Intervention de Arnaud Leroy

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 février 2020 à 9h30
Audition de M. Arnaud Leroy président du conseil d'administration de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie ademe

Arnaud Leroy, président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie :

Concernant les collectivités, au cours des deux dernières années, l'Ademe a noué des partenariats avec les associations d'élus, de manière à accompagner l'essor des énergies renouvelables dans la maille territoriale et à améliorer leur acceptabilité. J'ai demandé à mes équipes de renforcer ces relations pour travailler plus vite et trouver des outils qui collent aux besoins des collectivités.

Cette démarche a été menée de manière concomitante avec la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui a gelé pour un temps notre capacité à nous projeter dans nos relations futures avec les collectivités locales : on a longtemps ignoré comment s'articuleraient les actions de l'ANCT et de l'Ademe en faveur de la transition écologique et énergétique. Il m'a fallu gérer les remous qu'ont engendrés, au sein de l'Ademe, les craintes de voir l'ANCT absorber toutes les structures agissant dans ce domaine au sein des territoires. Ce dialogue social interne m'a conduit à rassurer le personnel de l'agence, mais aussi à mieux expliquer nos activités à l'État et, en particulier, au ministère de la cohésion des territoires, de manière à dissiper certaines fantasmagories et à préparer une future coopération intelligente avec l'ANCT. La loi a clarifié tout cela. Je suis membre du conseil d'administration de l'ANCT ; une convention, qui sera bientôt finalisée, permettra de définir notre action en commun. Les méthodes de travail de l'Ademe évolueront, mais ne seront pas révolutionnées.

Surtout, l'ANCT pourra nous faire parvenir les demandes de certains territoires. Nous avons aujourd'hui un mal fou à intégrer dans notre action des collectivités qui ne soient pas déjà engagées dans une démarche de transition écologique. C'est pour y remédier que nous avons mis en place une stratégie dédiée. Mon objectif est qu'il n'y ait pas de zones blanches pour la transition écologique. Pour ce faire, il faut s'adresser à de nouvelles collectivités par le biais de divers dispositifs et les faire entrer dans cette démarche. L'aide de l'ANCT sera précieuse pour y parvenir.

Je me suis engagé à souvent rencontrer les élus locaux, notamment les présidents de région et les vice-présidents chargés de la transition énergétique, de l'économie circulaire, ou de la mobilité, domaines dont l'importance croît. Les compétences des départements qui permettraient d'interagir avec eux sont moins clairement identifiées : l'angle de la précarité énergétique est le plus prometteur pour engager une collaboration. Concernant les communes, nous travaillons avec elles notamment au travers du label Cit'ergie, auquel nous essayons de rattacher les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les métropoles.

Concernant nos relations avec l'AFB, puis l'OFB, ce serait mentir que d'affirmer que beaucoup a été accompli en deux ans. La préfiguration du nouvel office a pris du temps. J'ai rencontré Pierre Dubreuil, son directeur général, afin de déterminer comment nous pourrons travailler ensemble. Des chantiers ont été identifiés, autour de la biodiversité et des énergies renouvelables. La thématique du biomimétisme nous intéresse : comment se servir de produits ou de mécanismes naturels pour trouver des solutions industrielles de remplacement de produits chimiques. Nous avons noué un partenariat avec le Centre européen d'excellence en biomimétisme de Senlis. Une fois la situation institutionnelle de l'OFB stabilisée, nous en ferons sûrement plus ; d'ores et déjà, des projets de valorisation de la biodiversité sont engagés. J'espère que cette dynamique pourra se concrétiser dans une convention.

En deux ans, j'ai fait évoluer l'organisation interne de l'Ademe. J'ai voulu que nous accordions de l'importance à un dossier complexe : l'adaptation au changement climatique. Même si l'atténuation importe toujours autant, il faut absolument que l'État s'intéresse aussi à l'adaptation. C'est ce que demandent les territoires. Une direction de l'adaptation a donc été créée ; ses équipes sont basées à Sophia Antipolis. Sa mission est de réfléchir avec les collectivités à leurs besoins en la matière et de mettre en place des méthodologies. Un premier appel à manifestation d'intérêt a été lancé.

Le secteur économique nous adresse également une demande toujours plus forte dans ce domaine. C'est le cas, notamment, dans le secteur du tourisme : comment remplacer certaines activités, comme les sports d'hiver, affectées par le changement climatique ? Nous travaillons aussi à améliorer la résilience des réseaux, avec la SNCF, mais aussi les opérateurs de grands réseaux d'énergie. Il faut développer notre expertise et rester en alerte. Le changement climatique va beaucoup plus vite que ce qui avait été prévu ; il faut donc aussi accélérer l'adaptation.

J'ai également voulu renforcer l'implication des entreprises dans les actions que nous menons en faveur de la transition écologique, au-delà de l'écosystème de l'économie verte, que nous accompagnons depuis très longtemps. Comment faire muter l'ensemble de notre appareil productif ? Il faut s'intéresser davantage aux questions de l'emploi et de la formation. Un travail statistique doit être mené de manière à disposer de plus de données. Plus nos sites industriels seront soumis à des restrictions liées à la transition écologique, plus il faudra s'engager en faveur de la reconversion des employés. La France pourrait s'inspirer de ce qui se fait en Pologne et en Allemagne.

Une direction de l'Ademe est désormais dédiée aux entreprises et à la transition industrielle, de manière à accompagner les discussions qui sont menées autour du pacte productif. L'enjeu est de maintenir le niveau d'emploi en France tout en s'assurant que ces emplois soient écologiquement responsables. Nous avons organisé la première journée nationale « CO2 et industrie », dans le port de Dunkerque ; nous allons la renouveler cette année, en lui donnant une dimension plus européenne. Nous accompagnons des grands groupes industriels au travers de dispositifs de soutien, de manière à encourager la captation et la valorisation du CO2.

Depuis dix ans, nous accompagnons 800 à 900 entreprises dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. J'espère que nous resterons un opérateur dans le cadre du PIA 4, le quatrième plan de ce programme.

Nous avons acquis une vraie expertise. La direction des entreprises et de la transition industrielle fonctionne très bien. Elle accompagne des sociétés, main dans la main avec Business France, à l'étranger. Nous avons, pour ce faire, une petite structure, qui s'appelle Club Ademe International. Il est intéressant que nous puissions faire le lien avec l'écosystème des éco-industries, alors que bon nombre de secteurs industriels ou même tertiaires s'interrogent aujourd'hui sur la manière d'entamer cette mutation.

Il y a eu des débats un peu houleux sur certains sujets internes en conseil d'administration. Votre collègue Joël Bigot, qui est administrateur de l'Ademe, peut en témoigner - je peux d'ailleurs vous dire que vous êtes bien représenté ! Il n'est pas toujours facile pour les parlementaires ou les représentants des associations d'élus d'assister aux réunions. Or il est important que nous puissions avoir un dialogue constant avec les représentants des collectivités et des chambres.

Nous avons fait évoluer le cadre institutionnel. J'ai dû dénoncer la convention collective, ce qui n'est pas toujours très simple dans un établissement public. Peut-être avez-vous d'ailleurs reçu, comme certains de vos collègues députés, une lettre des organisations syndicales de l'Ademe à ce sujet. Après avoir discuté pendant un an, force a été de constater que nous n'avons pu aboutir à un accord. Nous aurions pu ne pas prendre de décision. Nous avons préféré dénoncer la convention collective en avril dernier. Nous avons entamé des discussions et nous devrions avoir un nouveau texte d'ici à juillet prochain, qu'il soit le résultat d'un accord, ce que je souhaite, ou une décision unilatérale de la direction, comme le droit du travail français nous le permet.

Nous avons également fait évoluer les dispositifs de temps de travail, avec l'ouverture au forfait jour. Ce n'est pas anodin pour un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Nous avons eu droit à un référendum d'entreprise, ce qui nous a permis de tester les ordonnances Pénicaud. Pour les avoir mises en oeuvre, je peux vous dire qu'elles ne répondent pas à ma définition du libéralisme. Quoi qu'il en soit, cela a été un moment intéressant de démocratie interne, que nous avons gagné, alors que les conditions n'étaient pas simples - dénonciation de la convention collective, réduction des effectifs...

Les effectifs de l'Ademe ont baissé de plus de 12 % sous mon mandat, ce qui n'est pas toujours simple, alors même que nos missions ne font que s'accentuer. Je vous remercie, d'ailleurs, de l'aide que vous nous avez apportée, notamment lors de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. J'ai alerté plusieurs fois le ministère sur cette réalité. Nous nous rapprochons fortement du moment où ne nous pourrons plus faire face. J'ai demandé plusieurs fois à Mme la ministre ne serait-ce qu'une baisse du rythme de la baisse. Par exemple, je dois restituer, cette année, 20 équivalents temps plein (ETP). Il se trouve que beaucoup de personnes partent à la retraite. Sauf que, dans le même temps, je dois faire face à des demandes nouvelles. Il faut savoir, par exemple, que l'expertise française en matière d'hydrogène repose aujourd'hui sur deux personnes, qui sont localisées à l'Ademe, alors que c'est devenu quasiment une priorité nationale. Tant mieux si l'État s'engage sur cette voie, mais nous devons avoir un minimum de moyens pour répondre aux sollicitations de plus en plus fortes des collectivités.

Sur la rénovation énergétique des bâtiments, nous sommes parvenus à sortir par le haut, avec le programme « service d'accompagnement pour la rénovation énergétique » (Sare), mais nous avons eu quelques frayeurs par rapport au dispositif historique de coopération avec les collectivités qui avait été monté dans certaines régions.

Je me dois de vous parler de la question de nos effectifs. Je n'en demande pas le doublement ! J'ai travaillé sur les ressorts qui étaient à ma disposition en tant que PDG : le temps du travail, l'organisation, etc. Cela nous a embarqués dans une stratégie numérique longue et coûteuse, qui était nécessaire pour que l'Ademe atteigne sa maturité numérique. Mais, alors que la thématique de l'environnement devient de plus en plus prégnante et que la demande citoyenne est de plus en plus forte, cela ne suffit plus.

Le changement climatique est notre feuille de route. Pour répondre à l'enjeu de la France 2050, nous avons, en interne, réactivé notre direction à la prospective. Que signifie tenir ses engagements et quels changements cela implique-t-il ? J'ai voulu engager une démarche très partenariale. L'Ademe a un conseil scientifique, qui réunit bon nombre d'universitaires ou d'acteurs du monde économique et qui est présidé par Laurence Tubiana. Nous les avons mis à contribution. Nous avons noué de nombreux partenariats avec d'autres secteurs, pour pouvoir affiner nos hypothèses. J'espère que nous serons en capacité de rendre ce travail au cours de l'année 2021, avec deux entrées : la question énergétique et celle des ressources, qui est liée à l'économie circulaire. Comment faire pour enclencher un vrai changement de modèle ?

Concernant l'éolien, je peux vous envoyer un document réalisé par l'Office franco-allemand pour la transition énergétique (Ofate), qui porte un regard croisé sur la situation dans les deux pays. Ayant été un peu lents au démarrage sur l'éolien, nous avons évité pas mal d'erreurs qu'ont commises les Allemands. Nous avons produit un rapport documenté qui démontre qu'une éolienne, en France, est recyclable et valorisable à hauteur de 92 %, ce qui n'est pas anodin. Nous sommes en train de travailler sur ce sujet et finançons des programmes d'innovation, notamment sur la question des pales. Celles-ci sont valorisées en étant concassées puis utilisées par l'industrie cimentière, par les fours industriels, qui ont besoin d'énormes forces calorifiques.

