Notre commission a eu l'occasion à plusieurs reprises d'évoquer ce sujet important, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances et de l'évaluation du montant de la contribution française au budget européen, dont notre collègue Patrice Joly est rapporteur spécial. L'adoption du prochain cadre financier fixera les plafonds de dépenses annuels de l'Union européenne et déterminera l'évolution du montant de notre contribution nationale pour les sept prochaines années, ainsi que le volume des dépenses européennes dont notre pays pourrait bénéficier.
Comme vous le savez, il y a maintenant plus de dix-huit mois, en mai 2018, la Commission européenne a présenté ses propositions relatives au prochain cadre financier, ouvrant ainsi le bal des négociations entre les États membres. L'exercice est difficile, car la procédure d'adoption requiert l'unanimité des États membres au Conseil. Ces négociations ne sont en réalité que le premier « round », car il nous faudra ensuite adopter le volet « ressources » de l'Union qui, contrairement au volet « dépenses », devra être ratifié par l'ensemble des États membres, et prendra en France la forme d'un projet de loi d'approbation.
La Commission européenne a proposé un budget pour la période 2021-2027 s'élevant à 1 135 milliards d'euros en crédits d'engagement, ce qui correspond à 1,11 % du revenu national brut (RNB) de l'Union. Afin de comparer ce montant au volume de l'actuel cadre financier pluriannuel, il est nécessaire de neutraliser la participation du Royaume-Uni et les modifications de l'architecture budgétaire proposées. Sous ces réserves méthodologiques, en euros constants de 2018, c'est-à-dire corrigés de l'inflation, et en crédits d'engagement, le volume proposé par la Commission européenne est supérieur de 5 % à l'actuel cadre financier pluriannuel.
En réalité, cette légère progression masque de grandes disparités entre les politiques de l'Union européenne. En effet, la Commission européenne a souhaité renforcer les crédits alloués aux « nouvelles priorités », telles que la recherche, la sécurité, le contrôle des frontières ou encore Erasmus, dont les crédits d'engagement augmentent respectivement de 30 %, 23 %, 207 % et 92 %. La France souscrit au financement de ces priorités qui visent à répondre aux défis de l'Union européenne.
En revanche, la Commission européenne a proposé d'importantes coupes budgétaires pour les politiques traditionnelles, à savoir la politique agricole commune (PAC), la politique maritime et la politique de cohésion, qui voient leurs crédits d'engagement diminuer respectivement de 15 % et de 10 %.
Dans quelle mesure ces réductions affecteraient-elles la France si les propositions de la Commission européenne étaient adoptées sans modification ? La direction du budget nous a indiqué que l'enveloppe allouée à la France au titre de la politique de cohésion serait de 16 milliards d'euros, soit une réduction de 5 % en euros constants. La France recevrait 46,6 milliards d'euros au titre du premier pilier de la PAC, soit une réduction de 8,6 %, et une enveloppe de 7,5 milliards d'euros pour le second pilier, soit une baisse de 12 %. Il convient de souligner l'importance de ces réductions budgétaires.
Par ailleurs, la Commission européenne a formulé plusieurs propositions visant à introduire un panier de nouvelles ressources propres, composé d'une fraction de 20 % des recettes du marché d'échange des quotas carbone, une contribution de 3 % sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS), et d'une contribution calculée sur la quantité d'emballages plastiques non recyclés par les États membres.
À la suite de mes échanges avec la direction du budget, je souhaiterais formuler deux observations quant à ce panier de nouvelles ressources. D'une part, les recettes potentielles issues de ces nouvelles ressources ne sont pas réellement de nature à réduire la part des contributions nationales des États membres. Par exemple, elles pourraient ne rapporter que 3 milliards d'euros environ par an pour les quotas carbone. La mise en oeuvre d'ACCIS n'a pas fait l'objet d'un chiffrage précis, compte tenu des difficultés rencontrées pour sa mise en oeuvre depuis près de dix ans. D'autre part, ces ressources ne constitueraient pas réellement de « l'argent frais », au sens de ressource supplémentaire. Les recettes issues des quotas carbone sont aujourd'hui affectées aux budgets nationaux : il s'agirait donc uniquement d'une réaffectation au profit de l'Union européenne. De la même façon, la ressource « plastique » ne porte pas bien son nom : il s'agit en réalité de moduler les contributions nationales en fonction du taux de recyclage de chaque État membre.
Toutefois, ces propositions n'en demeurent pas moins intéressantes et constituent des pistes de réflexion afin de diversifier et augmenter les ressources propres de l'Union européenne et de contenir la progression de la part des contributions nationales.
Enfin, la Commission européenne propose deux évolutions qui pourraient avoir des conséquences significatives sur le montant de notre contribution nationale. Profitant du retrait du Royaume-Uni, elle propose la suppression totale des rabais au cours du prochain cadre financier pluriannuel, et l'abaissement à 10 % du taux de retenue appliqué au titre des frais de perception des droits de douane. Sur ce dernier point, il faut relever que lorsque les droits de douane reversés par un État membre au budget de l'Union augmentent, sa contribution nationale diminue, car il s'agit d'une ressource d'équilibre. Ainsi, cette proposition se traduirait pour la France par une diminution d'environ 230 millions d'euros par an en moyenne de sa contribution nationale.
Comme vous le savez, les propositions de la Commission européenne n'ont pas fait l'unanimité. Le Parlement européen s'est exprimé à plusieurs reprises en faveur d'un niveau de dépenses plus élevé, fixé à 1,3 % du RNB de l'Union européenne. Afin de faire progresser les négociations, la présidence finlandaise du Conseil a proposé une nouvelle « boîte de négociations » en décembre dernier, sans pour autant convaincre les États membres. Si cette nouvelle proposition satisfait certaines de nos demandes, notamment en augmentant de 10 milliards d'euros l'enveloppe allouée au second pilier de la PAC, elle est très insatisfaisante sur d'autres sujets, en particulier sur le fonds européen de la défense pour lequel une réduction de moitié est proposée. Une proposition de résolution européenne sur ce sujet sera d'ailleurs examinée aujourd'hui par la commission des affaires étrangères et de la défense.
Aujourd'hui, le temps presse. Maintenant que les incertitudes liées au Brexit tendent à se dissiper, et que la nouvelle Commission européenne a pris ses fonctions, un accord rapide est nécessaire pour éviter les retards rencontrés au début de l'actuelle programmation financière. Le nouveau président du Conseil européen, Charles Michel, tiendra le 20 février un sommet réunissant les États membres pour tenter de trouver un accord.
La présente proposition de résolution européenne s'inscrit dans ce contexte particulier. Il a semblé indispensable que le Sénat formalise sa position sur ces négociations. Depuis leur début, le Sénat a adopté plusieurs résolutions européennes sectorielles, relatives à la PAC, la politique de cohésion, le budget dédié à la recherche, ou encore la politique spatiale. Je ne reviendrai pas sur le contenu de ces résolutions qui ont fait l'objet d'un large consensus, et dont la teneur est reprise dans la présente proposition de résolution européenne.
Au-delà de l'exercice de synthèse, la présente proposition de résolution vise à prendre position sur de nouveaux sujets tels que les ressources propres, ou encore l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité. Son équilibre général est le fruit d'un travail de compromis, pour lequel je tiens à saluer nos collègues Jean Bizet et Simon Sutour.
Comme je l'ai déjà exprimé devant la commission des affaires européennes, ma conviction est la suivante : ce que nous n'accomplirons pas au niveau de l'Union européenne, nous devrons nécessairement le prendre en charge au niveau de chaque budget national, en particulier dans des domaines aussi stratégiques que la recherche, l'innovation, et la défense. La véritable « valeur ajoutée européenne » constitue ce que nous pourrions faire à l'échelle nationale, mais de manière moins pertinente et moins efficace qu'en unissant nos financements à l'échelle européenne. En matière de politique spatiale par exemple, sur laquelle j'ai réalisé un rapport d'information avec notre collègue André Gattolin, nous avons tous en tête la réussite du savoir-faire européen au travers des projets Galileo et Copernicus.
Pour autant, l'équation budgétaire est complexe à résoudre. Les finances publiques de l'ensemble des États membres de l'Union européenne sont soumises à de fortes contraintes. Or, le retrait du Royaume-Uni, l'un des principaux contributeurs nets au budget européen, entraîne une perte de ressources estimée à 10 milliards d'euros environ par an. S'il semble difficile, dans ce contexte, de réduire à court terme la part des contributions nationales dans le financement de l'Union, celles-ci doivent suivre une trajectoire maîtrisée. Je vous rappelle que la direction du budget estime que les propositions de la Commission européenne se traduiraient déjà par un ressaut de la contribution annuelle de la France de près de 7 milliards d'euros, soit une augmentation annuelle de près de 30 %. Les orientations du Parlement européen pourraient se traduire par un ressaut de 8,6 milliards d'euros.
Dans cette perspective, outre des amendements rédactionnels, les amendements que je vous propose ne modifient pas l'équilibre de la proposition de résolution, mais visent à la compléter sur les aspects qui sont au coeur de la compétence de notre commission, en rappelant que les dépenses de l'Union doivent s'inscrire dans une démarche de performance budgétaire et en insistant sur la nécessité de se mobiliser davantage en matière de lutte contre la fraude aux fonds européens afin d'éviter les « points de fuite » du budget européen et d'engager plus efficacement des dépenses ; en insistant davantage sur le contexte particulier dans lequel s'inscrivent ces négociations, à savoir la perte du financement du Royaume-Uni ; en faisant de la fin des mécanismes de compensation ou « rabais » une priorité avant même la recherche de nouvelles ressources, sachant que certains États membres y sont opposés, alors que ce système de correction n'a plus lieu d'être après le départ du Royaume-Uni ; en prenant acte du fait que la contribution assise sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés est désormais exclue par les États membres du panier de nouvelles ressources propres ; enfin, en regrettant plus fermement le manque d'ambition de l'instrument budgétaire pour la convergence et la compétitivité.