Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des affaires européennes — Réunion du 23 janvier 2020 à 8h50
Institutions européennes — Audition de Mme Amélie de Montchalin secrétaire d'état chargée des affaires européennes sur le suivi des résolutions européennes du sénat

Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes :

Je vous remercie pour la qualité du travail réalisé par votre commission. Son utilité est indéniable : il permet au Gouvernement de porter des exigences lors des négociations avec ses partenaires européens en se prévalant du soutien du Parlement, même si nous ne sommes pas dans un régime parlementaire. De fait, nous accordons une grande importance au suivi de vos résolutions.

Le CFP pour la période 2021-2027, qui ne fait pas à proprement parler l'objet d'une résolution déjà adoptée par le Sénat, sous-tend la majorité des thèmes que vous avez évoqués : la politique d'asile, la réforme de la PAC, le Plan Juncker et le programme InvestEU. Sa discussion sera donc décisive. Les sherpas du Président du Conseil européen, Charles Michel, reçoivent actuellement, à Bruxelles, les représentants des États membres - la France y a été entendue le 20 janvier - dans la perspective de pouvoir trouver un compromis lors d'un Conseil européen extraordinaire qui se tiendrait à la fin du mois de février. Nous soutenons cette initiative, même si le compromis ne sera pas aisé à établir. Il apparaît nécessaire de rassurer sur les ambitions de l'Europe, dans le contexte du Brexit.

Le budget européen doit équilibrer les principes de souveraineté et de solidarité, et répondre aux enjeux que constituent la sécurité, la compétitivité, l'innovation, l'immigration, la transition climatique. Nous sommes attentifs à la question du Fonds européen de la défense et à celle d'un budget de la zone euro. Il convient de ne pas opposer les défis contemporains et les politiques traditionnelles. La France est particulièrement attentive au développement économique et culturel des régions - régions en transition, outre-mer -, ainsi qu'au soutien aux agriculteurs, pour garantir leur compétitivité et assurer une transition environnementale viable.

Le nouveau budget européen ne peut s'envisager sans une réforme de son volet recettes, en supprimant les rabais et en créant des ressources propres, liées notamment à l'environnement, afin de limiter les hausses des contributions des États membres - il s'agit d'une revendication centrale des pays du nord de l'Europe - et de présenter une politique budgétaire cohérente. Les possibilités de nouvelles ressources propres qui pèseraient sur des personnes ne contribuant pas à la hauteur de ce qu'elles retirent du marché intérieur sont multiples : sur le marché du CO2 ou sur le plastique, majoritairement importé par l'Europe, mais aussi la taxe digitale ou celle sur les transactions financières.

Le budget européen constitue un outil politique qui doit refléter nos valeurs en encourageant la convergence sociale, notamment en favorisant l'égalité salariale et, par une clause de conditionnalité, l'État de droit. Il doit enfin apparaître cohérent au regard de nos ambitions climatiques : 30 % des dépenses devraient concerner l'environnement, dont 10 % la défense de la biodiversité.

Il existe un lien intrinsèque entre la réforme de la PAC et son financement, bien que les deux dossiers se négocient dans un cadre et selon un calendrier différents. Dans ce domaine, le Gouvernement approuve la majorité des recommandations du Sénat. Il faut maintenir le budget de la PAC en euros courants sur la période 2021-2027 à 27 États membres. Je comprends la logique de ceux qui réclament un maintien en euros constants, mais cette exigence ne me semble pas réaliste. La France, sur ce sujet, est soutenue par la majorité des États membres. Une vingtaine d'entre eux a exigé une augmentation de l'enveloppe prévue par la Commission européenne pour la nouvelle PAC, avec succès : la présidence finlandaise a proposé une rallonge de 10 milliards d'euros supplémentaires pour le deuxième pilier, selon le souhait de la majorité des États membres.

