Intervention de Catherine Colonna

Groupe de suivi Retrait du Royaume-Uni et refondation de l'UE — Réunion du 29 janvier 2020 à 16h35
Audition de s. e. Mme Catherine Colonna ambassadrice de france au royaume-uni

Catherine Colonna, ambassadrice de France au Royaume-Uni :

Messieurs les présidents, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, merci pour ces questions auxquelles je m'efforcerai de répondre tout d'abord dans ma présentation liminaire puis par quelques compléments.

Merci aussi pour le travail que vous réalisez au sein de ce groupe de suivi, depuis plus de trois ans et que vous continuerez de réaliser. Si un chapitre important se clôt dans deux jours, un autre s'ouvre et se révèle autant, si ce n'est plus important, puisqu'il va fixer les relations que nous entretiendrons pour une ou deux générations avec ce grand pays qu'est le Royaume-Uni. La date de cette audition est parfaitement choisie : nous sommes à l'avant-veille de ce jour historique du 31 janvier 2020.

Aujourd'hui même, la proposition de mandat de négociation doit être examinée et validée par le collège des commissaires européens après avoir fait l'objet de débats dans différents groupes de travail tout au long du mois de janvier. Aujourd'hui également, le Parlement européen doit ratifier l'accord de retrait qui avait été conclu entre le Royaume-Uni et les 27 en octobre dernier. Ce 29 janvier constitue donc lui aussi un jour historique dans la longue chronologie de ce Brexit.

Il reste plus d'inconnues pour l'avenir que de choses connues. Le Brexit était un événement connu et quasiment inévitable depuis le référendum du 23 juin 2016. Même s'il a fallu trois ans et demi de débats internes pour savoir comment transformer le résultat de ce référendum en décision de retrait, les choses étaient inscrites dans la logique politique dès lors que le peuple souverain s'était exprimé le 23 juin 2016. Nous nous trouvons au début d'un nouveau processus. Les positions des uns et des autres ne sont pas encore fixées. Celle de l'Union européenne est en formation. Celle du Royaume-Uni n'est sans doute pas encore formée.

Avant de répondre directement à vos questions, permettez-moi d'aborder l'ensemble de ces thématiques sous trois angles : le paysage politique britannique après les élections du 12 décembre qui conditionne lourdement les négociations futures, les orientations perceptibles sur la relation future et quelques questions générales, mais fondamentales qu'il convient de se poser avant même d'entrer dans les négociations entre les 27 et le Royaume-Uni.

Le nouveau paysage politique britannique : la politique britannique n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était voilà encore trois mois. J'ai pris mes fonctions début septembre. Durant quelques mois, différents événements sans précédent se sont produits dans la très longue histoire de cette très vieille démocratie qu'est le Royaume-Uni, avec une situation politique très incertaine jusqu'à décembre 2019, qui traduisait une instabilité et une indécision de fond sur les conditions du Brexit.

Ce temps est révolu. Après les élections du 12 décembre, une clarification est intervenue. Le premier ministre Boris Johnson a reçu l'onction du suffrage universel. Il dispose d'une majorité forte. Sa stratégie a payé, avec l'aide d'un système électoral uninominal à un tour qui permet de remporter une circonscription grâce à un déplacement de voix parfois minime. Boris Johnson bénéficie aujourd'hui de 80 voix de majorité alors que le parti conservateur a recueilli 1,2 % de voix de plus que sous la houlette de Mme May lors des élections précédentes.

Le message du premier ministre était simple : « Get Brexit done ». Il était martelé à chaque occasion. Le Brexit était présenté comme le préalable à la résolution des problèmes du pays (système de santé, sécurité, éducation, infrastructures). De fait, ce programme a séduit au-delà des circonscriptions traditionnelles du parti conservateur. Le basculement s'est en effet produit en bonne partie dans les circonscriptions du nord du pays, traditionnellement travaillistes. Cet électorat avait voté pour le Brexit en 2016 pour une multitude de raisons. Nous pouvons notamment penser à la désindustrialisation qui sévit depuis plusieurs décennies, la mondialisation qui bouleverse les repères, les services publics en difficulté. Ces régions travaillistes ont donc voté en faveur des conservateurs. De ce point de vue, le 12 décembre représente une confirmation du référendum de 2016.

