Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 23 janvier 2020 à 8h50
Institutions européennes — Audition de Mme Amélie de Montchalin secrétaire d'état chargée des affaires européennes sur le suivi des résolutions européennes du sénat

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Nous accueillons Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes, pour assurer le suivi des résolutions européennes adoptées par le Sénat durant l'année parlementaire 2018-2019. C'est un moment important pour notre commission, qui contribue au contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement. Il s'agit d'échanger avec vous, Madame la Ministre, sur le sort qu'ont connu nos résolutions européennes. Prévues à l'article 88-4 de la Constitution, elles sont l'instrument permettant au Sénat d'indiquer au Gouvernement les orientations qu'il souhaite voir défendues dans les négociations au Conseil sur les projets de texte européens avant leur adoption définitive. Cet exercice représente une marque de respect pour les sénateurs engagés sur les sujets concernés, et vous permet de mieux connaître notre travail. De fait, 50 % de nos résolutions sont suivies par Bruxelles et 25 % partiellement.

Au cours de l'année parlementaire 2018-2019, 850 textes européens, qui n'ont pas tous une portée politique, ont été soumis à notre commission. Leur examen a donné lieu à quinze résolutions, contre dix-huit l'année dernière. Le temps nous manquera pour toutes les évoquer, aussi, nous nous concentrerons sur certaines d'entre elles. Je vous remercie, Madame la Ministre, d'avoir accepté d'entrer avec notre commission dans ce dialogue approfondi, déjà en partie alimenté par les fiches de suivi des résolutions, que je remercie le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) d'établir dorénavant de façon quasi systématique.

Je vous propose de structurer notre échange en deux temps : d'abord, un débat général sur quatre résolutions européennes que je vais évoquer avant que vous n'apportiez, au nom du Gouvernement, des éléments de réponse. Ensuite, nous aurons un échange plus interactif, grâce à un jeu de questions-réponses, qui vous permettra, Madame la Ministre, de répondre aux rapporteurs qui vous interrogeront sur quatre autres résolutions.

La première résolution concerne le texte relatif à l'équité et à la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne. Elle date de novembre 2018 et a été proposée au nom de notre commission par nos collègues André Gattolin et Colette Mélot. Elle traitait d'un texte visant à établir un cadre juridique destiné à assurer la transparence des modalités et des conditions générales auxquelles sont soumises les plateformes de vente en ligne, les entreprises qui recourent à ces plateformes pour vendre leurs produits ou services, ainsi que les moteurs de recherche en ligne qui identifient ces plateformes et ces biens et services.

Ce texte constitue sans conteste une première étape positive. Plusieurs points ont été repris par la France lors de la négociation et figurent pour partie dans le texte finalement adopté ; je pense notamment à l'inclusion des moteurs de recherche dans son champ d'application. Mais le règlement final reste en deçà des préconisations de la résolution du Sénat. Comment expliquer sa modestie ? Il apparaît, tout compte fait, peu contraignant pour les plateformes et ne permet pas un rééquilibrage effectif de leurs relations avec les entreprises. Ainsi, il n'est pas satisfaisant que seuls les contrats d'adhésion soient concernés, alors que les contrats dits négociés laissent une marge de manoeuvre très faible aux entreprises. Quelle a été la position de la France sur ces sujets ?

La question de la protection du consommateur apparaît, par ailleurs, centrale. Or, celle de ses données n'est guère traitée, alors que la résolution du Sénat demandait a minima un renvoi au règlement général sur la protection des données (RGPD). Quant à la transparence des classements, elle ne paraît guère assurée. Quelle a été, là encore, la position de la France ? Quelles perspectives sont envisageables en la matière au niveau européen ?

La deuxième résolution porte sur le suivi des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'espace Schengen, constituée à la demande du groupe Les Républicains. En mars 2017, elle a rendu son rapport comportant trente-deux propositions, regroupées en plusieurs thèmes : consolider l'espace Schengen préalablement à tout nouvel élargissement ; renforcer la protection des frontières extérieures ; revoir les conditions de contrôle aux frontières intérieures ; mieux utiliser et améliorer les systèmes d'information ; perfectionner les outils de détection et d'enquête ; accroître la transparence des évaluations de l'acquis de Schengen.

Compte tenu du caractère éminemment européen du sujet, notre commission a souhaité assurer un suivi des conclusions de cette commission d'enquête, confié à André Reichardt, Jean-Yves Leconte et Olivier Henno. Nos collègues, à l'issue de leurs travaux, ont présenté une proposition de résolution européenne de manière à formaliser une position sur la suite des nécessaires réformes de l'espace Schengen.

D'après les informations transmises par le SGAE, notre résolution a été largement prise en compte au cours des négociations sur les nombreux textes concernés par ce sujet important qu'est la libre circulation des citoyens européens dans la sécurité, l'une des plus grandes réalisations concrètes de la construction européenne. Sur le fondement de ces évolutions, nous sommes aussi intéressés par l'avenir, alors que le Président de la République a exprimé le souhait d'une profonde réforme de l'espace Schengen et que la Présidente von der Leyen a annoncé la présentation d'un Pacte sur l'immigration et l'asile au printemps.

Une troisième résolution européenne concerne le nouveau programme d'investissement pour l'Europe, adoptée en janvier 2019 sur le rapport de nos collègues Didier Marie et Cyril Pellevat.

L'adoption de la proposition de règlement afférente reste subordonnée à celle du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Pour autant, en dehors du montant de la garantie du budget de l'Union européenne, un certain nombre de points qu'aborde la résolution du Sénat ont d'ores et déjà fait l'objet d'un accord. Toutefois, des précisions doivent encore être apportées par le nouveau Parlement européen.

La résolution du Sénat salue la poursuite du plan Juncker, mis en place après la crise de 2008 pour relancer l'investissement grâce à l'effet de levier fourni par la garantie apportée par le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) dans un contexte persistant de déficit d'investissement dans les infrastructures. Le Sénat approuve la diversification des objectifs sectoriels proposée dans le nouveau programme InvestEU ; notamment, il appuie l'accent mis sur l'innovation et sur les PME. Ce point est-il définitivement acquis ? Pouvez-vous nous préciser les priorités assignées au nouveau programme ? Quelle sera la part dédiée à l'accompagnement de la transition climatique ?

Dans sa résolution, le Sénat souligne, en outre, que ce programme regroupera quatorze instruments financiers existants. Pouvez-vous nous rassurer sur la dotation budgétaire qui pourrait être attribuée à InvestEU ? Nous craignons, en effet, qu'elle soit inférieure à la somme des quatorze instruments ainsi fusionnés. Or, elle doit permettre de faire face aux inégalités territoriales et sous-régionales observées dans l'Union européenne, en France en particulier.

Dernière résolution portée à notre débat : celle sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) à l'horizon 2021-2027, sur le rapport de nos collègues Claude Haut, Pascale Gruny et Daniel Grémillet. La négociation se poursuit depuis maintenant trois ans. Le Sénat a parallèlement effectué un important travail de réflexion et de proposition : trois résolutions européennes ont été adoptées, respectivement les 8 septembre 2017, 6 juin 2018 et 7 mai 2019, les deux dernières en séance publique et à l'unanimité.

Au-delà de la question de la stabilité des moyens budgétaires alloués à la PAC, nous nous sommes vivement inquiétés de l'économie générale du projet de la Commission européenne, à savoir de l'impact du nouveau mode décentralisé de mise en oeuvre de cette politique. Outre le risque de distorsions de concurrence supplémentaires au sein du marché unique, les sénateurs y ont vu un réel danger de remplacement de la PAC par « vingt-sept politiques agricoles nationales dans chacun des États membres, désormais de moins en moins compatibles entre elles ». Au surplus, ce mécanisme « pourrait n'être qu'un transfert de bureaucratie, sans bénéfice pour les agriculteurs européens ». S'y ajoute « la perspective d'un statu quo de la future PAC en matière de règles de gestion de crise ou d'intervention, au motif que les avancées du règlement Omnibus seraient suffisantes ». Pour ma part, je ne le crois pas et je m'en suis ouvert à plusieurs reprises à votre collègue Didier Guillaume. Hélas, nous prêchons dans le désert...

En définitive, Madame la Ministre, sur ces points essentiels, la position de la Commission européenne n'a pour ainsi dire jamais changé. Nous pouvons même faire le constat désabusé qu'au fil des présidences successives, plusieurs États membres semblent se résigner et valider, de guerre lasse, des propositions bien peu attrayantes.

Lors de nos échanges avec le ministre de l'agriculture Didier Guillaume, le 7 mai 2019, nous avions collectivement soulevé le risque d'une « déconstruction de la PAC ». Il nous avait alors indiqué partager les préoccupations du Sénat et oeuvrer à les satisfaire. Quelles ont été les démarches du Gouvernement à cet effet au cours des derniers mois ? Certes, l'ancienne présidence finlandaise a consenti un effort en rehaussant de 10 milliards d'euros la proposition initiale de la Commission pour les crédits dévolus au second pilier de la PAC. Quelles sont, selon vous, les perspectives des négociations sur la réforme de la PAC en ce début de présidence croate ? À Zagreb, lundi, j'ai retrouvé mes homologues des autres parlements nationaux de l'Union européenne et j'ai interpelé le Premier ministre croate, Européen convaincu et francophile confirmé sur ce sujet, qui m'a fait part de ses inquiétudes. L'étiage donné par la présidence finlandaise risque d'être difficile à faire évoluer.

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