Je vais maintenant vous présenter les principales orientations du rapport, qui s'inscrivent dans la continuité des travaux effectués par la commission dans le cadre du projet de loi « Santé » de 2019.
Si une majorité de ces propositions n'avaient malheureusement pas été retenues lors des débats du printemps dernier, je vous rappelle que quelques amendements de la commission avaient été adoptés par le Sénat et maintenus dans le texte final. Un premier amendement avait ainsi permis la généralisation d'un stage en ambulatoire de six mois pour les étudiants de dernière année de médecine générale, prioritairement dans les zones sous-dotées. Le rapport d'information que nous vous présentons ce matin préconise d'évaluer cette mesure pour, le cas échéant, la cibler sur les zones sous-dotées. Par ailleurs, faute d'avoir prévu un mécanisme de régulation de l'offre de soins, le Sénat avait introduit dans le texte, à l'initiative de notre commission, l'obligation d'une négociation entre l'Assurance maladie et les médecins pour « déterminer les conditions dans lesquelles les médecins participent à la réduction des inégalités territoriales dans l'accès aux soins ». Dans notre rapport, nous appelons l'Assurance maladie et les médecins à engager au plus vite cette négociation.
On peut donc se réjouir que la commission ait permis d'améliorer un texte qui n'avait pas fait de la problématique des déserts médicaux une réelle priorité. Pourtant, pris dans sa globalité, la loi du 24 juillet 2019 demeure largement insuffisante, continuant de s'appuyer sur des remèdes ayant échoué depuis vingt ans, au premier rang desquels le recours aux incitations financières à l'installation, ce qui accroit encore davantage les distorsions entre territoires. Des solutions pragmatiques existent pourtant ; connues de tous, elles n'ont jamais été expérimentées en France, en dépit de leurs résultats probants à l'étranger.
Nos propositions se déclinent en trois axes : la régulation de l'offre de soins ; l'adaptation de l'organisation de notre système de santé à l'exigence de proximité ; la libération du temps médical pour rapprocher les soins de nos concitoyens.
Je commencerai par la régulation de l'offre de soins. Nous proposons de mieux réguler celle-ci sur le territoire, en mettant en oeuvre un système de conventionnement sélectif, afin de limiter les installations des médecins généralistes dans les zones sur-dotées selon un principe « une arrivée pour un départ ». Cette solution, préconisée par la Cour des comptes, est demandée par un nombre croissant d'acteurs, qu'ils soient élus locaux ou hospitaliers. Mis en oeuvre pour d'autres professions, notamment pour les infirmiers, le conventionnement sélectif a eu un effet notable sur la répartition de ces professionnels sur le territoire, ce que confirment les études des services de l'État. Rien ne justifie que ce qui a fonctionné pour plusieurs professions de santé ne soit pas appliqué pour les médecins ! Il s'agit d'une solution équilibrée, voie médiane entre la coercition, qui limiterait fortement la liberté d'installation des médecins, et le recours aux incitations financières, qui n'ont manifestement pas empêché l'accroissement des inégalités territoriales d'accès aux soins.
Les incitations à l'installation en zones sous-denses sont dispersées entre une pluralité d'acteurs - État, Assurance maladie, collectivités territoriales - au point qu'il n'existe pas, aujourd'hui, de bilan exhaustif du coût de ces dispositifs et encore moins d'évaluation, pourtant demandée depuis des années, de leurs effets sur les inégalités territoriales d'accès aux soins. Nous proposons donc que soit enfin recensée et évaluée la diversité des dispositifs incitatifs à l'installation des professionnels de santé. Les aides inopérantes pourraient être supprimées pour affecter, le cas échéant, les crédits ainsi libérés à l'augmentation des aides les plus efficaces ou à d'autres leviers de lutte contre les déserts médicaux.
J'en viens maintenant à l'adaptation de l'organisation de notre système de santé à l'exigence de proximité. Notre système de santé est demeuré trop centralisé, malgré la création en 2009 des agences régionale de santé (ARS), à qui les élus locaux reprochent régulièrement un manque de dialogue, nuisant à la coconstruction des politiques de santé à l'échelle territoriale. Un renforcement des relations entre les collectivités territoriales et les ARS est ainsi indispensable. À cet égard, la loi du 24 juillet 2019 constitue un rendez-vous manqué : les dispositions, proposées par le Sénat, qui auraient permis un renforcement réel du poids des collectivités territoriales au sein de la gouvernance des ARS ont finalement été exclues du texte ou rejetées. Nous renouvelons donc notre souhait de voir l'organisation institutionnelle et la gouvernance des ARS revue en profondeur. La piste d'un remplacement du système de gouvernance dualiste des ARS, composé d'un directoire et d'un conseil de surveillance, par un système moniste resserré autour d'un conseil d'administration, dans lequel seraient représentées les collectivités, pourrait ainsi être étudiée.
Par ailleurs, la refonte de l'organisation de notre système de santé suppose de s'appuyer plus encore sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), créées par la loi de 2016. Les CPTS doivent être pleinement exploitées pour garantir la permanence des soins non programmés dans les territoires. Elles pourraient par exemple constituer un cadre pertinent pour l'organisation d'un système de garde à l'échelle des cantons. Les gardes pourraient être assurées jusqu'en fin de journée, pour éviter un report des patients sur les urgences. Un tel service de garde pourrait se développer en parallèle du déploiement des maisons de services au public aujourd'hui appelées « France Services » dans tous les cantons de France, tel qu'annoncé par le Président de la République en avril 2019.
Enfin, dernier axe de proposition, il faut libérer du temps médical pour rapprocher les soins de nos concitoyens.
Notre système de santé mériterait tout d'abord de s'appuyer plus largement sur des professions globalement mieux réparties sur le territoire. Nous proposons donc, dans la continuité de nos travaux antérieurs, de prolonger les partages de compétences entre professionnels de santé. Le régime des pratiques avancées doit notamment être assoupli pour renforcer l'autonomie des infirmiers de pratiques avancées, dont les premières cohortes ont terminé en juin dernier leur cycle de formation de deux ans. En outre, de nouvelles extensions législatives de compétences doivent être envisagées, pour libérer du temps médical dans les territoires, sans porter atteinte à la sécurité des soins. À titre d'exemple, la loi pourrait autoriser les pharmaciens à prescrire des examens de biologie médicale pour les patients atteints de pathologies chroniques.
La télémédecine doit être pleinement exploitée pour rapprocher les soins des populations dans les territoires sous-dotés. Les premiers résultats du déploiement de la télémédecine sont pourtant décevants. En septembre 2019, soit un an après sa généralisation, seulement 60 000 actes en ligne ont été remboursés, alors même que l'Assurance maladie tablait sur 500?000 consultations annuelles et 1,3 million d'ici à 2021. En outre, seulement 16 % des bénéficiaires résidaient en zones rurales, les plus exposées à la pénurie de médecins. Malheureusement, ces chiffres confirment les craintes exprimées par notre commission au printemps dernier : le remboursement des actes de télémédecine n'étant possible que si le patient dispose d'un médecin traitant, ou à défaut, s'il consulte dans le cadre d'une CPTS, les patients résidant en zones sous-denses sont de fait exclus de la télémédecine. Plus que jamais, il est donc urgent de créer un cadre dérogatoire, garantissant le remboursement sans condition des actes de télémédecine pour les patients résidant dans un désert médical.
Voici les principales orientations de notre rapport. Comme lors de l'examen du projet de loi « Santé » en 2019, nous avons fait le choix de proposer des mesures pragmatiques et équilibrées au service d'un meilleur aménagement sanitaire et social du territoire. Nous ne demandons pas l'impossible ; nous demandons simplement à l'État d'exercer sa compétence et de préserver la cohésion nationale. En somme, nous lui demandons de faire enfin preuve de courage.