Nous allons vous présenter les conclusions d'un travail de contrôle et d'évaluation des moyens consacrés à la politique de développement de l'agriculture biologique.
Nous avons auditionné la quasi-totalité des acteurs de cette politique et nous avons rencontré une fois de plus tous les problèmes de définition et de conduite des politiques publiques en France, avec les spécificités qu'offrent généralement les politiques agricoles et les politiques de transition écologiques : un haut degré de complexité de leur pilotage ; le caractère parfois assez évanescent des objectifs et des moyens mis en oeuvre. Nous avons un chapitre intitulé : « Le pilotage du développement de l'agriculture biologique : pour une action plus rigoureuse » ; nous en avons un autre intitulé : « La personnalité budgétaire diaphane de la politique en faveur de l'agriculture biologique ».
Comme vous le savez, à la suite des États généraux de l'alimentation, le président de la République ayant annoncé un objectif de conversion de 15 % de la surface agricole française en mode biologique, cet objectif a été inscrit dans la loi Egalim et a fait l'objet d'une intense communication autour du « programme Ambition bio 2022 ».
Il est intéressant de se pencher sur ces objectifs à mi-parcours.
Nos constats s'articulent autour de quatre idées principales :
- Le développement de l'agriculture biologique est un objectif-intermédiaire qui traduit, dans des termes qui ne sont certainement pas parfaits, mais qui, au total, apparaissent utiles, un objectif plus fondamental et très exigeant d'assurer la transition écologique de l'agriculture.
- Le développement de l'agriculture biologique, très européanisé, a jusqu'à présent reposé à titre principal sur le pari risqué que le marché en permettra l'essor et plus secondairement sur des financements publics, suivant en cela le compromis européen classique entre ordo-libéralisme et social-démocratie.
- Les concours publics à l'agriculture biologique posent des problèmes considérables qu'il convient de surmonter.
- Le pilotage de la politique en faveur de l'agriculture biologique manque de solidité et doit être significativement renforcé.
Première observation donc : le développement de l'agriculture biologique est un objectif intermédiaire qui traduit, dans des termes qui ne sont certainement pas parfaits, mais qui, au total, apparaissent utiles, un objectif plus fondamental et très exigeant d'assurer la transition écologique de l'agriculture.
Il n'est pas inutile de rappeler certains éléments de contexte.
En premier lieu, la généalogie de la politique visant au développement de l'agriculture biologique est marquée par une origine individuelle et privée suivie d'une consécration politique continue c'est-à-dire transpartisane. En second lieu, la politique en faveur de l'agriculture biologique est une politique européenne qui mobilise tous les leviers des politiques européennes, réglementaires, opérationnels et budgétaires. Enfin, il s'agit d'une sorte de « work in progress », de travail en construction, marqué notamment par la révision du règlement fondateur intervenue en 2018 qui sera suivie d'une série d'actes dérivés.
Étant un « work in progress » la politique en faveur de l'agriculture biologique est également sujette à des arbitrages portant sur des évolutions importantes, évolutions normales s'agissant d'une politique relativement jeune et qui s'inscrit dans un contexte général pour le moins chahuté, celui de la définition de la politique agricole commune.
Un rapport comme celui-ci est l'occasion d'adresser quelques messages à l'opinion publique.
Il est, par exemple, bon de rappeler que l'agriculture biologique est avant tout un mode de production qui répond à un cahier des charges qui réserve quelques subtilités. Il n'y a pas d'obligations de résultat si bien qu'on peut trouver des produits interdits en agriculture biologique dans les aliments mis sur le marché. Ce doit être le résultat de contaminations involontaires. Mais on peut également trouver des produits controversés sur la base du règlement européen lui-même, un règlement européen qui présente quelques faiblesses dans certains domaines, comme la transformation, avec la question des arômes notamment, ou le transport, en particulier celui des animaux. En ce qui concerne le règlement européen, il est très important de remarquer qu'il est compatible avec des modèles de développement du bio fort diversifiés, ce qui n'est pas anormal en soi mais peut susciter une certaine perplexité.
Deuxième rappel qu'il semble utile de faire : ce n'est sans doute pas pour les aliments que l'agriculture biologique produit ce qu'on appelle des externalités positives. Ses apports bénéficient plutôt aux milieux naturels, l'eau, l'air, les sols...
Troisième rappel : l'agriculture biologique c'est souvent une production très compliquée et très risquée. On décrit souvent la construction aéronautique comme étant un « sporty business ». Si l'on revient sur terre, on peut dire qu'à tous points de vue l'agriculture biologique est une production difficile et à hauts risques, Enfin, l'agriculture biologique c'est également une agriculture qui peut être plus vulnérable aux aléas climatiques ou environnementaux. Ces risques devraient être totalement pris en compte.
Enfin, je dirai qu'il s'agit également d'un mode de production controversé. Sur le plan physico-chimique, les données disponibles, certes encore trop peu développées, montrent plutôt une supériorité du bio tant pour les aliments, qui présentent des teneurs en résidus chimiques sensiblement inférieures à celles des produits de l'agriculture conventionnelle, que pour les milieux naturels. Mais il faut tenir compte d'autres éléments importants, à savoir la conciliation entre le bio et ses faibles rendements et les autres objectifs de la politique agricole dont la dignité est éminente. Nourrir les populations réclame, toutes choses égales par ailleurs, davantage de production et, si l'on baisse les rendements il faut augmenter l'occupation des terres. Il faut également tenir compte du processus de « biologisation » de l'agriculture dite conventionnelle qui appelle d'ores et déjà des moyens et sera de plus en plus exigeante de ce point de vue alors même que la contrainte budgétaire continuera de peser.
Ceci ayant été rappelé il ne faut pas négliger que l'agriculture biologique répond aussi, surtout dans les conditions actuelles de son développement, à des critères commerciaux, que les producteurs individuellement ne négligent pas et qu'une politique publique agricole ne peut ignorer. Favoriser l'émergence d'une offre de bio c'est nécessaire si l'on veut défendre la place de l'agriculture française, j'y reviendrai, mais cela demande certaines conditions dont le Gouvernement ne s'est pas suffisamment préoccupé.
Quelle est la situation de l'agriculture biologique en France ? D'un point de vue rétrospectif, on peut parler d'un décollage; d'un point de vue plus prospectif, on peut évoquer une ambition contrariée.
On trouve dans le rapport une diversité d'indicateurs concernant l'offre de bio qui montrent qu'après une longue période très hésitante, l'offre a démarré avec une expansion très nette à partir de 2015. Il faut toutefois relever que le bio c'est avant tout la viticulture et le modèle « bovin lait », c'est à dire des surfaces fourragères et de prairies permanentes. Ceci peut résulter en partie d'effets d'aubaine, j'y reviendrai. Pour les grandes cultures c'est beaucoup plus hésitant sauf pour celles qui se prêtent naturellement au bio du fait de leurs capacités organiques. Il n'est pas exclu qu'une partie des surfaces en bio soient destinées aux agro-carburants. Pour l'élevage viande c'est également assez difficile.
La France du bio c'est l'inverse de la France économique, c'est le bassin parisien qui est le désert français du bio. Sur la demande, le rythme de progression est également fort. Ceci est sans doute lié au fait que le bio a été intégré par les grands distributeurs. Ce n'est plus confidentiel.
Néanmoins, nous importons 30 % de notre consommation ce qui fait du développement du bio domestique un enjeu mais révèle également d'autres enjeux, en termes de contrôle, de loyauté de la concurrence, de développement de l'offre de produits transformés...Tous éléments qui ne sont pas pris assez au sérieux dans la politique actuelle.
