette loi, nous avions souhaité relancer les travaux de la commission sur ce sujet avec M. Jean-François Longeot et le bureau avait décidé de créer un groupe de travail dans le contexte de la présentation du plan « Ma Santé 2022 » par le Président de la République et de la nomination de trois délégués nationaux à l'accès aux soins.
Notre groupe de travail, composé de 18 sénatrices et sénateurs représentant l'ensemble des sensibilités politiques de notre assemblée, a procédé à une demi-douzaine d'auditions et deux tables rondes aux mois d'octobre et décembre 2018.
En 2019, le Grand Débat qui s'est tenu à la suite du mouvement des gilets jaunes a placé l'accès aux soins en tête des préoccupations des Français alors même que le Président de la République ne l'avait pas identifié comme un thème de réflexion dans sa lettre aux Français. Dans le prolongement de ce Grand Débat et du plan « Ma Santé 2022 », la ministre des affaires sociales et de la santé a présenté au Parlement un projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé et notre commission s'en était saisie pour avis.
Notre rapporteur Jean-François Longeot avait alors proposé à la commission d'adopter 30 amendements avec trois préoccupations majeures : accompagner la suppression du numerus clausus et la réforme des études de santé par des mesures permettant de rapprocher les étudiants en médecine des territoires ; réguler l'offre de soins et réaffirmer le principe d'égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire ; alléger les contraintes administratives pesant sur les professionnels, développer les partages de compétences et mettre le numérique au service des populations pour libérer du temps médical.
Aujourd'hui, la situation est toujours aussi grave et a des conséquences sur la mortalité précoce dans de nombreux départements, comme l'ont montré les travaux du géographe Emmanuel Vigneron, avec des phénomènes de perte de chance : une commune sur trois connaît des difficultés en matière d'accès aux soins ; entre 6 et 8 millions de personnes vivent dans un désert médical ; les écarts de densité entre départements varient de 1 à 3 pour les médecins généralistes et de 1 à 8 pour les spécialistes, voire même de 1 à 24 pour les pédiatres. Je rappelle enfin que, selon différentes estimations, les inefficiences dans l'allocation des ressources médicales sur le territoire coûteraient entre 1 et 5 milliards d'euros par an au système de santé. Tous ces constats s'appuient sur des données élaborées par les services de l'État.
Plus grave encore, personne dans les ministères n'est en mesure de donner des chiffres consolidés et précis sur l'efficacité des multiples mesures financières visant à inciter les médecins à s'installer dans les territoires où la population a besoin d'eux ! J'ai moi-même posé cinq questions écrites aux différents ministres de la santé depuis 2011 et je n'ai jamais eu de réponse... Il s'agit donc d'un scandale sanitaire et financier.
Alors que la situation française est plus dégradée que dans d'autres pays de l'OCDE, avec une densité médicale dans les zones rurales françaises plus faible que la moyenne de l'OCDE, nous continuons de regarder ailleurs.
D'autres pays comme l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, la Suisse ou encore la Grande-Bretagne ont mis en place des systèmes contraignants de régulation des installations. En France, loin de s'inspirer de ces exemples, les gouvernements successifs continuent de repousser des mesures de régulation allant moins loin que celles en vigueur chez nos voisins et qui sont proposées par un grand nombre de parlementaires depuis des années. De même, certaines professions comme les infirmiers ou les masseurs-kinésithérapeutes ont fait l'objet de mesures de régulation de type conventionnement sélectif qui ont démontré leur efficacité.
Je rappelle également que les collectivités territoriales se mobilisent pleinement pour pallier l'inaction de l'État. Elles tentent d'attirer des médecins par tous les moyens possibles, avec plus ou moins de succès, et font preuve d'une très grande inventivité à travers des « opérations séduction » en tout genre : maisons de santé flambant neuves, offres de postes de médecins salariés, soutien financier pour les jeunes médecins généralistes en stage, aide au logement etc.
Nous ne pouvons plus attendre et d'ailleurs, plusieurs associations d'élus locaux comme l'Association des petites villes de France, l'Association des maires ruraux ou encore Villes de France demandent la mise en place de mesures fortes de régulation et même d'une obligation d'exercice en zones sous-denses pour les jeunes médecins pour certaines d'entre elles.
Nos concitoyens s'impatientent également : près de 9 Français sur 10 souhaitent obliger les médecins à s'installer dans les déserts médicaux, selon un sondage IFOP pour le Journal du Dimanche.