Pour faire tomber ce que certains qualifiaient de « muraille rouge », le parti conservateur a modifié son approche idéologique : il est devenu plus interventionniste dans l'économie, moins attaché à l'orthodoxie budgétaire et fiscale et nettement moins européen. Par tradition, le parti conservateur était pro-européen. Mme Thatcher a signé le traité fondateur du tunnel sous la Manche. Tout en défendant les intérêts de son pays, elle a d'ailleurs été une bonne Européenne. Les promesses d'un parti conservateur adoptant un positionnement différent de son positionnement classique ont joué un rôle majeur dans le ralliement de cet électorat du nord du pays, alors même que ces régions avaient été affectées par la politique d'austérité menée par les différents gouvernements conservateurs.

Le gouvernement issu des urnes entend pousser plus loin son avantage et mettre en oeuvre un ambitieux programme de dépenses. L'année budgétaire britannique court d'avril à mars. Nous connaîtrons le budget de l'année 2020-2021 le 11 mars. Les seules indications fiables sont celles des déclarations politiques du Chancelier. Sont évoqués 100 milliards de livres d'investissements sur cinq ans. Nous nous trouvons dans la déclinaison de la campagne, avec des promesses d'investissements massifs, notamment dans les infrastructures qui connaissent un important retard au Royaume-Uni, et des dépenses supplémentaires dans les secteurs un peu déshérités de la santé, l'éducation et la police. Des questions se poseront bien sûr sur la politique fiscale du gouvernement britannique.

La route est néanmoins dégagée pour le premier ministre : une large majorité, un système stable et une opposition en transition. Le parti travailliste a subi une lourde défaite le 12 décembre. Il a perdu 7,8 % des voix et 59 sièges. Son positionnement est apparu manifestement erroné aux yeux des électeurs. Par ailleurs, il est pris jusqu'à début avril dans le débat interne de désignation de son futur leader. Le parti libéral démocrate aura également un nouveau leader à l'été, sa dirigeante ayant été battue par le SNP en Ecosse. Ni l'un ni l'autre ne sont aujourd'hui en mesure de former une opposition organisée et forte face au premier ministre.

Entre le 12 décembre et ce 29 janvier, tout s'est passé comme le gouvernement l'avait prévu. Le passage au parlement britannique de la loi de mise en oeuvre de l'accord de retrait s'est achevé le 22 janvier sans amendement. La Chambre des Lords avait passé quelques amendements, dont certains concernaient les droits des citoyens européens au Royaume-Uni. Ils ont été rejetés le lendemain lors de la seconde lecture par la Chambre. Le texte a été validé par la Reine et promulgué le 24 janvier. Il illustre la nouvelle situation politique : un gouvernement uni, soutenu par une majorité unie.

Le Royaume-Uni remplit donc toutes les conditions juridiques pour sortir de l'Union européenne le 31 janvier 2020 à 23 heures, heure de Londres. Il restera théoriquement onze mois de négociations, mais en réalité dix mois, puisque le mandat de négociation de l'Union européenne, qui sera mis sur la table aujourd'hui par la Commission et dans les jours qui viennent discuté au COREPER, doit être finalisé le 25 février. Il devra se révéler aussi précis et détaillé que possible pour que le négociateur unique dispose d'un mandat complet. La négociation avec le Royaume-Uni s'ouvrira seulement le 3 mars. Le Royaume-Uni a indiqué qu'il ne demanderait pas de prolongation de la période de transition. Ce point est même inscrit dans la loi. Certes, une autre loi pourrait venir le modifier. Cependant, de l'avis général, le Premier ministre britannique fait du calendrier une priorité et veillera à tenir ce délai.

Si une décision de prolongation de la période de transition devait intervenir, elle devrait être prise au plus tard à la fin du mois de juin. Il faudra donc réaliser à ce moment-là une évaluation politique et technique de l'état des discussions avant de prendre une décision sur la prolongation éventuelle.

J'en viens aux relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne

La victoire électorale de Boris Johnson a donné une très grande confiance en soi au parti conservateur. Les premières annonces du gouvernement, son positionnement, ses déclarations reflètent une approche dure. Le gouvernement britannique commence la négociation en plaçant la barre très haute et en ne se montrant pas particulièrement disposé au compromis.

Toutefois, la situation se révélera peut-être plus complexe. Nous observons d'ailleurs un débat à propos de l'alignement ou des divergences à venir entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Dans leurs différentes déclarations, la ministre de l'intérieur Priti Patel et le Chancelier de l'Echiquier indiquent parfois qu'il n'existera aucun alignement alors que la déclaration politique conclue entre les 27 et le Royaume-Uni laisse plutôt entendre le contraire. Quelques jours plus tard, devant les interrogations, voire les critiques d'une partie des secteurs socioéconomiques du pays, les mêmes ou d'autres tiennent un discours plus mesuré, affirmant qu'il ne s'agit pas de diverger pour le plaisir de diverger, mais de procéder au cas par cas. Cette approche nous semble plus crédible. Elle constituera sans doute la ligne de conduite du Royaume-Uni. Il est clair que le pays cherchera des divergences « d'opportunité », en déterminant les secteurs où il pourrait gagner de la compétitivité et en essayant de faire des choix, alors que l'intérêt du négociateur unique et des 27 sera de chercher un accord global et de refuser une segmentation dans laquelle les Britanniques obtiendraient « le beurre et l'argent du beurre » ou, comme ils disent, « the gâteau and the château » !

L'argument électoral avancé depuis 2016 de la souveraineté du pays et de la libération de ses forces correspondait à une attente du peuple britannique, mais comment le traduire en politiques ? Sa matérialisation n'est pas si simple. Une relation distante avec l'Union européenne va à l'encontre des intérêts d'une grande partie des acteurs économiques britanniques. La City n'a jamais été très favorable au Brexit. Le patronat ne l'est pas non plus. Dès que le Chancelier de l'Échiquier a évoqué des divergences, nous avons assisté à une levée de boucliers de la part des voix qui comptent dans le pays.

Une divergence créerait un risque d'une frontière dure avec l'Union européenne et de maintien de l'incertitude réglementaire sur de nombreuses activités économiques. Par ailleurs, non seulement les milieux économiques et le patronat, classiquement conservateurs, sont plus que réservés, mais s'il devait se produire un retour aux règles de base de l'OMC, ce sont l'industrie britannique et les régions et les populations les plus vulnérables qui en pâtiraient. Or ce sont précisément ces régions et ces populations, cet électorat flottant qui a voté pour le parti conservateur le 12 décembre, que Boris Johnson doit séduire plus durablement.

Ce gouvernement devra opérer des choix difficiles. Je ne peux vous préciser sa stratégie ou son positionnement sur chaque sujet. Nous entendons le plus souvent qu'il existait un « avant les élections » et un « après », et sans doute pas de stratégie claire pour l'après.

Est évoquée l'idée d'un accord de libre-échange sans tarif et sans quotas. Nous partageons l'objectif, mais nous ne l'entendons pas de la même façon. Un accord de libre-échange repose, à nos yeux, sur un triptyque : sans tarif, sans quotas et sans dumping. Ce « zéro dumping », la présidente de la Commission européenne ne l'a pas oublié. Elle est venue le rappeler à Londres à Boris Johnson. Le négociateur unique qui l'accompagnait et le Président de la République l'ont fait aussi. La profondeur de la relation future avec le Royaume-Uni dépendra de la convergence de ce pays avec la réglementation européenne. Pas de concurrence déloyale dans le domaine commercial ni de dumping social ou environnemental : il faut affirmer la position de la France et des 27 dès le début des négociations.

Quel est le risque de divergence réglementaire ? À court ou moyen terme, il ne faut ni le sous-estimer ni l'exagérer. Le Royaume-Uni n'y a pas vraiment intérêt, mais il faudra rester attentif et essayer de deviner les domaines dans lesquels ce pays pourrait contourner la problématique, par le biais des modalités de production par exemple. En matière environnementale, le Royaume-Uni s'affranchira-t-il de la réglementation européenne sur le glyphosate ? Les Britanniques pourront-ils produire différemment ? Certains sujets devront être examinés de très près. Pour être exportables en Europe ou ailleurs, les produits devront quand même respecter un grand nombre de nos normes.

