Je vous remercie pour ce travail d'utilité publique que vous menez dans un moment crucial pour la République française. Le monde traverse une période très compliquée, tant sur le plan sécuritaire que climatique. J'estime que les questions démocratique et climatique sont à placer au même niveau.
Je suis arrivé en France en novembre 1999. J'avais alors 21 ans et je venais poursuivre mes études. J'ai été approché par les Frères musulmans au Maroc dès l'âge de 13 ans, un âge où l'on est facilement entraîné par les activités proposées à une jeunesse laissée pour compte. À l'époque, il n'y avait que la famille, l'école, la mosquée et la rue. Le week-end, nous étions dans la rue. Je ne suis pas issu d'une famille riche. Mon père était imprimeur, puis, après un accident de la vie, un licenciement abusif, il est devenu chauffeur de taxi à Casablanca.
Dans ce contexte, des gens ont cru intéressant de proposer à cette jeunesse des activités supposées les aider à ne pas tomber dans le décrochage scolaire ou la drogue. Il s'agissait de sport, de camps de vacances. Tout était gratuit. Cela commençait par un contact convivial dans un match, puis on nous proposait de boire ou de manger quelque chose, pour enfin nous inviter dans une mosquée du quartier.
Les moyens d'approcher les cibles de l'islamisme sont divers : donner un peu d'argent, acheter des médicaments, un pantalon... Pour quelqu'un qui n'a jamais reçu de cadeau de sa vie, cela représente beaucoup.
Plus tard, on me dira que tous les jeunes qui sont en train de dealer de la drogue sont loin du droit chemin, de la voie du prophète, de l'exemple des compagnons. Les personnes qui me prennent en charge semblent avoir réussi socialement, ce sont des instituteurs, des commerçants.
Une fois cet attachement sentimental établi, on invite l'enfant à apprendre quelques versets du Coran. Chaque semaine, l'interprétation des textes prend plus de temps que la lecture des versets. Dans chaque quartier, des cellules se forment ainsi autour d'un instructeur et de quelques enfants. Puis nous partons en vacances au bord de la mer, gratuitement. Imaginez la joie d'un enfant qui n'a jamais quitté Casablanca !
La deuxième année, on nous apprend que le prophète a dit que celui qui guide quelqu'un vers le droit chemin aura une rétribution. On nous demande alors d'inviter un ami, de préférence un élève brillant.
La troisième année, on cible certains enfants de manière beaucoup plus assidue. On leur propose la lecture de certains livres, notamment de Qaradawi et d'Hassan al-Banna.
En 1996, la confrérie décide de proposer à quelques-uns - trois ou quatre sur une cinquantaine de personnes - de lui prêter allégeance. On flatte mon ego, on me propose de canaliser mon énergie dans un cadre un peu plus organisé. Tel fut le processus d'endoctrinement, en tout cas pour moi.
On prête allégeance comme dans une société secrète. Ce sont les Frères musulmans qui vous choisissent au terme d'un processus de cooptation. On est alors relié à une transcendance, à Dieu lui-même. Tous les droits et devoirs découlent de ce lien à Dieu. Parmi les piliers de l'allégeance, on compte l'obéissance, le djihad, l'effort. On exécute les ordres, sans chercher d'excuse ou de prétexte.
En outre, cette allégeance a pour conséquence de ne plus se sentir lié à sa patrie - pour moi à la nation marocaine. On appartient à quelque chose qui la transcende : l'Oumma islamique. Tant que je ne reçois pas d'ordre de ma direction, je n'ai aucune opinion sur les actions entreprises, ou les propos tenus par le roi du Maroc. Mais, lorsque le guide-suprême des Frères musulmans donne un ordre, même si celui-ci se trouve dans un autre pays comme l'Égypte, le Qatar ou encore en Turquie, sa parole est sacrée.
Je me souviens qu'en 1997/1998, Laurent Gerra devait se produire à Casablanca. Je ne le connaissais pas. Toutefois nous avons reçu l'ordre de boycotter son spectacle car les responsables des Frères musulmans au Maroc nous disaient qu'il est « juif et sioniste qui défend Israël ». Nous avons empêché l'organisation de ce spectacle. Nous avons exécuté cet ordre, sans réfléchir.
J'ai prêté ma première allégeance aux Frères musulmans marocains en 1996. Je suis arrivé en France en 1999, et moins d'une semaine après mon arrivée, j'ai été approché par les Frères musulmans, à savoir l'UOIF. De manière très concrète, du Maroc je suis arrivé en bus qui m'a posé à côté de la Gare Lille-Flandres le samedi soir. Le vendredi suivant j'ai fait la connaissance des Frères musulmans locaux dans une salle de prière qu'ils tenaient à la Cité scientifique à Villeneuve d'Ascq, au coeur de l'Université de Lille 1. L'imam était frère musulman. La connexion était faite. Je n'étais plus dépaysé.