Intervention de Maryse Carrère

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 5 février 2020 à 9h05
Nouveau code de la justice pénale des mineurs — Audition de mmes isabelle clanet josine bitton membres du conseil national des barreaux et de dominique attias avocate au barreau de paris

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère, rapporteure :

Je vais maintenant vous présenter les règles juridiques qui s'imposent aux professionnels dépositaires d'un secret en ce qui concerne le signalement des mauvais traitements ou des négligences dont peuvent être victimes les mineurs.

Ces règles, assez complexes, sont dispersées entre le code pénal, le code de l'action sociale et des familles et le code de la santé publique. Je vais vous les résumer, en insistant sur les grands principes.

En premier lieu, il convient de rappeler que les obligations de signalement prévues par le code pénal ne s'appliquent pas à ces professionnels. L'article 434-3 du code pénal punit d'une peine d'emprisonnement les personnes qui ne signalent pas aux autorités administratives ou judiciaires les privations, les mauvais traitements et les agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur dont elles ont connaissance. Mais cet article exclut expressément de son champ d'application les professionnels astreints au secret.

Si ces professionnels n'ont donc pas l'obligation de signaler, ils ont la faculté de le faire dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler une « option de conscience ». L'article 226-14 du code pénal les autorise à signaler les privations et sévices infligés aux mineurs, même s'ils doivent pour cela révéler une information normalement couverte par le secret. Il appartient à chaque professionnel de décider en conscience s'il convient, dans l'intérêt de la victime, de garder le silence ou de révéler les faits dont il a connaissance.

Le professionnel qui procède à un signalement qui se révèlerait finalement infondé n'encourt aucune sanction, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. Ce régime protecteur est issu de l'adoption en 2015 de la proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli. L'objectif est d'encourager les professionnels à parler dès qu'ils ont un doute. Il appartiendra ensuite à l'autorité administrative ou judiciaire de mener les investigations qui permettront d'établir la réalité des faits.

Par autorité administrative, il faut entendre les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), dont chaque département s'est doté en application de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, loi qui avait été portée par notre collègue Philippe Bas, lorsqu'il était ministre chargé de la famille. La CRIP évalue les situations de mineurs en danger afin d'engager des actions de protection de l'enfance.

Par autorité judiciaire, il faut entendre bien sûr le procureur de la République, qui peut être saisi 24 heures sur 24 et qui peut décider d'engager des poursuites et d'ouvrir une enquête au vu des éléments qui lui sont transmis. Je précise que l'évaluation de la CRIP peut déboucher, le cas échéant, sur un signalement au parquet.

En pratique, les professionnels que nous avons entendus ont indiqué qu'ils privilégiaient un signalement au parquet dans les affaires qui leur paraissent présenter un caractère d'urgence. Dans les affaires plus ambiguës, ils préfèrent adresser une information préoccupante à la CRIP afin qu'un travail d'évaluation soit mené par les travailleurs sociaux.

Les dispositions du code pénal que je viens de présenter sont cohérentes avec celles qui figurent dans le code de la santé publique. Son article R. 4217-44 prévoit que lorsqu'un mineur est victime de sévices, le médecin « alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience ».

Dans certaines hypothèses toutefois, les professionnels tenus au secret ont l'obligation de signaler les faits de violence dont ils ont connaissance.

Ils ont d'abord, comme tout citoyen, l'obligation d'intervenir dans les situations qui relèvent de la non-assistance à personne en danger, c'est-à-dire en cas de danger grave et imminent pour l'enfant, ou lorsqu'ils ont la possibilité d'empêcher, sans courir de risque, un crime ou un délit contre l'intégrité corporelle de la personne. Dans ces hypothèses, le professionnel ne peut se retrancher derrière le secret professionnel pour justifier son inaction. Toutefois, son intervention ne prendra pas nécessairement la forme d'un signalement, si d'autres modalités compatibles avec la protection du mineur sont envisageables.

Ensuite, les professionnels qui ont le statut de fonctionnaire, je pense par exemple aux médecins hospitaliers ou aux médecins de PMI, sont soumis à l'article 40 du code de procédure pénale, qui leur impose de signaler au procureur les crimes et les délits dont ils ont connaissance. Cette obligation n'est cependant assortie d'aucune sanction, ce qui en limite la portée.

Enfin, le code de l'action sociale et des familles impose aux personnes qui mettent en oeuvre la politique de protection de l'enfance, notamment à celles qui participent aux missions de l'aide sociale à l'enfance, de transmettre sans délai au président du conseil départemental les informations nécessaires pour déterminer les mesures dont les mineurs peuvent bénéficier.

Au total, les hypothèses dans lesquelles un professionnel tenu au secret est obligé de signaler sont assez nombreuses. La règle de principe n'en reste pas moins celle de l'option de conscience, qui place parfois les professionnels face à de véritables dilemmes éthiques.

Arrivée au terme de ma présentation, je vais céder la parole à notre collègue Michelle Meunier, qui va vous exposer les arguments qui peuvent être avancés en faveur de l'institution d'une obligation de signalement.

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