Intervention de David Caubel

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 23 janvier 2020 à 8h30
Audition de M. David Caubel ingénieur des travaux publics docteur en économie des transports dans le cadre du suivi du rapport « nouvelles mobilités »

David Caubel, ingénieur des travaux publics de l'État, docteur en économie des transports :

La question des mobilités en zones peu denses m'occupe depuis une dizaine d'années. Je précise que mes propos n'engagent pas l'administration dans laquelle je suis en poste, la mission innovation numérique et territoire de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) du Ministère de la transition écologique et solidaire et des transports.

Constatons d'abord que l'innovation en matière de mobilités concerne aussi les territoires peu denses et ne se limite pas aux territoires agglomérés, où, en apparence seulement, il semble plus aisé de développer de nouvelles solutions.

La notion de territoires peu denses au regard des enjeux de mobilité recouvre plusieurs réalités : le périurbain lointain des agglomérations, le rural, les territoires de montagne isolés. Il est difficile de définir des indicateurs chiffrés pour caractériser les territoires peu denses. La palette des besoins des habitants est elle aussi variée : dans le périurbain lointain, le besoin premier est celui de la connexion aux espaces agglomérés dans le cadre des mobilités du quotidien ; le besoin premier dans le rural est de se déplacer un peu partout, sur un territoire très large où l'emploi et les services sont dispersés ; le besoin dans les territoires de montagne isolés consiste à accéder aux services de base, mais aussi à assurer le déplacement des touristes, été comme hiver.

Dans cette palette variée de territoires, la question qui se pose est celle de savoir si l'on peut imaginer des solutions de mobilité alternatives à l'usage individuel de la voiture. J'ai travaillé sur cette question avec les groupes de travail de la Commission européenne dans le cadre de la convention alpine, avec le Cerema et le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) dans le cadre d'un partenariat concernant les territoires de massifs (Massif central et Pyrénées) et dans le cadre d'un projet Interreg couvrant le territoire alpin.

Il y a un a priori urbain consistant à conclure rapidement que dans les territoires peu denses, aucune solution simple de mobilité alternative au véhicule individuel n'est viable. Or, le rural est en pleine transformation : il n'y a pas forcément de déprise rurale. Des néo-ruraux s'installent et importent leurs besoins, leurs habitudes de vie en termes de mobilités du quotidien. Ces territoires sont très riches en initiatives et innovations. Les réseaux de transports scolaires sont très présents dans ces territoires. Parfois, des réseaux collectifs sont mis en place. Le transport à la demande existe aussi.

Dans les territoires peu denses, on observe une évolution du regard des collectivités sur la question des mobilités : ce n'est plus une collectivité qui définit les objectif et les moyens à travers un cahier des charges précis à destination des opérateurs de transports, mais la collectivité qui interroge l'écosystème des mobilités pour trouver des solutions adaptées, en associant les opérateurs, les autres acteurs comme les énergéticiens, des start-ups, des associations, des coopératives, des initiatives citoyennes. Une start-up ne viendra pas forcément sur un territoire peu dense faute d'y trouver un modèle économique mais des initiatives citoyennes y prennent le relais.

Dans le Massif central et les Pyrénées, j'ai travaillé avec les parcs naturels régionaux (PNR), qui sont des interlocuteurs importants des intercommunalités. La question du tourisme est primordiale, mais la question des mobilités du quotidien intéresse aussi. Dans le parc naturel de l'Aubrac, nous nous sommes penchés sur l'accès aux services de santé, dans le parc naturel des Grands Causses, nous avons travaillé sur les mobilités pendulaires entre Millau et Saint-Affrique. Nous avons également regardé les véloroutes, le covoiturage, le transport d'utilité sociale en Ariège ou encore le transport transfrontalier entre Pyrénées Orientales et Catalogne. Les modèles tout faits ne marchent pas. L'approche verticale n'est pas pertinente. Les solutions clef en main ne répondent pas toujours aux besoins précis du territoire. Il faut à chaque fois travailler avec les acteurs du territoire, qui ont une connaissance fine, sur les « modes de faire ». Il y a là un enjeu d'acceptabilité des solutions proposées. Il faut aussi une assistance technique aux innovations locales. Un exemple dans l'Aubrac concernant les mobilités vers les services de santé : plutôt que de travailler sur les déserts médicaux, nous avons traité la question de la santé en l'abordant par la mobilité. Nous avons travaillé avec les collectivités, mais aussi avec l'ordre des médecins, le SDIS. Ce sont ces derniers acteurs qui ont proposé les bonnes solutions de mobilité, adaptées aux besoins. L'innovation n'est pas que technologique, elle est aussi organisationnelle et sociale.

L'innovation technologique portée par EDF dans les territoires peu denses consiste à aller vers le tout électrique. Mais pour l'accès à un service de santé, la question de la propulsion du véhicule importe peu : il faut que la personne puisse soit accéder au service de santé, soit recevoir la visite d'un personnel de santé. Une des solutions peut résider dans les véhicules autonomes. On commence à l'expérimenter pour transporter des personnes âgées au Japon. L'innovation n'est pas uniquement technologique : le covoiturage, par exemple, est peu technologique. Le bon fonctionnement des applications de mobilité partagée dépend aussi de la couverture réseau par les différents opérateurs.

Les territoires peu denses ont la caractéristique de bénéficier d'une mobilisation forte des acteurs du territoire, qui se connaissent entre eux : ce lien social fort permet d'avancer plus vite. Il y a des systèmes de covoiturage avec une ardoise et une craie posées en mairie, aussi efficaces qu'une application en ligne.

Quel est le rôle de la puissance publique en matière de mobilités en zones peu denses ? Il n'y a pas de solution miracle. Les acteurs locaux ont un rôle décisif à jouer. La puissance publique doit être dans un rôle d'encouragement et de soutien de ces initiatives locales. Il convient aussi de maintenir une certaine autonomie aux acteurs locaux lorsque les initiatives sont lancées : la puissance publique ne doit pas être trop intrusive pour ne pas étouffer les initiatives. Il convient aussi d'être conscient que les initiatives sont fragiles car elles reposent sur peu d'acteurs. Lorsque l'on établit des scénarios prospectifs dans un territoire, on ne propose pas de « grand plan », généralement trop coûteux. Dans le Parc régional des Grands Causses, on aurait pu choisir une solution lourde, mais c'est quelque chose de très simple qui a été mis en place : de l'autostop organisé et sécurisé, simplement matérialisé par un petit fanion. Cela a eu un effet d'entraînement et a permis d'aller un peu plus loin, en cadençant les transports collectifs, en mettant les entreprises dans la boucle des projets. On y est allé étape par étape.

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