Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 4 février 2020 à 14h30
Droits des usagers des transports en cas de grève — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’épisode de grève d’une durée sans précédent dont notre pays sort à peine est venu rappeler que l’absence de certains services publics, notamment en matière de transports, peut avoir des conséquences importantes, sociales, économiques, environnementales ou de sécurité, pour l’ensemble de la société. Elle a, plus largement, privé d’effectivité la liberté d’aller et venir sur le territoire.

La paralysie des transports publics a entraîné des difficultés parfois considérables pour nos concitoyens habitant loin de leur lieu de travail. Ceux qui en ont les moyens ont dû assumer des frais d’hébergement ou de garde d’enfant. Mais les personnes les plus affectées ont été les plus fragiles, celles qui ne pouvaient pas se passer d’aller travailler, qui n’ont pas pu se permettre de prendre des jours de congé ou qui n’ont pas d’autre solution de transport que le train, le bus, le métro. Ce sont d’abord à ces personnes que nous devons penser lorsque nous légiférons !

Cette situation s’est traduite par un regain du recours aux transports individuels, à l’heure où la promotion des transports collectifs apparaît comme une réponse essentielle aux enjeux environnementaux. On peut craindre que beaucoup, parmi ceux qui se sont reportés sur la voiture individuelle, gardent désormais ce mode de transport et ne reviennent pas aux transports en commun.

Si la situation s’est aujourd’hui nettement améliorée, cette expérience encore bien présente dans nos mémoires doit nous pousser à nous interroger sur les moyens de garantir la continuité du service public et, plus largement, d’assurer la couverture des besoins essentiels de la population.

Si le droit de grève est un droit constitutionnel, il n’est pas un droit absolu, et il n’est pas supérieur aux autres droits et principes de valeur constitutionnelle. C’est ce qu’a jugé avec constance le Conseil constitutionnel, estimant que le droit de grève pouvait être limité afin d’assurer l’équilibre entre son respect et celui d’autres principes, comme la continuité du service public, ou, plus généralement, afin de sauvegarder l’intérêt général.

Le législateur a ainsi pu prévoir des aménagements du droit de grève. Dans le secteur public, il a prévu une obligation de préavis et a même privé certaines catégories d’agents du droit de grève.

Dans le même sens, la loi prévoit d’ores et déjà la possibilité de requérir des personnels grévistes dans certains cas précis : cette possibilité est ouverte au Gouvernement, en vue de préserver la sécurité nationale, et au préfet, lorsqu’une atteinte à l’ordre public l’exige. Ces possibilités de réquisition concernent tant des agents publics que des salariés d’entreprises privées, et dépassent même le seul cas du service public.

Dans le secteur des transports publics, la loi du 21 août 2007 a prévu un encadrement spécifique. Ainsi, le dépôt d’un préavis de grève doit être précédé du déclenchement d’une procédure d’alarme sociale, et les salariés souhaitant se mettre en grève sont tenus de le déclarer à leur employeur au moins quarante-huit heures à l’avance. Ces dispositions ont permis d’améliorer le dialogue social et de donner aux usagers une information fiable sur le service assuré.

Pour autant, la loi de 2007 rencontre ses limites lorsqu’un conflit trouve son origine dans des décisions sur lesquelles l’employeur n’a pas de prise.

En outre, si elle définit différents niveaux de service en fonction de la perturbation, elle ne permet pas d’assurer un service minimal à même de couvrir les besoins essentiels de la population en cas de grève très suivie.

La proposition de loi déposée par notre collègue Bruno Retailleau et cosignée par de nombreux sénateurs de différents groupes s’inscrit dans le prolongement de la loi de 2007, mais cherche à modifier la logique qui la guidait. Il s’agit non plus de partir du service qui peut être assuré compte tenu du nombre de grévistes, mais bien de partir des besoins essentiels de la population et de prévoir les moyens d’assurer la couverture de ces besoins.

Le texte crée un droit pour les usagers à un service minimum de transport en cas de grève et ne limite le droit de grève que dans la mesure où cela est nécessaire pour garantir ce service minimum.

La commission des affaires sociales, partageant largement cet objectif, a adopté ce texte en lui apportant plusieurs modifications destinées à sécuriser ses dispositions.

L’article 3 de la proposition de loi, qui en constitue le cœur, fixait le niveau minimal de service à un tiers du service normal, concentré aux heures de pointe, ce niveau pouvant être modulé par l’autorité organisatrice de transports. Les entreprises de transport auraient été tenues de requérir les personnels nécessaires pour assurer ce service minimal, sous peine d’amende administrative.

Sur ma proposition, la commission a adopté un amendement visant à assurer la constitutionnalité et le caractère opérant du dispositif, tout en permettant d’atteindre l’objectif des auteurs du texte.

Il a semblé à la commission que la fixation du niveau minimal à un tiers du service normal n’était pas une référence nécessaire. Les réalités ne sont, en effet, pas les mêmes d’un territoire à l’autre, selon qu’il existe ou non des alternatives aux transports publics. Lorsque l’offre de transports publics est diversifiée, par exemple en zone urbaine, il convient d’adopter une approche globale.

