Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 4 février 2020 à 14h30
Droits des usagers des transports en cas de grève — Discussion générale

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui a été déposée le 2 décembre, au début d’un mouvement d’ampleur inédite dans les transports contre le projet de réforme des retraites.

Cette proposition de loi est incontestablement une proposition d’affichage politique, un petit coup de pied de l’âne aux syndicats qui préparaient une journée d’action pour le 5 décembre dernier, et une manière à mon sens peu délicate d’anticiper, voire d’attiser, des conflits d’intérêts divergents entre les grévistes et les usagers.

Par ailleurs, vous avez sans doute observé, comme moi, que si les usagers, dont les témoignages ont été recueillis quasi quotidiennement par les médias tout au long du mouvement sur les quais des gares et du métro, ont accueilli avec un soulagement non dissimulé le retour des trains et des métros à la circulation, peu d’entre eux se sont laissés aller jusqu’à remettre le droit de grève en question.

C’est pourtant ce que les auteurs de cette proposition de loi n’hésitent pas à faire. En effet, celle-ci aurait tout aussi bien pu s’intituler « proposition de loi pour limiter le droit de grève dans les transports par la réquisition des personnels » : cela aurait été assez conforme à son objet, car le cœur de ce texte est un transfert et un élargissement du droit de réquisition.

La proposition de loi opère plusieurs ruptures importantes avec le droit positif.

Rappelons que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, que le législateur, ainsi que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, a la faculté d’encadrer pour le concilier avec un autre principe constitutionnel : la sauvegarde de l’intérêt général.

Ce souci de conciliation entre deux principes pouvant se contrarier a déjà conduit à un encadrement du droit de grève, qui peut aller parfois jusqu’à l’interdiction de ce droit, lorsque la grève porte atteinte aux besoins essentiels du pays. Ces restrictions légales sont précises et visent à protéger l’ordre public.

Le code de la santé, par exemple, prévoit que, pour faire face à un afflux de patients ou de victimes, ou si la situation sanitaire le justifie, le représentant de l’État peut requérir toute personne nécessaire. Aujourd’hui, au moment même où nous parlons, le préfet d’Île-de-France a requis, en vue d’assurer un service minimum, les entreprises d’incinération de déchets. Vous aurez en effet observé que la situation portait atteinte à l’ordre public.

Deux critères peuvent justifier une telle réquisition : la préservation de l’ordre public et la réponse à une urgence ou à une situation de crise. Personne ne conteste que la grève occasionne de nombreux désagréments aux usagers. Mais elle ne crée ni un trouble à l’ordre un trouble public ni une situation de crise. Nous ne sommes pas allés jusque-là !

Votre proposition d’étendre à des entreprises privées, nombreuses dans les transports, un droit de réquisition qui est aujourd’hui une prérogative de l’État par l’intermédiaire des préfets vise, en fait, à privatiser le droit de réquisition. Cette privatisation est plus qu’un glissement, c’est une dérive, et une dérive grave, car le droit de réquisition doit demeurer strictement régalien.

L’article 3 fait peser sur les entreprises de transport une obligation de service minimum, assortie de pénalités financières en cas d’impossibilité d’atteindre cette obligation de résultat, sans qu’il soit dit comment ces entreprises pourront faire respecter cette obligation.

Vous prévoyez une sanction disciplinaire. Pourtant, vous savez tous, sans doute, que la Cour de cassation a déclaré en 2009 qu’un gréviste ne pouvait pas être sanctionné en raison de son refus d’obtempérer à une réquisition.

Quelles seraient les conséquences sur le droit du licenciement, sur les travailleurs à statut, les salariés de droit privé, le code du travail… ? On ne sait pas ! Tout cela n’est pas très sérieux et prouve, à mon sens, que cette proposition de loi est d’abord un texte de propagande politique

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