La France souhaite un rééquilibrage en faveur du premier pilier. De fait, les outils de dépenses doivent permettre de créer une architecture équilibrée pour la PAC, entre production agricole et démarche écologique avec des éco-dispositifs « ecoschemes » obligatoires dans le premier pilier et la mise en place de mesures agro-écologiques dans le second pilier. Les deux commissions concernées du Parlement européen, traitant l'une d'agriculture, l'autre d'environnement, risquent de s'opposer l'une à l'autre, or nous devons trouver un compromis crédible pour un accord sur la PAC.

Concernant la mise en oeuvre de la nouvelle PAC, le système envisagé par la Commission européenne apparaît effectivement complexe. Pour autant, il ne porte ni risque de distorsion de concurrence ni menace de renationalisation. La France a choisi de sécuriser le principe et prône désormais sa simplification afin de faciliter la mise en oeuvre concrète de la réforme en 2021. Hélas, peu de mes homologues saisissent l'enjeu d'une telle simplification, et la France a un important travail de conviction à mener. En interne, l'État français mène des discussions importantes avec les régions pour simplifier l'accès aux fonds européens.

S'agissant des règles de concurrence et des pratiques commerciales déloyales, nous partageons votre objectif. Il convient d'organiser les filières, ainsi que le prévoit le règlement Omnibus, et de réglementer les pratiques déloyales. Sur ce second point, la France a soutenu la directive entrée en vigueur au mois d'avril 2019, bien qu'elle ne couvre hélas pas l'ensemble des entreprises du secteur. Au niveau national, des progrès devraient également être constatés grâce à la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim. Il convient cependant de rester vigilant sur les pratiques des centrales d'achat installées hors du territoire national.

Les outils de gestion des risques doivent être modernisés, ainsi que le Sénat le propose, par le biais des observatoires des marchés et des seuils d'alerte. Les menaces commerciales américaines rappellent combien ces outils sont nécessaires. Les agriculteurs sont soumis à un triple risque : climatique, de marché et de production. La France est donc favorable au maintien de la réserve de crise pour le secteur agricole. Elle est également attachée au soutien aux zones défavorisées et aux régions ultrapériphériques par le maintien des dispositifs les concernant, à l'instar du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI).

Vous le voyez, nous sommes mobilisés en faveur de la PAC. N'hésitez pas à faire pression, de votre côté, auprès de vos collègues parlementaires des autres États membres. Au-delà de l'aspect budgétaire, nous devons obtenir des améliorations des outils également.

J'en viens au deuxième sujet. Le Plan Juncker vise à répondre aux préoccupations centrales des citoyens européens que sont la croissance et l'emploi, et à rendre le policy mix plus efficace. La France en a été le premier bénéficiaire en volume. Il faut désormais faire davantage en faveur du climat et des petites et moyennes entreprises (PME).

La France soutient le programme InvestEU, plus ambitieux, bien que les allocations précises n'en soient pas encore connues. Le Président de la République, convaincu de la nécessité, pour l'Europe, de disposer de capacités d'investissement élevées, est particulièrement mobilisé sur le sujet.

Le Sénat a émis des recommandations précieuses, dont la plupart ont été défendues par la France dans le cadre des discussions au Conseil. Un accord a été trouvé au printemps dernier entre le Parlement européen et le Conseil pour maintenir le fonds de garantie qui, avec l'appui de la Banque européenne d'investissement, permet de soutenir les investissements et de créer un effet de levier. Ce dispositif a fait le succès du Plan Juncker. La France a obtenu que l'outil reste guidé par la demande, sans contrainte d'équilibre géographique, et que la garantie de l'Union européenne soit ouverte à hauteur de 25 % aux banques nationales de développement, à l'instar de la Caisse des dépôts et consignations.

En France, le Plan Juncker permet, avec 15 milliards d'euros d'investissements approuvés, d'envisager 78 milliards d'euros d'investissements pour deux cents projets, dont soixante-trois concernent des PME. Dans sa nouvelle mouture, le fonds de garantie financera au moins 10 % d'opérations à caractère social.