La commission a en outre relevé que l’application de la règle de l’arrondi à l’entier supérieur conduirait en pratique, lorsqu’il n’existe que quelques dessertes par jour, à un niveau de service nettement supérieur à un tiers du service normal.

Dès lors, restreindre le droit de grève sans l’adapter aux besoins réels de la population pourrait constituer une atteinte excessive à un droit de valeur constitutionnelle. Une telle proposition encourrait très probablement la censure du Conseil constitutionnel.

L’article 3, tel que récrit par la commission, laisse donc aux autorités organisatrices de transports, c’est-à-dire, le plus souvent, aux régions ou aux intercommunalités, le soin de définir au cas par cas le niveau minimal de service nécessaire. Cette définition prendrait la forme d’une délibération, susceptible d’être déférée devant le juge administratif.

Par hypothèse, une situation dans laquelle ce niveau minimal ne serait pas assuré constituerait une atteinte à la satisfaction des besoins de la population et autoriserait une limitation du droit de grève.

Toutefois, considérant que la population a une capacité d’adaptation, et dans le souci d’apporter au droit de grève une limitation proportionnée, la commission a prévu un délai de carence de trois jours, à l’issue duquel l’autorité organisatrice de transports pourrait enjoindre aux entreprises concernées de requérir les personnels nécessaires. Un salarié qui refuserait de se conformer à l’ordre de son employeur formulé dans ce cadre ferait alors un usage illicite de son droit de grève et serait donc passible de sanctions disciplinaires.

L’article 6 prévoit des dispositions relatives au remboursement des usagers qui n’ont pas pu voyager. Les transporteurs proposent bien souvent un échange ou un avoir, alors que les usagers sont en droit d’attendre un remboursement, de préférence sans avoir à en faire la demande. La commission a adopté cet article en lui apportant des modifications rédactionnelles.

Le texte étend par ailleurs aux liaisons maritimes de desserte des îles françaises les dispositions de la loi de 2007 et celles introduites par la proposition de loi. La commission a complété ces dispositions pour que s’appliquent à ces liaisons l’ensemble des dispositions du code des transports relatives à la prévention des conflits collectifs et à l’encadrement du droit de grève.

L’article 8 concerne le secteur aérien. Sur ma proposition, la commission a adopté un amendement tendant à limiter l’application du dispositif aux seules lignes sous obligation de service public, soit une douzaine de lignes en France continentale ainsi que certaines liaisons entre la Corse et le continent et entre la métropole et les outre-mer. Elle a ainsi établi une symétrie avec les dispositions de l’article 3, qui ne visent que les services publics de transport terrestre, et mis le dispositif en conformité avec le droit européen qui régit le secteur.

La commission a par ailleurs renforcé la possibilité pour les compagnies aériennes de réorganiser le service en utilisant les déclarations individuelles d’intention de faire grève, la Cour de cassation ayant jugé que le droit actuel ne le permettait pas.

La commission a également complété cette proposition de loi par des dispositions de nature à lutter contre certains abus constatés en matière d’exercice du droit de grève qui pénalisent indûment les usagers.

Si la procédure d’alarme sociale introduite par la loi de 2007 a permis d’améliorer le dialogue social et de réduire la conflictualité dans les transports publics, on observe pourtant des stratégies visant à contourner cette obligation de négociation et même l’obligation de préavis. Il n’est pas rare que des organisations syndicales déposent des préavis très longs ou illimités sur des sujets très larges, comme les salaires ou les conditions de travail. Ces préavis demeurent en vigueur même si le conflit a cessé, si bien qu’à tout moment des salariés peuvent se mettre en grève en n’ayant à respecter que le délai de prévenance de quarante-huit heures. Il s’agit là d’un contournement manifeste de la loi de 2007.

Aux termes de l’article 9 introduit par la commission, un préavis de grève pourra être déclaré caduc par l’entreprise dès lors qu’il n’aura été suivi par aucun salarié pendant une période de cinq jours. Cette mesure n’entrave pas la liberté des organisations syndicales, qui pourront toujours appeler à la grève dès lors qu’elles l’estimeront nécessaire, en respectant les règles.

La commission a également ajouté un article 10 visant à lutter contre les grèves de très courte durée, dites « de 59 minutes », qui désorganisent fortement les réseaux de transport. Un conducteur de bus ou de tramway qui a décidé de se mettre en grève pendant une heure au milieu de son service oblige son employeur à le remplacer pour l’intégralité de ce service, sans qu’il soit nécessairement possible de le réaffecter lorsque sa grève prend fin.

Il apparaît logique d’étendre aux entreprises chargées d’un service public de transport la possibilité d’imposer à leurs salariés de faire grève du début à la fin de leur service, possibilité déjà prévue, pour les collectivités territoriales, par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Voilà, mes chers collègues, le sens des modifications que nous avons apportées à la proposition de loi. Nous en avons conservé tous les objectifs et n’en avons modifié les contours, avec l’accord de ses auteurs, que pour sécuriser ses dispositions. La commission des affaires sociales vous demande de l’adopter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion