Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Réunion du 4 février 2020 à 14h30
Droits des usagers des transports en cas de grève — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Jean-Baptiste Djebbari :

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, entre le 5 décembre et le 17 janvier derniers, les Françaises et les Français ont subi six semaines d’une grève de grande ampleur dans les transports, notamment en Île-de-France. Cette grève a eu des conséquences importantes pour bon nombre de nos compatriotes, qu’ils soient salariés, étudiants ou retraités.

L’allongement des temps de transport a conduit beaucoup de Français à se lever très tôt le matin et à rentrer chez eux tard le soir pour respecter au mieux leurs horaires de travail. De nombreuses entreprises ont vu leur activité perturbée et des interventions médicales ou des examens universitaires ont dû être aménagés ou reportés.

La continuité du service de transport de voyageurs est essentielle à la vie quotidienne des Français et à l’activité économique du pays. Je comprends donc que le Sénat ait souhaité, par la voix du président du groupe majoritaire, Bruno Retailleau, faire évoluer de manière substantielle le cadre juridique dans lequel s’exerce le droit de grève dans les transports publics, en instaurant une véritable garantie de service minimum.

Je peux même dire que je partage l’objectif ultime des auteurs du texte, qui est d’assurer la continuité du service public et de permettre l’exercice dans les faits du « droit à la mobilité », ce droit que nous avons choisi d’inscrire, il y a peu, en ouverture du code des transports et dont nous souhaitons qu’il soit effectif pour tous, au quotidien, dans tous les territoires.

Dans le même temps, le Gouvernement est profondément attaché au respect du droit de grève, constitutionnellement garanti par le Préambule de la Constitution de 1946. Vous l’avez dit, monsieur Retailleau : il revient au législateur d’accomplir la tâche difficile de conciliation de ce droit avec le principe de continuité du service public.

La loi du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public présente déjà, en la matière, des avancées importantes.

Elle impose notamment des procédures de négociation en amont, de manière à prévenir les conflits, et crée, pour certains salariés, une obligation de déclaration préalable de leur intention de faire grève. Elle a ainsi facilité l’organisation des services en cas de perturbations prévisibles, au regard de priorités définies par les autorités organisatrices de la mobilité. Elle a en outre garanti aux usagers un certain nombre de droits, du droit à une information de qualité à celui de bénéficier, le cas échéant, du remboursement de leurs titres de transport.

La loi de 2007, complétée par celle du 19 mars 2012 relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers, issue d’une proposition de loi de M. le député Éric Diard, a permis de réduire considérablement l’impact des mouvements sociaux dans les transports.

Pour autant, l’épisode de ces derniers mois met en lumière les limites de notre cadre actuel, et il est légitime que la représentation nationale se saisisse du sujet.

Pour aller plus loin, il me semble toutefois indispensable de disposer d’une analyse juridique approfondie et de se laisser le temps de la concertation avec les parties concernées. C’est indispensable, car l’instauration d’un service minimum dans les transports implique de concilier plusieurs objectifs de valeur constitutionnelle. Or la rédaction actuelle de la proposition de loi me semble fragile sur le plan juridique et présente un risque réel de censure par le juge constitutionnel.

Par exemple, l’absence de tout plafond dans la fixation du niveau de service minimal expose la définition même de ce minimum à une insécurité juridique. De la même manière, confier aux entreprises le soin de réquisitionner les salariés sans leur conférer explicitement de pouvoir de réquisition me paraît insécurisant sur le plan du droit.

Dans ces conditions, l’encadrement du recours au service minimum par les autorités organisatrices apparaît insuffisant pour garantir la constitutionnalité du dispositif.

Les questions juridiques sont donc nombreuses et méritent d’être approfondies au-delà du travail de grande qualité accompli par Mme la rapporteure Pascale Gruny. Il convient également de progresser dans l’articulation avec les dispositions existantes, notamment celles de la loi de 2007.

Il me semble en outre nécessaire de prendre le temps de la concertation sociale. La grève qui bloquait les transports collectifs s’est arrêtée courant janvier et le contexte commande désormais l’apaisement des relations avec le corps social des entreprises concernées.

Partageant toutefois l’esprit qui vous anime, mesdames, messieurs les sénateurs, et puisque le Gouvernement doit sécuriser le dispositif avant de pouvoir envisager de l’inscrire dans notre droit, je propose de lancer dans les prochaines semaines une mission sur ce thème. Pilotée par un juriste éminent qui pourrait être issu du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, celle-ci devra faire des propositions sous deux mois, afin que nous en puissions en disposer pour la suite du débat parlementaire. Cette mission portera sur les conditions de l’installation d’un service minimum garanti dans les transports, mais également sur les deux autres points que vous soulevez au travers de votre proposition de loi : les préavis illimités, d’une part, et, d’autre part, les grèves de très courte durée, dites « grèves de 59 minutes », qui, nous le savons, perturbent gravement l’organisation du service. Ses conclusions nous permettront d’appréhender le sujet de manière sécurisée et de travailler à un dispositif qui devra être à la fois constitutionnel et opérationnel.

Sur un sujet aussi sensible, qui touche à plusieurs libertés fondamentales, nous nous accorderons sans doute pour dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne pouvons légiférer que la main tremblante.

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