Intervention de Yannick Botrel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 janvier 2020 à 10h00
Contrôle budgétaire — Financements publics consacrés à l'agriculture biologique - communication

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel, rapporteur spécial :

Notre troisième observation nous conduit à conclure à des problèmes considérables qu'il convient de surmonter au plus vite. Je ne reviens pas sur la vulnérabilité de l'extension de la production bio résultant de sa dépendance aux prix. Que ceux-ci baissent et un risque sérieux se concrétiserait pour les finances publiques.

Il faut également bien comprendre que les surprix ne suffisent pas si l'on veut atteindre les objectifs même prudents d'une mobilisation de 15 % de la SAU en bio. Cet objectif réclame que des productions pour lesquelles la chute des rendements est insusceptible d'être compensée par des prix se convertissent au bio. Il faut également financer des équipements collectifs qui hors financements publics ne sont pas à la portée des producteurs passés au bio.

La politique de développement de l'agriculture biologique mobilise des moyens budgétaires dont la détermination précise est hors d'atteinte. On peut parler à son propos d'une « politique sans carte d'identité budgétaire » ce qui est fort regrettable s'agissant d'une des priorités de notre politique agricole.

Le niveau de soutien annoncé dans le cadre du projet Ambition bio 2022 s'élève à 1,1 milliard d'euros à l'horizon 2022, soit autour de 270 millions d'euros par an.

La programmation des aides à l'agriculture biologique a été particulièrement déficiente et le projet Ambition bio 2022 n'est pas financé.

Les impasses de financement sont récurrentes.

Dans le passé, elles ont été couvertes dans des conditions très critiquables par redéploiement de crédits et par une forte diminution du taux de soutien aux exploitations.

Ce dernier processus devrait se poursuivre avec l'annonce de la fin du cofinancement par le ministère de l'agriculture des aides au maintien. Ce désengagement du ministère de l'agriculture laisse aux agences de l'eau le premier rôle dans le financement national de la politique pour l'agriculture biologique, mais au prix d'un alourdissement de la fiscalité pesant sur les agriculteurs et d'un redéploiement des interventions des agences aux dépens des projets traditionnels.

Malgré cela les moyens envisagés pour soutenir l'expansion du bio ne sont pas cohérents avec des objectifs qui passent par la conversion au bio d'exploitations qui, en l'état des barèmes, n'y trouveront certainement pas leur compte.

Il faut, en effet, rappeler un point fondamental : les concours publics sont déterminés dans le cadre d'un barème à l'hectare qui est censé compenser les surcoûts ou les pertes subies du fait de la conversion à l'agriculture biologique. Il ne s'agit pas du tout de rémunérer les apports environnementaux des exploitants mais de les dédommager. C'est du moins le cadre théorique.

Dans les faits, il en va autrement pour deux raisons.

D'une part, les barèmes surfaciques ne garantissent pas qu'il en soit ainsi. Ils sont établis sur des bases forfaitaires alors que les difficultés que suppose le passage au bio sont très variables. Relevons au passage que les barèmes sont uniformes dans l'Union européenne, ce qui pose un problème de distorsion de concurrence.

D'autre part, alors que les barèmes appliqués, hors la modulation souhaitable en fonction des circonstances technico-économiques, devraient être identiques pour toutes les exploitations, il existe en réalité de fortes modulations, mais qui ne résultent que de contraintes budgétaires. Les régions ont programmé des budgets pour le bio très différents qui ne traduisent pas seulement l'étendue des surfaces susceptibles de passer au bio mais un accent plus ou moins fort sur le projet. Dans ces conditions, elles ont été conduites à appliquer des modulations à travers le plafonnement des aides par exploitation. Ces modulations, qui jouent sur le cofinancement apporté par l'État, se traduisent par une grande diversité des taux de soutien par hectare.

Si l'on ajoute que la suspension du cofinancement des aides au maintien par le ministère de l'agriculture doit se lire dans un contexte où les agences de l'eau de leur côté poursuivent leur soutien, on aboutit à des taux unitaires d'aide aux bio extrêmement dispersés sans justification autre que budgétaire. Tout ceci crée des problèmes de cohérence de la déclinaison du projet bio sans compter les difficultés au regard de l'égalité des opérateurs et à celui de la concurrence.

Quant à l'exécution, il faut mentionner que les aides bio ont été les plus impactées par les dysfonctionnements de la chaîne des paiements agricoles sur lesquels nous avons réalisé un rapport récemment, d'autant que les apports de trésorerie remboursables mis en place n'ont que fort mal joué pour les exploitants en bio. L'État a en quelque sorte laissé les distributeurs prendre le relais et l'on imagine le pouvoir de négociation qui s'en est suivi.

Tout n'est du reste pas réglé et il ne serait pas étonnant que des aides soient rappelées au titre des corrections financières même si les aides au bio sont les plus difficiles à obtenir apparemment d'entre les interventions publiques au bénéfice des agriculteurs.

Par ailleurs, force est de reconnaître que le système est très peu flexible. La modulation une fois mise en place par les régions, il s'en déduit un taux d'aide en fonction d'un barème nuancé en fonction des productions. Si l'exploitant change de production pour choisir une spécialisation pour laquelle le tarif unitaire de l'aide est supérieur, cela ne change rien au plafond d'aide.

Enfin, force est de constater que la répétition des aides en cas de renoncement au projet bio qui est prévue fait l'objet d'une application sur laquelle plane le mystère et qui, en toute hypothèse, obéit à un régime inadapté.

En conclusion, il existe un besoin de réaménagements très profonds mais une inconnue : l'intégration de la transition agro-écologique dans la future PAC.

Quatrième observation : le pilotage de la politique en faveur de l'agriculture biologique manque de solidité et doit être significativement renforcé. C'est un euphémisme.

Au demeurant, il règne dans les instances de pilotage du bio une ambiance assez lourde marquée par le retrait de syndicats professionnels importants des instances de gouvernance et par des difficultés récurrentes à les réunir.

Les acteurs impliqués sont très nombreux et la coordination entre eux est déficiente. C'est tout particulièrement le cas s'agissant des instances de certification et des instances chargées du paiement. Vous constaterez en lisant le rapport que la gouvernance du projet atteint un degré de complexité proprement phénoménale. Des simplifications s'imposent, comme souvent dans le domaine agricole, mais avec des difficultés majeures qui tiennent à la question de la représentation des professionnels, qui ne manquent pas de la défendre et sont d'autant plus écoutés qu'on tend à se délester sur eux de responsabilités opérationnelles ; le degré de décentralisation qui pour présenter des avantages assez peu contestables, et assez peu contestés dans cette assemblée, pose, malgré tout, la question de l'égalité de traitement. Cette dernière a été suffisamment exposée lors de la présentation des problèmes de programmation et de gestion des aides financières aux exploitants en bio.

Quant aux principales entités de la gouvernance du bio, on peut dire pour faire simple que l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) qui exerce des missions fondamentales pour la crédibilité du bio a fait quelques progrès notables mais reste encore trop peu dédié au bio. Il serait souhaitable que les missions de l'INAO soient complétées par l'attribution d'une responsabilité de surveillance d'un problème important, celui de la mobilisation du foncier en bio dans la mesure où la capacité des sols à accueillir du bio devrait être plus systématiquement recherchée. En outre, il serait utile que l'INAO renforce les moyens qu'il affecte à l'agriculture biologique pour pouvoir mieux défendre la marque, mieux accompagner les évolutions réglementaires, et mieux superviser les conditions de la certification. L'allocation de moyens vers le bio est encore faible, malgré l'importance des missions de l'INAO.

De son côté, l'agence Bio, qui est un groupement d'intérêt public très marqué par l'influence des professionnels privés, exerce des missions composites, pour lesquelles l'Agence bio ne dispose que d'une faible capacité. Elle a encore moins de légitimité à gérer des crédits qui sont presque exclusivement publics. Enfin, son rôle de gestionnaire du fonds avenir bio renforce ces aspérités puisqu'il s'agit essentiellement d'argent public. Le récent contrat d'objectifs et de performance de l'agence bio a appelé l'attention sur la nécessité de prévenir des conflits d'intérêt mais le sentiment général est qu'il sera difficile d'y parvenir et que les engagements du fonds qui viennent soutenir des financements privés mériteraient un audit sérieux. La question du maintien de l'agence bio paraît clairement devoir être posée au vu de cet ensemble de constats.

L'un des problèmes majeurs du pilotage du bio est d'assurer l'intégrité de la réputation des produits de l'agriculture biologique, qui, si elle venait à être altérée, pourrait entraîner l'affaissement du projet et minerait certainement le consentement à payer des consommateurs sur lequel repose les surprix qui sont nécessaires à l'économie du bio.

Tout ceci repose sur des obligations très strictes de contrôle définies par le règlement européen. L'INAO a la responsabilité ultime des contrôles mais il pratique par des délégations à des organismes certificateurs.

Nous avons examiné leurs pratiques et nous avons pu identifier une assez très forte hétérogénéité au regard de plusieurs ratios : le chiffre d'affaires par employé, les contrôles par employé, les infractions manifestes avec suite. Il existe des hétérogénéités qui traduisent des pratiques commerciales et opérationnelles sans unité et sans justification évidente de l'hétérogénéité observée.

Les organismes certificateurs (OC) emploient davantage de monde mais il faut qu'ils aient fait des progrès de productivité conséquents pour qu'ils aient pu à eux seuls absorber l'amplification des besoins. Ainsi, il n'est pas du tout sûr que les organismes certificateurs ne sous-traitent pas une partie plus ou moins significative de leur activité à des entités ne faisant pas l'objet d'une certification de l'INAO. C'est un problème qu'il faut résoudre.

Il existe également un problème sérieux avec les modalités de rémunération des organismes certificateurs directement et sans encadrement par les opérateurs engagés en bio. Cela ne favorise pas l'indépendance des contrôles par rapport à des préoccupations commerciales.

Quant aux contrôles de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ils sont assez peu nombreux mais ils révèlent que des produits se retrouvent sur le marché alors qu'ils ne le devraient pas. La traçabilité des produits bio n'est que médiocrement garantie et en ce qui concerne les importations, très massives en bio. Malgré un régime strict de contrôle, elles sont très mal suivies en réalité, faisant l'objet de régimes trop permissifs pour des raisons connues par ailleurs.

Enfin, juste un dernier mot sur la diffusion des innovations si nécessaires à la réussite du projet bio. L'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB) qui devait en être le pivot sort à peine d'un redressement judiciaire et ne dispose pas des financements qui lui permettraient de jouer son rôle. Le CASDAR n'a pas assuré ce rôle de financeur et la réforme dont il est l'objet va aggraver la situation. L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) vient tout juste de formaliser un programme de recherche.

Il est temps de structurer une stratégie de progrès qui fait défaut.

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