Nous avons également travaillé avec l'industrie éolienne sur le sujet de l'« acceptabilité ». Quand les choses sont faites correctement, on ne peut pas dire qu'il y ait beaucoup de problèmes. Pour ce qui concerne la concentration dans certaines régions et parfois, dans certains départements, il faut peut-être rediscuter sur l'articulation de la planification. Je n'ai pas de religion sur le sujet, mais je constate que la situation génère des désaccords.

Comment faire pour atteindre les objectifs ? Ce n'est pas à moi de décider s'il faut construire de nouveaux EPR, mais force est de constater que des difficultés se posent aujourd'hui. Réseau de transport d'électricité (RTE), par exemple, s'inquiète de notre capacité à passer certains hivers. L'industrie éolienne a des efforts à faire en ce sens. Je pense qu'elle en est consciente.

Nous travaillons à l'intégration paysagère - nous y travaillons avec l'Office français de la biodiversité -, ainsi qu'aux modalités de financement des éoliennes. Nous suivons quelques exemples très intéressants de collectivités qui bénéficient de retombées fiscales, mais aussi financières liées à l'installation d'un parc ou d'« éolien citoyen » qui fonctionne assez bien.

Comment atteint-on les objectifs en matière de lutte contre le changement climatique ? La question est devant nous. La France est déjà en retard par rapport aux chiffres fixés dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015. La tendance n'est pas bonne. Comment faire, alors que la demande augmente, que nous sommes invités à plus d'électrification et qu'EDF, qui avait annoncé un grand plan solaire, évoque des difficultés de déploiement liées à l'accès au foncier ?

Je ne suis pas là pour porter de jugement sur l'éolien. Mon rôle est de réfléchir à la manière d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés en la matière.

Nous militons également pour la sobriété énergétique. Il faut travailler sur la dépense énergétique, que l'on oublie assez souvent. Or le premier axe de la politique énergétique du pays défini par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) porte sur les économies d'énergie. Il faut le marteler continuellement. C'est pourquoi il est important que nous parvenions à déployer le programme Sare sur la rénovation énergétique des bâtiments et à travailler sur des mobilités beaucoup moins carbonées.

L'analyse comparative des cycles de vie des énergies renouvelables est en cours. Les technologies solaires connaissent beaucoup d'évolutions. La question du biogaz est aussi un enjeu important pour le pays. La question du repowering éolien va également se poser : la France aura alors l'opportunité de changer - ou non - les machines de première génération pour les rendre plus efficaces et, parfois, pour réduire leur nombre, et donc ce qui peut apparaître aux yeux de certains comme une nuisance.

Je pourrai vous envoyer une synthèse que nous avons réalisée dans le cadre de l'étude que nous avons lancée sur le sujet. Une économie de l'éolien existe. Les cellules photovoltaïques sont en grande partie construites en Asie et parfois assemblées sur le territoire national.

On assiste à un démarrage assez important des éoliennes offshore. L'Ademe a été assez associée à la création, via le programme d'investissements d'avenir, de la génératrice de Saint-Nazaire. Nous suivons les quatre programmes-pilotes de ferme éolienne offshore flottante, qui sont, à mon avis, de très bons moyens de produire en gros volume, sans trop d'intermittence, de l'énergie électrique. Nous avons les mêmes réserves que beaucoup sur l'hydrolien, pour des questions de coûts - parfois trois fois supérieurs à la moyenne. Ce problème de coûts est très lié à la maintenance des machines. De fait, du métal plongé dans un milieu maritime est très vite colonisé par des éléments de biodiversité. Cela implique une obligation d'entretien. Or, sortir puis remettre à l'eau des machines qui pèsent parfois plus de 100 tonnes coûte très cher et n'est pas simple.

Nous avons financé de l'hydrolien fluvial, notamment via les investissements d'avenir, avec CNR. Des dossiers sont en cours. Nous attendons les retours d'expérience. Il y a eu des tentatives avortées dans certains territoires. La production potentielle est faible, mais peut être complémentaire.

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