Avec tout ça nous en sommes à 7,5 % de la surface agricole en bio dont 5 % de la SAU en phase de conversion. En prospective, cela fait que la moitié de l'objectif du programme Ambition bio 2022 a été atteint en 2018. L'objectif du programme Ambition bio 2022 ne sera pas atteint sauf à ce que le rythme des entrées en conversion atteigne un niveau tout à fait improbable. On peut dire que ce n'est pas grave, en estimant qu'il ne s'agissait avec l'objectif de 15 % que d'une de ces normes vaguement régulatrices qu'évoque la philosophie allemande. Ce n'est pas mon point de vue. Il est toujours grave d'envoyer des signaux déceptifs à la population et à une branche d'activité.
Mais, au-delà, il faut bien reconnaître qu'il y a de quoi s'interroger sur l'adoption de l'objectif d'occupation surfacique en question. Qu'on le veuille ou non ça ressemble un peu aux objectifs de la planification en pire par rapport aux pratiques anciennes de la planification à la française qui passait quand même par une analyse économique, puisqu'on semble ne s'être absolument pas fondé sur des évaluations ex ante solides. Autrement dit, nous voici aux prises avec un objectif purement communicationnel sans analyse technico-économique digne de ce nom que sa généalogie révèle d'ailleurs comme tel. Une composante non négligeable d'une telle politique a été négligée, le volet demande.
Ou plutôt on s'en est préoccupé à travers une mesure singulière, celle de fournir 20 % de l'offre de restauration hors domicile en bio. Cette mesure, qui est susceptible de créer des effets d'éviction forts sur les consommateurs individuels, même à demande inchangée de ces derniers, n'est pas financée.
Il faut ajouter deux considérations : d'une part, l'État a fixé un objectif alors qu'il ne dispose pas des moyens de son atteinte, ayant confié aux régions la gestion du FEADER qui le principal financeur du bio et n'ayant pas développé comme on le verra les financements nécessaires ; d'autre part, il est totalement peu optimal de procéder par un objectif global de mobilisation des sols sans disposer auparavant d'une analyse fine des implications de toutes sortes de cet objectif.
En toute hypothèse, nous tirons de tout ceci le constat que la définition des objectifs de la politique du bio mériterait d'être sérieusement réévaluée et qu'une politique vigoureuse d'accompagnement de la fonction de production nécessaire au succès du bio doit enfin être développée.
Sur le premier point, il ne s'agit pas d'une remise en cause radicale du projet même s'il est certain que le verdissement de l'agriculture conventionnelle exigera des moyens propres et peut être difficiles à concilier avec le projet bio. Il peut être utile de disposer d'une sorte d'idéal-type de la transition agro-écologique, mais il faut être pleinement conscient que ce modèle n'est pas en l'état des choses généralisable et il faut mieux situer le projet bio dans un environnement fin et dans les objectifs de la politique agricole. Tout ceci appelle à davantage de pilotage de proximité et à l'accompagnement systématique des initiatives individuelles sur un plan technico-économique. Quant à la fonction de production, il faut évidemment favoriser le progrès des rendements en bio, c'est à dire mettre davantage de capital technique en place mais aussi préserver l'indispensable accès des exploitants en bio à du travail rémunérateur pour les salariés mais qui n'obère pas totalement la compétitivité du bio à la française. Sans doute aussi serait-il utile d'adapter l'épargne de précaution à la situation des producteurs bio.
Avec le refus de la mesure de suramortissement fiscal proposée par le Sénat et avec la perspective de l'alourdissement du coût du travail saisonnier, le Gouvernement fait tout le contraire de ce qu'il faudrait. C'est comme si, affichant un objectif propre à lui gagner la sensibilité écologique, il faisait tout pour qu'il ne soit pas atteint.
Il y a évidemment une préoccupation mais elle porte sur un événement encore devant nous: celle de l'avenir de la politique de développement du bio dans la future PAC.
La deuxième observation, c'est que le développement de l'agriculture biologique a jusqu'à présent reposé à titre principal sur le pari que le marché en permettra l'essor. Ce pari est risqué et il est contestable au regard de l'équité et de l'efficacité.
Dans l'économie du bio actuel, les surprix jouent un rôle fondamental et premier, de loin, pour boucler ce que dans d'autres secteurs d'activité on appelle des « business plans ». Les pertes de rendements physiques sont compensées par des économies sur les consommations intermédiaires mais surtout par des prix supérieurs qui reposent principalement sur le consentement à payer des consommateurs.
À partir de là se pose une série de questions.
En premier lieu, la situation du marché bio présente un dilemme. Les prix incitent à l'offre mais découragent la demande. Si dans la situation actuelle de la demande les prix n'ont pas représenté un obstacle, l'extension de la demande se heurte à la contrainte de pouvoir d'achat des consommateurs.
En second lieu, la question de la durabilité des surprix se pose. L'extension de l'offre devrait à demande constante se traduire par une baisse des prix. La volatilité des prix sur certains produits bio commence d'ailleurs à s'accentuer.
Enfin il faut relever un problème d'acceptabilité sociale. Le bio n'est pas accessible à tous ; les consommateurs peuvent à bon droit estimer qu'ils payent le gros d'un tribut qui ne leur profite qu'en partie, les externalités positives sur l'environnement n'étant que peu financées par les bénéficiaires. Il n'est pas jusqu'aux suppléments de recettes fiscales engendrées par le bio à travers la TVA qui ne puissent être considérés comme indus par les consommateurs de produits bio.
Pour toutes ces raisons, auxquelles il convient d'ajouter la prise en compte de notre compétitivité-prix face aux produits étrangers, une politique ambitieuse de développement de la production biologique en France ne nous semble pas pouvoir être durablement assise sur des prix élevés.
Ce n'est ni durable, ce qui pose des problèmes de solidité des exploitations passées au bio sur des bases économiques fragiles, ni souhaitable.
Une partie sans doute importante de la production bio est ainsi à risques avec comme issue soit d'augmenter les subventions publiques, soit de sortir du bio, ce qui évidemment n'est pas satisfaisant. Par ailleurs, il est important de maintenir une progression de la demande.
L'obligation de proposer 20 % de produits bio dans la restauration collective hors domicile n'est pas une réponse satisfaisante à ce problème. On peut souscrire à cet objectif pour des tas de raisons mais si l'on poursuit un objectif consistant à préserver une croissance de la demande adressée aux producteurs sur les bases de surprix actuels, la mesure est moins acceptable. Elle exercera des effets d'éviction sur les consommateurs individuels et ne résout pas le problème de l'équité du financement. On peut au demeurant craindre que cette mesure puisse se traduire par des importations.
Il n'y pas énormément de leviers disponibles en réalité. Bien sûr les progrès de productivité sont un objectif-cible mais qu'il faut concilier avec le projet bio. On peut également souhaiter que la distribution, qui dégage des marges en valeur élevées sur le bio, baisse son taux de marge. C'est l'éternel problème du partage de la valeur ajoutée et il faut accélérer les progrès. Les organisations de producteurs doivent pouvoir exercer un plus fort pouvoir de marché. Et il est étonnant que l'observatoire des prix et des marges n'ait que très récemment compris qu'il fallait se saisir de cette question. Il est encore possible de jouer sur la fiscalité. La TVA sur un même produit est plus productive lorsqu'il est bio que lorsqu'il est issu de l'agriculture conventionnelle. L'État se comporte comme un passager clandestin dans cette affaire.
Enfin, il est possible d'assurer un financement plus cohérent de l'ambition bio, c'est-à-dire un financement par les concours publics, ce qui évidemment pose des problèmes budgétaires et ne saurait être mis en oeuvre sans que des engagements relatifs aux prix soient conclus.
Ceci fournit une transition pour exposer la situation des concours publics au bio.