En matière fiscale, là encore, n'exagérons pas le risque de dumping. De l'avis général, une divergence est même très peu probable du fait des besoins de financement considérables du modèle social britannique, mais aussi du réinvestissement souhaité par le gouvernement dans les services publics et les infrastructures. Il paraît difficile pour le Royaume-Uni de faire du dumping fiscal et de perdre en recettes budgétaires des dizaines de millions de livres dont le pays a besoin pour financer le budget tel qu'il se dessine aujourd'hui.

En revanche, le risque de divergence est beaucoup plus présent à long terme s'il ne devait pas être prévu d'alignement dynamique sur les normes européennes. Nous risquons une dérive progressive, avec une pratique qui pourrait diverger dans le temps, secteur par secteur. Il nous semble important de surveiller en particulier le secteur du développement durable. L'Union européenne est exemplaire en la matière et a constitué un corpus de normes qu'elle entend respecter et faire respecter. Le Royaume-Uni peut être tenté de s'en écarter tout en se faisant le champion de la COP26. Le numérique mérite aussi toute notre attention. Sur les nouvelles activités de l'intelligence artificielle et la protection des données, il peut apparaître, parce que le corpus européen est fortement protecteur, une tentation de la part du Royaume-Uni de jouer une carte particulière.

Les relations de défense et de sécurité sont traditionnellement fortes, puisque la France et le Royaume-Uni disposent d'une vraie politique de défense et de sécurité et des budgets qui le leur permettent et sont prêts à prendre des risques pour défendre leurs intérêts ou les intérêts majeurs de la communauté internationale. Ces domaines devraient demeurer des domaines de forte coopération, avec toutefois un bémol lié aux questions budgétaires.

Au printemps devrait intervenir une revue des dépenses publiques pilotée par Downing Street, qui peut se traduire par des appels à la baisse dans certains secteurs. Le secteur de la défense, au moins sur le plan capacitaire, peut être considéré comme trop dépensier. Après cette revue des dépenses aura lieu la revue stratégique de la défense. Prévue initialement pour le début de l'année, elle pourrait être menée avant, voire après l'été et se traduire par une modification des budgets affectés à la défense ou par des choix différents au sein d'une enveloppe budgétaire identique. Quelques déclarations préparent peut-être le terrain. Dans ce cadre, j'appelle votre attention sur la demande des Britanniques en faveur de la poursuite du format E3 dans lequel France, Allemagne et Royaume-Uni prennent des positions communes, comme ils l'ont fait encore récemment sur l'Iran. Il n'est pas sans intérêt de voir que le pays qui quitte l'Union européenne souhaite préserver malgré tout ce format.

S'agissant de la protection des droits des citoyens européens, nous nous montrerons extrêmement vigilants. Les garanties essentielles figurent dans l'accord de retrait. Il est particulièrement important de mobiliser nos ressortissants sans pour autant les inquiéter. La communauté française s'interroge, mais elle fait preuve d'un sang-froid remarquable. Notre priorité consiste à encourager tous nos compatriotes qui ne l'auraient pas encore fait à demander le statut de résident permanent (settled status) ou le pré-statut de résident permanent (pre-settled status) au Royaume-Uni.

L'échéance du Brexit se rapprochant, nous avons observé une montée en puissance assez forte des demandes de statut de résident par nos concitoyens. Depuis mon arrivée, grâce notamment à vos efforts, Mesdames et Messieurs les sénateurs, nous sommes passés de 50 000 à 104 300 demandes. Avec le consulat général, nous anticipons que le Brexit effectif peut déclencher un certain nombre de demandes supplémentaires. Nous avons touché plus de 80 % de la communauté française inscrite sur les listes des consulats, si nous retirons les binationaux qui, possédant la nationalité britannique, n'ont pas de problème de statut au Royaume-Uni.

Il reste peut-être 50 000 ou 100 000 compatriotes inconnus de nous, voire davantage. La liberté de circulation fait partie des trésors de l'Union européenne et à tout moment des Français entrent et sortent du Royaume-Uni sans qu'ils aient besoin de se déclarer. Concrètement, cette liberté nous pose néanmoins une difficulté, puisque nous ignorons qu'ils se trouvent au Royaume-Uni, sauf s'ils se déclarent auprès des consulats ou se rapprochent des autorités françaises présentes au Royaume-Uni.

La deuxième campagne que nous allons mener avec le consulat ira au-delà de la communauté française connue. Nous nous appuierons toujours sur les réseaux sociaux, les associations, les consuls honoraires, mais nous utiliserons aussi d'autres canaux, comme les municipalités ou les régions, en lien avec nos autres partenaires européens, et peut-être les entreprises, pour essayer de capter des personnes établies depuis 5, 10, 15 ans ou plus, dont les enfants ou petits-enfants sont Britanniques, qui ne se posent même pas la question de leur nationalité et qui ne sont pas forcément bien informées. Tout ce que vous pourrez faire pour nous aider sera bienvenu.

L'unité des 27 États membres s'avère absolument prioritaire. Elle a constitué le facteur clé du succès dans la négociation de l'accord de retrait. Il faudra se souvenir de cette leçon positive et veiller à rester unis. . L'approche de Michel Barnier et de la Commission se situe dans la même ligne que précédemment. De nombreux séminaires ont eu lieu à Bruxelles avec les représentants permanents et leurs équipes pour forger la position et la proposition de mandat de négociation. Un premier projet issu de ce travail de préparation doit être validé par la Commission aujourd'hui. Il sera soumis aux ministres fin février.

Du côté britannique, la situation paraît plus simple. En effet, l'unité est assurée par construction et par la circonstance politique d'un gouvernement uni et solide, disposant d'une majorité. Pour les négociations futures, les équipes britanniques sont différentes de celles qui ont mené la négociation sur l'accord de retrait. Tout passe désormais sous la tutelle de Downing Street. Le ministère du Brexit disparaît en tant que tel. Le conseiller Europe et négociateur du premier ministre, David Frost, demeure en place et bénéficiera des compétences des équipes de cet ancien ministère. À l'unité politique et l'unité de la chaîne de commandement s'ajoute une cohérence idéologique, puisque tous les membres de cette équipe croient dans les opportunités offertes par le Brexit. Premier ministre fort, il peut donc adopter une position de négociation rude. Face à cela, l'unité reste la carte prioritaire à jouer.

Quelques questions méritent d'être posées dès à présent, même si la négociation ne démarrera pas avant plus d'un mois.

Quelle politique étrangère ?

Souvent, nous nous demandons quelle sera la politique étrangère de ce pays qui vient de couper les ponts avec l'Union européenne. J'ai évoqué le format E3, qui constitue plutôt un bon signal. D'une façon générale, le Royaume-Uni est partie prenante dans la formation des positions de politique étrangère de l'Union européenne, mais il peut apparaître des tensions, des tentations ou des positions un peu différentes. L'enjeu pour la France et ses partenaires européens consiste à chercher une permanence dans la politique étrangère britannique, à tenter d'ancrer ce pays sur ses positions classiques au-delà de la circonstance qui lui fait quitter l'Union européenne.

Quant aux relations avec les États-Unis et à l'accord de libre-échange, au-delà de l'ambition affichée, il nous paraît difficile de mener deux, voire quatre négociations de front Je doute donc que l'administration Trump fasse beaucoup de cadeaux au Royaume-Uni. Tout négociateur sait qu'après son départ de l'Union, le Royaume-Uni aura perdu une partie de ses leviers de négociation. Il faudra surveiller tout cela.

Quel modèle économique ?

S'agissant du modèle économique, il faut là encore essayer de deviner. La position de négociation britannique n'est pas arrêtée. Comment mettre en oeuvre ce programme électoral où il faut tout à la fois diverger pour être plus compétitif, diverger pour tenir sa promesse électorale, mais ne pas diverger pour continuer de vendre dans le marché naturel que constituent l'Union européenne et sa prolongation continentale, ne pas diverger, voire respecter les normes sociales et environnementales pour continuer de conquérir l'électorat anciennement travailliste, qui a voté conservateur aux dernières élections ? Le premier ministre Boris Johnson devra choisir entre un modèle ultra-libéral d'un côté (dérégulation, divergences, abaissement des droits sociaux, compétitivité, etc.) et une politique destinée à conserver son nouvel électorat anciennement travailliste de l'autre. Ces deux politiques sont différentes. La plupart des observateurs pensent que le choix n'est pas fait. Boris Johnson dispose de temps, d'une majorité solide, de talent et de flexibilité, mais des questions fondamentales se posent.

Quelles relations bilatérales ?

Le Royaume-Uni de 2020 n'est pas le Royaume-Uni de 2016 qui aurait connu une parenthèse de quatre ans. Il faut mesurer que ce départ a duré tellement longtemps, touche tellement de questions parfois existentielles qu'il a transformé le pays. Cette situation nous oblige à réfléchir à nos relations bilatérales. Nous ne pouvons pas mettre le Brexit sur étagère et considérer que nous reprendrons sans effort le fil de nos relations, parce que nous sommes voisins, amis et partenaires. Il faudra réinventer ou refonder nos relations bilatérales.

L'année 2020 peut s'y prêter. Nous fêterons les dix ans des traités de Lancaster House qui structurent notre coopération en matière de sécurité et de défense, mais aussi le 80ème anniversaire de l'Appel du 18 juin 1940. Je peux vous assurer que nos deux pays ont l'intention de densifier leurs relations en travaillant sur les convergences, notamment dans le domaine de la politique étrangère. La volonté bilatérale existe. Nous devons nous montrer plus actifs.

D'autres occasions internationales se présentent. La COP26 en est une. Elle se déroulera à Glasgow, du 6 au 20 décembre. Nous percevons combien ce sujet sera extraordinairement important pour le Royaume-Uni dans le contexte du Brexit. Comme nous, le Royaume-Uni croit qu'on doit et peut agir pour enrayer le réchauffement climatique pendant qu'il est encore temps et a traduit en législation l'objectif de réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2050. En outre, comme il s'agira de la première grande réunion internationale au Royaume-Uni depuis le Brexit, avant le G7 prévu l'année suivante, il est politiquement indispensable pour ce pays de démontrer à ses partenaires et au reste du monde qu'il reste au centre du jeu, façonne l'agenda mondial et peut faire avancer des accords. La COP26 représente une carte à jouer.

De nombreuses préoccupations demeurent. Le ministre l'a indiqué tout à l'heure. Le Président de la République le répète. Nous serons ambitieux sur la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, nous serons vigilants sur nos intérêts propres et sur ceux de l'Union européenne et nous serons déterminés à empêcher toute forme de concurrence déloyale. Réinventer notre relation, la densifier et défendre nos intérêts ; concilier ces deux impératifs représente pour nous aussi une tâche difficile.

Quid de l'unité du Royaume ?

Je crains qu'il n'existe pas de réponse définitive.

L'Ecosse a une histoire bien différente de celle de l'Angleterre. Les élections du 12 décembre montrent un pays coupé en deux. Le SNP a remporté 48 sièges sur 59 et les conservateurs ont perdu des sièges. La première ministre écossaise s'appuie sur ces résultats, qui confortent ceux de 2016, pour alimenter ainsi sa revendication en faveur d'un second référendum pour l'indépendance. Juridiquement, la démarche apparaît compliquée. En principe, il faut obtenir l'accord de Londres, d'ores et déjà refusé par Boris Johnson, pour organiser un second référendum. En outre, le référendum précédent avait été négatif.

Il est difficile d'affirmer aujourd'hui que les résultats en faveur du SNP permettront d'obtenir l'indépendance. Je ne connais pas suffisamment l'Ecosse, mais je me garderais de conclure que le scrutin du 12 décembre ouvre la voie à l'indépendance.

La situation n'est pas plus simple en Irlande du Nord. Des contrôles seront instaurés entre l'Angleterre et l'Irlande du Nord ; ils sont d'ailleurs inscrits dans l'accord de retrait. Le DUP a voté en bloc contre l'accord de retrait voilà quelques jours.

Jusqu'à présent, les Irlandais du Nord étaient pris dans leurs problèmes internes. Le parlement nord-irlandais n'était pas réuni depuis trois ans, mais la situation s'est débloquée.

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