Le programme InvestEU comprendra un compartiment « Union européenne » et un compartiment « États membres », permettant d'affecter de manière volontaire une partie (au plus 5 %) des fonds structurels nationaux au provisionnement d'une garantie supplémentaire de l'Union européenne. Le nouveau programme jouera aussi un rôle majeur dans la mise en oeuvre du Pacte vert, puisque 30 % de ses crédits seront consacrés à des investissements en faveur de la transition énergétique.

Troisièmement, la politique d'asile et d'immigration représente également un défi majeur. Il s'agit, pour l'Europe, d'assurer la libre circulation des personnes dans un cadre maîtrisé. Il convient de ne pas bâtir une Europe forteresse, mais d'organiser notre politique d'accueil. En 2019, l'Europe a comptabilisé 139 000 entrées irrégulières sur son territoire, soit le niveau le plus bas depuis six ans. Nous devons toutefois être en mesure de faire face à une crise migratoire comme celle de 2015. C'est pourquoi la France porte une proposition de refondation de l'espace Schengen.

Nous espérons beaucoup du nouveau Pacte sur l'immigration et l'asile, qui sera présenté par la Commission européenne au mois de mars. Il permettra de discuter de la refonte du régime d'asile européen qui constitue l'un des objectifs de la présidence allemande. Il s'agira d'un test important pour la crédibilité politique de l'Union européenne.

Le nouveau Pacte devra respecter les principes de responsabilité et de solidarité. En matière de responsabilité, la France soutiendra l'inclusion de procédures d'asile et de retour à la frontière, la réforme des critères de Dublin afin de répondre aux besoins des pays d'entrée comme de destination, la limitation de l'octroi des conditions matérielles d'accueil au pays chargé de l'examen de la demande d'asile et la mise en oeuvre d'une politique de retour efficace et respectueuse des droits humains. Sur ce dernier point, des accords de réadmission sont nécessaires. Nous avons négocié pendant six ans avec la Libye et avec la Tunisie : des accords européens sont préférables à des accords binationaux, quitte à y ajouter des clauses spécifiques. S'agissant du principe de solidarité, la France prône un soutien à la réinstallation et un dispositif de réponse en cas de pression migratoire disproportionnée sur un État membre. Les chiffres doivent cependant être relativisés : durant l'été 2018, seules 1 500 personnes ont débarqué en Europe et ont été prises en charge par une dizaine de pays, dont la France, l'Allemagne et le Luxembourg.

Nous devrons travailler sur la convergence des systèmes d'asile nationaux, mais aussi renforcer le Bureau européen d'appui en matière d'asile européen afin de le faire évoluer vers une véritable agence européenne aux prérogatives élargies et d'avancer sur la reconnaissance mutuelle des demandes d'asile. Si ce travail aboutit, la fiabilité de nos frontières extérieures sera renforcée et elles deviendront des lieux de contrôle des flux. Nous devrons aussi renforcer nos mécanismes d'évaluation. Nous sommes très attachés à la libre circulation dans l'espace Schengen, que nous devons optimiser et préserver.

Enfin, le règlement relatif à l'équité et à la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne est un premier pas. Votre ligne ambitieuse est également celle qu'a adoptée le Gouvernement tout au long des négociations qui furent difficiles. Le maniement de l'argument du secret des affaires a limité nos ambitions. Nous avons abouti à un compromis final satisfaisant, qui préserve, lorsqu'elles existent, les dispositions de droit français plus protectrices que le droit européen. Nous avons obtenu de nombreuses avancées, notamment sur le RGPD et l'élargissement aux moteurs de recherche. De nouvelles initiatives dans le champ du numérique seront prochainement proposées dans le cadre d'un futur Digital Services Act. Thierry Breton est très mobilisé sur ce sujet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion